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Lorenza, qui avait noté le possessif au passage, eut une grimace de dégoût. Elle savait cette femme méchante mais ne lui connaissait pas cette cruauté. Epernon pas davantage, peut-être, car il se hâta de formuler une réserve, à savoir que le supplice lui semblait déjà « satisfaisant » compte tenu du fait qu’il serait précédé de la « question préalable » - sans doute les brodequins qui brisaient les jambes ! - destinée à obtenir les noms des éventuels complices.

— Dois-je comprendre qu’il ne sera pas torturé pendant le procès ?

— Non. Ce que l’on appelle la « question préparatoire » est inutile dans ce cas puisque l’assassin a été pris en flagrant délit !

— Oh ! Que c’est dommage !

Incapable d’en entendre plus, Lorenza sortit discrètement de l’appartement et descendit respirer un peu l’air au jardin. Elle étouffait !

Elle y resta un moment, après quoi, contrainte et forcée, elle se dirigeait vers le Grand Degré quand elle vit Sully en train de discuter avec le colonel de Sainte-Foy commandant les chevau-légers et visiblement très mécontent !

— Mettez-vous à ma place, Monsieur le grand maître ! On m’emprunte mes meilleurs officiers pour les joindre à M. de Praslin envoyé à Bruxelles en « mission spéciale » et je ne les vois pas revenir ! Le jour du sacre, celui-ci m’a répondu qu’ils devaient attendre l’arrivée du Roi mais le Roi est mort et personne ne semble savoir ce que sont devenus MM. de Courcy et de Bois-Tracy ! C’est insupportable !

— Savez-vous quelque chose de cette mission ?

— En gros, ils devaient préparer la fuite de Madame la princesse de Condé quand le Roi approcherait afin de la mettre aussitôt sous sa protection ! Je suppose que l’on sait là-bas que le Roi ne viendra jamais ?...

— Oh oui ! Les échos que j’en ai parlent d’enthousiasme général, de fêtes et de remerciements adressés au Ciel pour avoir abattu l'Antéchrist ! On ne se gêne pas pour célébrer l’événement et la bière coule à flots ! fit le ministre avec amertume. Savez-vous que la Reine veut faire entrer au Conseil le nonce du pape et l’ambassadeur d’Espagne ?

— Elle est devenue folle ?

— Oh non ! Pas vraiment ! Ce qu’elle souhaite obtenir au plus vite c’est le mariage de notre petit Roi Louis avec l’infante et celui de sa fille Elisabeth avec le prince des Asturies ! Elle clame qu’il faut réconcilier tout le monde pour la plus grande gloire de Dieu sans imaginer un seul instant que l’Espagne va régner sur l’Europe et que toute l’œuvre de notre regretté Roi s’en va à vau-l’eau !

— Alors qu’il n’a pas encore été porté à Saint- Denis ? Quelle honte !

— Dites-vous bien qu’au Conseil, c’est elle qui parle mais c’est la voix des Concini que l’on entend !

— Je ne vais tout de même pas aller demander des nouvelles de mes deux gentilshommes à ce... ce...

— Vous ne trouverez jamais le terme convenable ! Le consola Sully avec un triste sourire. En attendant, vous avez eu raison de me parler ! Je vais m’enquérir de ces messieurs auprès de Villeroy... C’est sa partie et il est toujours en faveur. Ce qui n’est pas mon cas ! Seulement ne manquez pas de me tenir au courant si vous apprenez quelque chose de votre côté ! conclut-il avec amertume.

Voyant s'éloigner l’officier supérieur qu’elle ne connaissait pas, Lorenza, qui n’avait pas osé s’approcher pour entendre ce que les deux hommes se disaient, se hâta de rejoindre le ministre tandis que, le pas alourdi par la douleur autant que par la colère, il s'approchait de sa voiture. Au contraire de ce que sa mine laissait craindre, il eut pour elle un sourire.

— Gageons, dit-il après l’avoir saluée, que vous allez me poser la même question que M. de Sainte-Foy il y a un instant : où sont passés votre époux et M. de Bois-Tracy ?

— C’est cela même... ce dont je demande excuses à un moment où les plus fidèles amis de notre Roi sont dans l’affliction !

— Vous aussi?... En dehors du fait que vous craignez pour votre Thomas ?

