— Vraiment ? Je n’en vois pas la raison !
— C’est parce que vous ne me connaissez guère... ou plutôt pas du tout ! Sinon vous sauriez que vous avez en moi, outre un compatriote, un admirateur fervent de votre beauté et un ami.
— Un ami ?
— Mais oui ! Souvenez-vous de notre première rencontre dans la galerie des appartements ! Je ne me faisais guère d’illusions, alors, sur les sentiments de notre chère souveraine à votre égard, et c’est avec une énorme tristesse que j’ai dû assister au calvaire que l’on vous faisait subir, d’autant plus navré que j’étais impuissant à vous secourir !
— Pourquoi l’auriez-vous fait ? Riposta Lorenza toujours aussi raide parce que l’homme lui déplaisait de plus en plus, peut-être à cause de ce parfum lourd dont il usait et qui lui donnait mal au cœur.
— Je vous l’ai dit : non seulement nous avons tous deux vu le jour à Florence, la reine des villes, mais aussi parce que, en tant qu’esthète trop respectueux des chefs-d’œuvre, je ressens une vive douleur quand on leur porte atteinte !
— N’avez-vous pas l’oreille de la Reine ? Que ne l’avez-vous incitée à signer ma grâce lorsque j’ai été conduite à l’échafaud ?
Il prit un air douloureux qu’elle jugea du plus haut comique tandis qu’il soupirait :
— J’ai fait de mon mieux mais c’est une erreur de croire que j’avais à cette époque la moindre influence sur la Reine. C’est Leonora, mon épouse, qui possède ce pouvoir et, malheureusement, elle est fort jalouse... Tirez-en vous-même la conclusion ! Il n’en va plus ainsi aujourd’hui.
— Elle n’est plus jalouse ?
— Si, hélas ! Mais à force de soins, je suis si bien entré dans les bonnes grâces de Sa Majesté que je pense avoir désormais plus d’influence sur elle...
— Je vous en félicite !
Il se fit alors si triste que la jeune femme se demanda s’il n’allait pas se mettre à pleurer.
— Je vois bien que vous refusez de m’entendre !
— Encore faudrait-il que je sache ce que, justement, je dois entendre.
— Que je suis en passe de devenir... tout-puissant, et que je ne désire rien d’autre que mettre cette puissance à votre service et conquérir au moins votre amitié !
L’apparition inopinée d’une femme voilée de noir qui ne pouvait être que la signora Concini dispensa Lorenza de répondre. En effet, sans dire un mot, elle fondit sur eux, salua la jeune femme d’un signe de tête et prenant son époux par la manche, lui déclara qu'elle avait à lui parler de choses sérieuses avant de repartir d’où elle était venue en l’entraînant derrière elle...
Il y eut un moment de silence puis un éclat de rire fusa.
A sa grande surprise, Lorenza vit la princesse de Conti qui, jusqu’à présent, ne lui avait jamais accordé plus d’attention que si elle appartenait au mobilier de la Reine et non au cercle de ses dames... Elle était avec sa mère, la duchesse de Guise, et Mme de Montpensier, l’une des trois amies de Marie de Médicis. Aussi intelligente que belle et aussi maligne qu’intelligente, elle avait eu jadis l’idée géniale de faire le voyage de Marseille pour aller accueillir la nouvelle Reine sur la fastueuse galère qui l’avait amenée en France, ce dont Marie lui était d’autant plus reconnaissante que son esprit, pas toujours bienveillant, en faisait une compagne amusante. Mariée depuis cinq ans au prince de Conti qui était sourd et tellement bègue qu’il en était à peine compréhensible, mais qui lui apportait le titre d’Altesse royale - elle était ainsi la cousine du Roi -, elle ne s’était occupée de lui que le temps de lui faire une fille qui n’avait pas vécu et, depuis, s’offrait de multiples coups de cœur. Bassompierre qui devait demeurer l’amour de toute sa vie était l’un d’eux. Ce sentiment profond, caché même, était payé de retour : il accumulait les maîtresses, comme elle les amants, mais le lien demeurait solide10. Leur goût commun pour les arts, les lettres et la culture - Bassompierre parlait cinq langues dont le latin et le grec et Louise-Marguerite protégeait les poètes - faisait qu’après l’amour, ils abordassent d’autres sujets que la pluie et le beau temps. Enfin Henri IV avait eu un faible pour elle au point de songer au mariage mais on avait assez vite abandonné la question : l’union de la fille d’Henri de Guise - le Balafré, chef de la Ligue ! - avec le successeur d’Henri III, qui l’avait fait occire à Blois mais s’était fait ensuite assassiner par un de ses séides, risquait de n’être pas appréciée du petit peuple !
