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En traversant l’antichambre, elle avait failli heurter le Dauphin qu’escortait son gouverneur, M. de Souvré. Confuse, elle se laissa tomber à genoux devant ce petit garçon sans trouver autre chose à dire que :

— Sire !... Oh, Sire !

Elle lui avait donné d’instinct le titre qui convenait. Louis posa alors sa main sur sa tête courbée.

— Vous avez beaucoup de chagrin, Madame de Courcy?

La gorge trop serrée pour répondre, elle se contenta de hocher la tête.

— Moi aussi ! murmura-t-il. Je ne sais pas si nous serons nombreux...

Et se penchant, il posa un baiser sur le front de la jeune femme et passa son chemin...

Elle ne sut jamais comment elle avait réussi à rentrer rue Pavée après avoir fendu une foule quasi immobile, qui semblait frappée par la foudre mais d’où fusait une question, toujours la même :

— On dit qu'il vit encore ? Le savez-vous ?

Une main pressant un mouchoir sur son visage, elle ne pouvait que secouer la tête négativement, ce que l'on pouvait interpréter de deux façons : Henri était mort ou alors elle n’en savait rien... Mais, parce qu’elle était belle et appartenait visiblement à la Cour, on lui livrait passage.

Enfin elle parvint à destination. La duchesse Diane et tante Clarisse se tenaient dans le cabinet d’écriture de la première et se levèrent d’un seul mouvement en la voyant surgir, et dans quel état !

— Enfin, vous voilà ! s'exclama Mme de Royancourt qui la prit dans ses bras pour l’aider à s’asseoir. Nous étions dans la dernière inquiétude ! Mme d’Angoulême a dépêché plusieurs valets aux nouvelles mais personne n'est revenu ! Nous avons entendu cependant que le Louvre est fermé et étroitement gardé ! Qu'en est-il au juste ?

— Laissez-la souffler, conseilla la duchesse qui était allée verser de l'eau-de-vie dans un verre à liqueur. Buvez, mon petit ! Cela vous remontera mais attention ! C'est un tord-boyaux !

Lorenza trempa ses lèvres, toussota puis l'avala d'un trait, eut un long frisson et finalement se moucha.

— Ah, ça va mieux ! Merci infiniment !

— Laissez donc et dites-nous ce qu’il en est ! Il vit, oui ou non?... Ah! Ne recommencez pas à pleurer !

— Non. Il est mort ! Il l'était déjà quand on l’a amené ! J’ai vu ceux qui l’accompagnaient s’agenouiller devant la Reine pour lui rendre hommage !

Pendant un instant, un silence absolu régna dans la pièce élégante et intime, fleurie de lilas, puis Clarisse murmura avec une profonde tristesse qui se changea soudain en colère :

— Mort ! Notre si bon Roi !... Et au lendemain même du couronnement de cette grosse... vache !

— Inutile de demander d’où vient le coup ! reprit la duchesse. La voilà heureuse ! Elle a obtenu ce qu’elle voulait !

— Et je suppose qu’elle étale un chagrin spectaculaire ?

— C’est peu de le dire ! Soupira Lorenza. Un chagrin à l’italienne ! Chez nous, on paie des femmes pour gémir, s’arracher les cheveux et répandre des torrents de larmes. Ce sont les pleureuses. A l’exception de ses cheveux que la Reine ne martyrise pas, c’est tout à fait cela ! Savez-vous où est père?

— On ne l’a pas vu depuis ce matin, répondit Clarisse. Et encore : il est passé en coup de vent ! Il semblait fort pressé et nous avons pensé qu’il rejoignait peut-être le Roi.

— S'il avait été au Louvre, je l’aurais vu !

— Alors Dieu sait où il est allé ! Il avait sa tête des mauvais jours et j’ai appris à redouter ce qu’il concocte dans ces moments-là.

— Il finira bien par rentrer, fit la duchesse Diane, indulgente. Un jour comme celui-ci, l’étonnant serait qu'il soit resté assis dans un fauteuil toute la journée.