— Oui ! Quand Sa Majesté est sortie de la chambre de la Reine pour rejoindre le carrosse fatal, je l’ai suppliée, implorée de ne pas quitter le Louvre... Mais il n’a rien voulu entendre. Je savais pourtant que l’homme en vert n’était pas un mythe et qu’il existait réellement !

— Vous le connaissiez ?

— Non, mais je l’avais vu près du château de Verneuil en conversation avec l’une des femmes de la marquise et, pendant des jours, le baron de Courcy, mon beau-père, l’a traqué à travers les auberges de Paris...

— Pour l’amour de Dieu, taisez-vous !... Ou plutôt non: ma voiture est là ! Montez, je vous ramène chez vous !

— Mais... la Reine ?

— Vous aurez droit à une algarade de plus ? Cela vous fait tellement peur ?

— Oh ! Pas vraiment, le rassura-t-elle avec un sourire. C’est une question d’habitude, je crois.

— Je savais que vous étiez courageuse, fit-il en l’aidant à prendre place dans le carrosse dont un laquais tenait la portière ouverte. Touche à l’hôtel d’Angoulême ! ajouta-t-il à l’intention du cocher. Et maintenant, racontez-moi tout !

Elle refit donc, pour lui, le récit de cet épisode de son séjour chez Mme de Verneuil dans lequel elle mentionna les recherches de son beau-père pour terminer par sa brève rencontre avec Mme d’Escoman, l’arrestation de celle-ci et la récupération du petit Nicolas. Sully l’avait écoutée sans l’interrompre mais, quand elle eut achevé, il ne put retenir un soupir accablé.

— Que n'ai-je su tout cela plus tôt ! A présent, il faut agir de telle sorte que votre rôle - bien léger pourtant ! - dans cette affaire ne soit pas ramené au jour !

— Que dois-je faire ?

— Vous arranger, immédiatement, pour que l’enfant recueilli soit conduit à Courcy... ensuite vous taire !

— Comment l’entendez-vous ? Se cabra Lorenza, vexée. Je n’ai pas coutume de clabauder à tous vents !

— Ne vous fâchez pas, je le sais, mais j’espère que, dans la maison de la duchesse Diane, le personnel ignore d’où vient le petit garçon. De mon côté, je vais me renseigner pour apprendre si sa mère est toujours à la Conciergerie afin qu’elle n’ait aucun contact avec ce Ravaillac. Quand le procès sera clos, nous verrons ce que l’on peut faire pour elle.

— Savez-vous si l’homme a nommé des complices ?... Mais peut-être ne vous informe-t-on plus ?

Il fit une affreuse grimace et bougonna :

— N’exagérons rien ! Même si je sens que cela pourrait venir, on ne m’a pas encore relevé de mes fonctions et je conserve de nombreux fidèles. Etre au courant de ce qui se passe dans les prisons n’est pas un problème. Je conserve des amis au Parlement qui va juger l’assassin. Pour en revenir à cet illuminé, il s’en tient à ses premières déclarations et ne cesse de clamer qu’il a agi seul, spécifiant qu’un envoyé de Dieu n’a besoin de personne pour accomplir sa volonté. En dépit de ses conditions d’incarcération, il est heureux... même à la pensée des supplices qui l’attendent ! Il est persuadé qu’une force surnaturelle lui sera accordée. Il est vrai que, tant qu’il a été enfermé à l’hôtel de Retz, il a reçu la visite des Jésuites... et je donnerais ma barbe pour connaître la raison de cet arrêt d’une journée chez Epernon ! Rien que cela... et le fait qu’il soit venu d’Angoulême signent le crime !

— Vous pensez que le duc...

— ... Trempe dans cette boue jusqu’au cou ? Mais c’est l’évidence, voyons ! De là à le démontrer... C’est un homme habile, vous savez !

— Vous l’êtes au moins autant !

— Mais je ne possède pas sa ruse. En outre, il haïssait le Roi parce qu’il avait succédé sur le trône à son cher Henri III. Enfin, il vient de subir une cruelle déception : après s’être démené comme un diable pour s’assurer du pouvoir, il voit grandir chaque jour celui de Concini ! C’est encore plus dur pour son orgueil que pour son ambition !... Mais vous voilà rendue ! Hâtez-vous de suivre mon conseil ! Je vais essayer de savoir où sont votre époux et Bois-Tracy !