Le soir même, le baron Hubert regagnait son château, emmenant avec lui Bibiena - pas trop contente de se séparer de Lorenza ! - et le petit Nicolas. On dut promettre à la nourrice qu’il s’agissait d’une solution provisoire et que l’on verrait à chercher un couple de braves gens sans enfants qui l’accueilleraient avec d’autant plus d’empressement qu’on les rétribuerait en attendant d’en faire un jardinier ! Le baron tenait à son idée, et le petit était d’ailleurs attachant !
Le 16 mai, jour où la « joyeuse entrée » aurait dû dérouler ses fastes, s’ouvrit le procès de Ravaillac, mené par le président de Harlay. Trois autres jours d’interrogatoires suivirent sans qu’il soit possible d’obtenir l’aveu d’une complicité quelconque, même quand on menaça de faire venir d’Angoulême son père et sa mère pour les mettre à mort. Toujours aussi fier de lui, l’accusé ne cessa de proclamer qu’il avait frappé pour obéir à la volonté de Dieu et pour le bien du peuple dont il était persuadé qu’il lui en était certainement très reconnaissant.
Aussi fut-il décontenancé quand, le 27 mai, on le conduisit à la mort en place de Grève au milieu d'une foule hurlante que les cordons de soldats avaient bien du mal à contenir et qui se calma un peu au spectacle de l’effroyable supplice qui l’attendait.
Le nonce Ubaldini le relata brièvement à l’intention du pape Paul V : « On a fait justice du malheureux qui a assassiné le Roi. On lui brûla la main qui commit le parricide, on lui coula de la poix et du plomb sur ses plaies11 et enfin il fut écartelé en quatre morceaux par quatre chevaux. Il a été constant à assurer n’avoir été poussé par autre cause que par le zèle de la religion ; de quoi enfin il s’est repenti et a reconnu son erreur et sa faute et il est mort " saintement ” et avec constance... »
Après de pieuses louanges à Dieu, Ubaldini ajoutait curieusement :
« Chose étrange, des lettres particulières écrites le 13 mai ont été portées à la Reine venant de Flandre : elles indiquaient que le roi de France avait été assassiné... »
Quelques jours avant de recevoir l'épître du nonce, Paul V, donnant audience à l’ambassadeur de France, lui disait avec tristesse :
— Vous avez perdu votre bon maître et moi mon bon fils aîné.
Aucune hypocrisie là-dedans ! Le pape, s’il craignait que la religion réformée ne prît trop de place en France, redoutait encore plus l’hégémonie des Habsbourg, qu’ils soient d’Espagne ou de l’Empire, et il s’était attaché à maintenir l’équilibre entre Paris et Madrid. Le meurtre l’avait épouvanté d’autant plus qu’il avait été commis plus ou moins au nom de l’Eglise. Apprenant que le prince de Condé était à Milan où il couvait une ambition démesurée, il lui envoya l’abbé d’Aumale pour l’empêcher d’émettre ses prétentions au trône et le persuader d’adresser à Louis XIII une protestation de loyauté... Ce à quoi d’ailleurs Condé obéit sans trop rechigner.
En France, cependant, les bruits gênants continuaient à courir. Le prévôt de Pithiviers avait été découvert pendu avec les cordons de ses caleçons dans la cellule de la Conciergerie où il avait été jeté après avoir annoncé, en jouant aux boules, et le jour même de la mort du Roi, que celui-ci devait être assassiné à ce moment-là. Ce qui n’empêcha pas les gens de Pithiviers et aussi des environs de conclure avec un ensemble parfait « que la mort de cet homme venait bien à point pour Monsieur d’Entragues, sa fille la marquise de Verneuil et toute sa maison ».
Restait Jacqueline d’Escoman mais, avant d’y transférer Ravaillac, on l’avait extirpée de la Conciergerie pour l’enfermer jusqu’à nouvel ordre dans un couvent sévère. Tout était donc pour le mieux et l’on allait pouvoir conduire le défunt à Saint-Denis, premier roi Bourbon à y reposer.