Telle était celle qui venait de rire. Lorenza, qui n’ignorait pas son esprit mordant, crut qu’elle se moquait d’elle et se raidit.
— Puis-je savoir ce qui vous amuse tellement, Madame la princesse de Conti ? demanda-t-elle sur la défensive.
— Pas vous, n’ayez crainte ! J’aurais plutôt tendance à admirer votre courage. En revanche, j’ai apprécié les préliminaires de la scène de ménage dont la Galigaï va gratifier son sémillant époux. Heureusement que les murs de ce palais ne manquent pas d’épaisseur !
— Une scène pour m’avoir adressé quelques paroles... que je n’ai nullement appréciées ? Le fait que nous soyons nés, lui et moi, à Florence ne l’autorise pas à cette espèce de... familiarité plutôt déplaisante !
— Le contraire m’aurait étonnée. Vous êtes de trop bonne race ! Mais...
Redevenue sérieuse, elle se rapprocha.
— Croyez-moi et évitez-le le plus possible ! La mort de notre bon Roi va lui permettre de laisser libre cours à toutes ses ambitions et il a les dents d’autant plus longues que la Reine le voit... avec plaisir, si ce n’est davantage !
— J’ai l’impression pourtant que sa femme le tient en lisière !
— Elle en est folle, donc jalouse en proportion. La seule chose qu’elle accepterait... peut-être, c’est une aventure avec la Reine dont je ne crains pas d’avancer qu'elle est son âme damnée, la conseillère indispensable et redoutable parce qu’elle agit dans l’ombre. En fait, c’est elle la plus dangereuse. Si ce cuistre s'avisait de vous faire la cour, il faudrait vous garder de tous les côtés.
— Soyez sans crainte, j’aurai vite fait de le décourager!
— N’en soyez pas si sûre ! Repartit la princesse soudain grave. Tant que le Roi vivait c’était tâche facile mais, à présent, la sottise de la Reine et l’habileté de sa femme vont le rendre omnipotent ! Alors, prenez garde ! Il est de ceux dont on peut craindre le pire !
— Merci, Madame la princesse, murmura Lorenza, touchée. Merci de tout mon cœur mais, pourquoi cette sollicitude ?
— Parce que j’aime le courage. Jusqu’à nouvel ordre, nous ne changerons rien à nos relations mais, si vous aviez besoin d’aide, sachez que j’habite, près de Saint-Germain-des-Prés, une partie de l’ancien palais parce que mon époux perçoit les revenus de l’abbaye. Ce qui nous vaut une certaine autonomie. Au cas où vous vous trouveriez dans une situation inquiétante, vous y seriez accueillie. Et dites mon amitié à Mme de Royancourt ! Il se trouve que je l’aime beaucoup.
Sans attendre d’autres remerciements, Louise de Conti adressa un sourire d’encouragement à la jeune femme et quitta l’appartement royal. Lorenza en eût volontiers fait autant mais la Reine, que les affaires de l’Etat n’intéressaient guère, y revint peu après, ramenant dans son sillage le duc d’Epernon avec qui elle discutait de la peine qu’il convenait d’appliquer au régicide.
— La loi veut qu’il soit écartelé, Madame ! Ce n’est déjà pas si mal !
— Ce n’est pas suffisant ! Songez que sa mort brise mon cœur, ce qui aggrave sa faute ! Je voudrais qu’il souffre mille morts. Par exemple, on pourrait l’écorcher vif ? proposa-t-elle du ton avec lequel elle eût offert un verre de vin. Cela plairait à mon peuple, je crois ! Et je verrais cela avec plaisir !