Mais le baron Hubert ne rentra pas ce soir-là...

Le lendemain matin, le petit Roi et sa mère - celle-ci sous les voiles noirs du deuil... qu’égayaient tout de même quelques perles ! - étaient conduits au Parlement à travers une foule silencieuse et quasiment prostrée. Le peuple de Paris savait à présent qu’il ne reverrait plus « Nouste Henri » et en était encore au stade de l’accablement.

Raidi par une volonté rare à cet âge, l’enfant prononça, sans écorcher un mot, un bref discours aux termes duquel il chargeait sa mère de poursuivre son éducation et de pourvoir au gouvernement du royaume.

Cela fait, les choses traînèrent un peu en longueur. Après les multiples formalités d’usage, la harangue du président Servin n’en finissait plus. Alors, une voix impérieuse clama :

— Cela suffit ! Il est temps de faire descendre la Reine!

C’était Concino Concini qui, debout et une moue arrogante aux lèvres, se permettait d’interrompre le parlementaire. Presque aussitôt le Premier président de Harlay riposta :

— Il ne vous appartient pas de parler en ce lieu, Monsieur ! Sortez !

Avec un haussement d’épaules et un sourire moqueur, l’autre s’exécuta mais le duc d'Epernon, lui, pâlit. Il venait de surprendre le demi-sourire et le regard un peu trop tendre de la Régente et il avait compris : tout le mal qu’il s’était donné, croyant œuvrer pour lui-même, ne lui rapporterait rien. Sans le savoir, c’est pour ce bellâtre qu’il avait travaillé.

Deux jours plus tard, Sully en fera l’amère expérience. Venu enfin se mettre à la disposition de la Régente, que le couple Concini entourait, il alla jusqu’à parler à ces gens d’alliance et même d’amitié... Alors, la Galigaï lui lança :

— Nous n’avons besoin de l’aide ni de la faveur de personne pour obtenir des biens et des honneurs car Sa Majesté nous affectionne pour l’avoir bien servie. Si Monsieur de Sully désire quelque chose, il aura plus besoin de nous que nous de lui. Ceux de qui nous dépendions dépendront désormais de nous !

On ne pouvait être plus claire !

La France, comme l’avait prédit le grand maître, tombait dans d’étranges mains...

DEUXIÈME PARTIE

LE TEMPS DES VAUTOURS

Chapitre V.

Les lendemains d'un crime...

— Si on voulait chercher la petite bête, grogna le baron Hubert, on pourrait considérer comme nulle la nomination de la Régente parce qu’elle ne dépend pas, normalement, du Parlement.

— De qui alors ? demanda Lorenza.

— Des princes du sang, ma chère. Or, ils ne se sont pas manifestés...

— Ils auraient eu du mal, fit Clarisse. Vous avez raison de mentionner « en cherchant la petite bête » ! Condé est toujours en fuite, le comte de Soissons9 s’est retiré sur ses terres pour une stupide question de préséance. Quant au troisième, le prince de Conti, il est sourd, bègue et à moitié idiot ! Jolie famille en vérité ! De toute façon, ils auraient dit amen sans la moindre difficulté !

— Possible... du moins dans l’immédiat. Mais les deux premiers reviendront sans doute et suivant comment tourneront les choses, ils pourraient se manifester...

— Vous, toujours si logique, voilà que vous vous mettez à rêver ? Bien-sûr qu’ils se manifesteront... mais pour se faire acheter ! Dites-nous plutôt ce qu'il est advenu de l’assassin ! Depuis deux jours que vous avez disparu, vous devez certainement le savoir. On l’a conduit à la Conciergerie?

— Non. On a paré au plus pressé et on l’a mis à l’hôtel de Retz qui est proche de la rue de la Ferronnerie. N’oubliez pas qu’Epernon voulait faire croire que le Roi était seulement blessé !