Выбрать главу

— En ce cas...

On prend, par la rue de la Ferronnerie, une sorte de boyau coincé entre l’un des murs du vieux cimetière et l’auberge du Cœur Couronné percé d’une flèche. A ce moment précis, un haquet de vin venant de la droite et une charrette à foin débouchant de la gauche obstruent la ruelle. A cette vue, les valets suiveurs décident de passer par le cimetière, sauf l’un d’eux qui va essayer de faire ranger les deux véhicules.

Pour charmer les longueurs de l’attente, Epernon sort une lettre qu’il déplie pour la lire au Roi. Pour mieux l’entendre, celui-ci passe son bras autour de son cou. Il n’y a plus personne autour du carrosse. Alors...

L’homme en vert a sauté sur une borne placée devant l’auberge, s’accroche d’une main à la portière de la voiture et de l’autre, armée d’un long couteau, frappe Henri à la poitrine au-dessus du cœur, mais le coup déchire seulement la peau.

— Ah ! Je suis blessé !

L’assassin frappe une deuxième fois, comme la foudre, puis une troisième. Ces deux coups-là sont mortels...

Après le premier, le Roi a levé le bras. Les suivants ont percé le poumon et l’aorte. Le dernier a également traversé la manche du duc de Montbazon qui n’a rien compris.

— Qu’est-ce, Sire ? demande-t-il benoîtement6.

— Ce n’est rien, murmure Henri d’une voix qui s’éteint.

Aussitôt, il vomit un flot de sang. Tout est fini !

Ravaillac, lui, n’a pas bougé. Son exploit réussi, il semble en extase : il a enfin réussi à tuer l’Antéchrist. Des gentilshommes se sont précipités sur lui : l’un le frappe au visage du pommeau de son épée, un autre lui arrache son poignard pour l’en transpercer, mais la voix soudain impérieuse d’Epernon retient son geste :

— Ne le tuez pas ! Il y va de vos têtes !

Certains, furieux, se préparent à passer outre mais alors il crie :

— Le Roi n’est que blessé !

Les spectateurs du drame réclament un chirurgien, du vin pour laver la blessure et ranimer le Roi, mais le duc ne laisse personne lui voler la vedette.

Il ordonne que l’on rabatte les mantelets et que l’on regagne le Louvre sur-le-champ. La lourde voiture sort de la ruelle et repart non sans laisser une trace sanglante. On retourne au Louvre au milieu d’une rumeur qui grandit jusqu’à devenir clameur furieuse. Le peuple qu’Henri aimait tant et qui le lui rendait bien est prêt à se soulever, emporté par sa colère et son indignation. On avait beau crier qu’il n’était que blessé et non mort, personne ne voulait le croire. Les bruits annonçant la tragédie n’avaient que trop couru !

Tandis que l’on transporte au Louvre le corps du Roi, son épouse toujours étendue sur sa chaise longue a fini par s’assoupir, bercée par les paroles de Mme de Montpensier. De nouveau à la fenêtre, Mme de Guercheville et Lorenza voient revenir le carrosse entouré d’une agitation indescriptible. Une même épouvante se lit dans le regard qu’elles échangent mais elles n’ont pas le loisir de revenir près de la Reine : la porte de sa chambre vient de s’ouvrir d’un coup de pied qui réveille Marie. C’est Concini.

E ammazato 7! lance-t-il avant de disparaître.

En même temps, un vacarme assourdissant se fait entendre dans la petite chambre du souverain qui est de l’autre côté.

— Allez donc voir, ma bonne, ce qu’il se passe ! dit Marie à Mme de Montpensier qui se précipite, ouvre les portes qu’elle referme violemment après une exclamation horrifiée.

Marie s’est alors levée d’un bond en s’écriant :

— Mon fils !

Elle se rue vers la modeste chambre malgré les efforts de la Montpensier qui lui assure qu’il ne s’agit pas de son fils. En y entrant, elle bute sur Praslin qui lui déclare :

— Madame, nous sommes perdus !

Il éclate alors en sanglots. Elle l’écarte brutalement, voit le corps livide étendu sur le lit et manque s’évanouir. Madame de Montpensier et Catherine Forzoni essaient de la ramener à sa chaise longue mais elle est trop lourde et elles ne peuvent que la traîner. La femme de chambre appelle à l’aide. Bellegarde et le duc de Guise se précipitent mais Epernon les a précédés... pour se contenter de s’agenouiller... en disant que le Roi n’est peut-être pas mort !