Le 29 juin, le cercueil quitta le Louvre pour se rendre à Notre-Dame... où le clergé dut en découdre avec ces Messieurs du Parlement qui le revendiquaient. Sous l’œil impassible du petit Louis XIII, on échangea quelques horions et les chanoines de la cathédrale firent même parler la poudre en braquant quelques arquebuses. Chez les parlementaires d’ailleurs, on n’était pas d’accord entre membres de la Cour des aides et ceux de la Chambre des comptes. Finalement, à 9 heures du soir, le corps reposait dans le chœur où il fut veillé par les chanoines vainqueurs, les bourgeois et de pauvres gens.
Le lendemain, un imposant cortège se forma où étaient tous les hommes qui comptaient à la Cour comme à la Ville, y compris les princes, les hauts dignitaires de l’Eglise et les ambassadeurs étrangers parmi lesquels personne ne songea plus à attaquer son voisin. Par la rue Saint-Denis dont toutes les maisons étaient tendues de noir - une torche était allumée devant chaque porte et les armes de France alternaient avec celles de Paris -, on prit le chemin de la basilique. La foule qui se pressait était si dense qu’on s’y entretuait. Enfin, à la porte Saint-Denis, la dépouille fut remise aux moines de l’abbaye royale. L’inhumation étant pour le lendemain, une partie du cortège s’en alla coucher sur place, quand l’autre regagnait l’intérieur de Paris.
Le matin suivant, 1er juillet, eut lieu le rituel final. Après la messe chantée, le corps fut déposé dans la fosse ouverte au milieu du chœur où descendit un héraut d’armes. Des profondeurs, il appela l’un après l’autre tous les insignes royaux et ceux qui les portaient vinrent les jeter sur le lourd cercueil. Lorsque ce rituel fut terminé, le héraut, toujours du fond du caveau, cria par trois fois :
— Le Roi est mort ! Le Roi est mort ! Priez Dieu pour son âme ! (Puis, sans bouger d'où il était, il clama joyeusement :) Vive le roi Louis XIII, par la grâce de Dieu roi de France et de Navarre !
Du fond de l’église, une voix lui répondit, soutenue par les trompettes et les tambours, cependant qu’éclatait un tonnerre d’acclamations que l’enfant Roi accueillit d’un visage impassible... mais sur lequel coulaient des larmes.
A son rang, Hubert de Courcy avait accompagné jusqu’au bout le souverain qu’il aimait. Lui aussi avait pleuré et pleurait encore en regardant ce petit garçon de neuf ans, si royal dans son attitude, si touchant dans le chagrin qu’il ne pouvait cacher.
En retrouvant, le soir venu, ses « femmes » à l’hôtel d’Angoulême, il n’essaya même pas de cacher les craintes qui l’assaillaient.
— Lui permettra-t-on seulement de régner quand il en aura l’âge ?
— Que veux-tu dire ? fit sa sœur, alarmée. Tu n’imagines tout de même pas qu’on pourrait...
— L’abattre ouvertement ? Non. S'il lui arrivait malheur, le peuple qui l'aime prendrait le Louvre d'assaut pour en arracher ses meurtriers. Non, je ne crains pas qu'on le tue mais qu'on l'isole sans le laisser approcher par ceux qui pourraient assumer son éducation, qu'on l'étouffe de solitude et d’abandon. Ce pouvoir qu’elle vient d’acquérir, la grosse Médicis ne se le laissera jamais arracher... Un pouvoir qui d’ailleurs ne sera pas le sien mais bien celui de ses chers amis les Concini ! Nous allons les voir grandir, ceux-là, je peux vous le prédire ! La mère du petit - qui n’aime pas son fils ! - va, une fois le deuil achevé, mener la vie égoïstement délicieuse qu'elle aime en laissant sa camarilla - puisque l’Espagne va devenir à la mode ! - s’occuper des affaires de l’Etat !