Les trois autres se récrient en s'agenouillant à leur tour pour baiser la main de celle qui est maintenant la Régente.

Aussitôt, elle explose en sanglots désespérés, se livrant à des manifestations de douleur excessive et versant des larmes abondantes qui s'apaisent immédiatement quand arrivent le chancelier Bruslart de Sillery, le duc de Villeroy et le président Jeannin qui viennent régler avec elle les mesures à prendre, les ordres à donner, les lettres à dicter.

— Le Roi est mort ! Le Roi est mort ! Se met-elle à clamer.

— Non, Madame, rétorque le chancelier. En France, le Roi ne meurt jamais et nous sommes là pour servir Louis, treizième du nom, désormais roi de France et de Navarre !

Tandis que, les larmes enfin taries- elles ne reviendront plus guère ! -, on entamait les discussions, le duc d’Epernon, lui, ne perdait pas son temps et distribuait des ordres destinés à lui assurer le pouvoir... Colonel général de l’infanterie, il mit le Louvre en défense pour que le bruit du décès ne filtre pas, envoya ses consignes au Pont-Neuf, à la rue Dauphine et aux Grands-Augustins où siégeait exceptionnellement le Parlement8. En son nom, Bassompierre patrouilla dans les rues à la tête des chevau-légers sans se soucier de leur colonel et envoya le duc de Guise - son ennemi ! -veiller à l’ordre. Après quoi et avec une forte escorte, Epernon se rendit à l’Hôtel de Ville pour ordonner au Prévôt des Marchands, Jacques Sanguin, de fermer les portes de Paris et de réunir en armes la milice bourgeoise. Ensuite, satisfait de s'être ainsi assuré la puissance militaire, il se rendit au Parlement auquel il intima, sous peine de mettre la ville à feu et à sang, de remettre sur l'heure la régence à la Reine avec les pleins pouvoirs... ce qui annihilait les mesures prises par le Roi défunt afin de limiter le plus possible les décisions de son épouse.

Quant à Sully, il avait reçu un billet lui conseillant de rester chez lui « s’il ne voulait pas qu’il lui arrive malheur ! ». Par trois fois, il tenta de passer outre... et se fit refouler : M. d’Epernon ne voulait pas de lui. Fou de colère et de chagrin, il alla alors s’enfermer à la Bastille qu’il fit mettre en défense afin de protéger le trésor qu’il avait accumulé pour son Roi !

Ainsi, à l’heure même où le Dauphin Louis apprenait la mort d’un père bien-aimé, l’ancien mignon avait réuni entre ses mains tous les pouvoirs du royaume... Du moins le pensait-il !

Cependant, au Louvre refermé comme une forteresse autour du corps sans vie d’un homme qui en débordait encore le matin même, Marie de Médicis, dont le chagrin diminuait à vue d’œil, donnait l’ordre que l’on dresse dans sa chambre le lit de son fils Louis. Non pour apaiser sa douleur et sa révolte - « Ah, si j’eusse été là avec mon épée, je l’eusse tué ! » avait-il crié entre deux sanglots -, elle ne l’aimait pas assez pour cela, mais parce qu’il était désormais le Roi... Un roi de neuf ans que l’on couronnerait bientôt mais qui n’aurait pas plus de poids qu'une image jusqu’à ce qu’il eût atteint sa majorité. Et encore ! De toute façon, cela représentait cinq belles années qu’elle allait employer à sa guise en menant la vie qui lui convenait et en s’entourant de ceux qui lui plaisaient. Ce qui ne faisait pas beaucoup...

Après que l’on eut ramené la dépouille du Roi, Lorenza n’avait pu supporter longtemps la douleur spectaculaire de la Reine. S’excusant auprès de Mme de Guercheville sous le prétexte d’un soudain malaise - ce dont la dame d’honneur, qui s’efforçait de cacher ses larmes, n’avait pas été dupe mais qu'elle avait fort bien compris -, elle s’était enfuie. La vue des amis du Roi venus baiser la main de cette dondon à demi répandue sur sa chaise longue lui donnait envie de vomir.