— Oh, c’est très simple ! Les deux hommes ont effectivement été dénoncés pour tentative d’enlèvement de la princesse de Condé et emprisonnés illico. On n’en a pas tout de suite averti Paris car la mort du Roi avait tout bouleversé là-bas... Je m’explique, même si c’est difficile à avaler : elle a déclenché aux Pays-Bas et singulièrement à Bruxelles une formidable explosion de joie. On a fêté l’événement pendant des jours.
— Cela nous le savions, coupa la comtesse Clarisse. Après ?
— On a donc averti la Régente... Elle s’est déclarée très satisfaite par retour du courrier ou peu s’en faut. D’où la surprise de Leurs Altesses quand un émissaire de Marie de Médicis est venu deux jours plus tard, nanti d’une petite troupe armée, demandant que l’on veuille bien lui remettre les deux prisonniers. Ses raisons étaient les meilleures puisque c’était elle qu’offensait le plus l’indécente passion de son époux pour la jeune Charlotte. C’était donc à elle qu’il appartenait de châtier ceux qui s’étaient rendus les complices de cette aventure sordide. Son messager était porteur d’une lettre écrite de sa main royale et les archiducs - plutôt soulagés d’ailleurs ! - n’ont vu aucun inconvénient à lui faire ce plaisir. On a donc extrait les deux hommes de leur prison et on les a remis à ceux qui venaient les chercher...
— Et qui étaient ? demanda Lorenza.
— C’est là que cela devient intéressant, grinça le baron.
— Monsieur de Vitry, capitaine de la deuxième compagnie des gardes, accompagné d’une douzaine d’hommes!
La jeune femme considéra un instant avec étonnement le visage convulsé de fureur de son beau-père,
— Je ne vois pas ce qu’il y a là d’extraordinaire ! Monsieur de Vitry, que je n’ai pas l’honneur de connaître...
—... N’a pas quitté le Roi, qu’il surveille comme la mère poule son poussin parce qu’il lui est tout dévoué et cela depuis le couronnement ! Voulez- vous me dire alors comment il a pu filer à Bruxelles s’emparer de mon fils et de son compagnon et cela au nom d’une Régente qu’il n’aime pas ?...
— ... Mais à laquelle il ne peut refuser d’obéir, fit remarquer Clarisse. Est-ce que le plus simple ne serait pas de le lui demander ? Je sais bien que vous n’êtes pas de la même génération et que, peut-être, il ne connaît pas Thomas...
— Dans l’entourage des rois on connaît toujours un Courcy ! S’emporta le baron. Je le verrai demain et s’il ne veut - ou ne peut - parler, je verrai la Régente !
— Si elle vous a joué un mauvais tour, elle ne vous recevra même pas ! Émit Mme d’Angoulême.
— Il le faudra bien ! Je resterai...
— Je ne vous le conseille pas, baron ! Si elle a effectivement envoyé M. de Vitry plus ou moins secrètement, vous ne ferez que déchaîner la foudre et ce ne sera pas bon pour les deux garçons... Vous risquez seulement d’aggraver leur sort. Voyez d’abord M. de Vitry et selon ce qu’il vous dira nous essaierons d’établir un plan ! Mais, avant tout, il faudrait essayer de savoir si la lettre à l’archiduc était authentique !
— Cela je peux l’attester, dit Giovanetti. Le prince me l’a montrée. Et maintenant, si vous me le permettez, je vais me retirer...
— Il est tard, il fait froid et vous n’êtes pas encore réchauffé ! fit la duchesse en souriant. Acceptez mon hospitalité pour cette nuit! J’ai déjà donné des ordres et l’on va vous conduire à votre appartement.
Visiblement à bout de forces, l’ancien ambassadeur ne se fit pas prier et suivit le valet que l’on venait d’appeler. Lorenza en fut satisfaite. Elle souhaitait vivement s’entretenir avec lui et ce serait peut-être possible au matin, avant qu’il ne rejoigne la rue Mauconseil. Elle-même se levait pour se retirer quand Clarisse lui demanda :
— Alors, ce concert ?
— Des voix superbes mais ennuyeux à mourir !
— Au point de vous mettre la figure à l’envers ? Quand vous êtes rentrée tout à l’heure, vous aviez l’air d’avoir subi un choc !
— Je n’ai aucune raison de vous mentir. Quelqu’un assistait à cette maudite soirée...
— Qui donc ?
— Le marquis de Sarrance dont on dirait bien que Concini l’a ramené à la Cour avec la pleine approbation de la Reine !
— On peut vraiment s’attendre à tout avec elle ! Maugréa le baron. Je pense que l’on va voir revenir tous ceux que notre bon Roi avait exclus. Lui avez-vous parlé ?
— C’est lui qui m’a parlé... et sur un ton que je n’ai pas apprécié. Il voulait me raccompagner ici et, pendant un moment, j’ai compris qu’il me l’imposerait au besoin... Soutenu par Concini avec qui il semble au mieux ! Sans l’intervention de Mme de Conti et de M. de Bassompierre, j’aurais dû souscrire à ses volontés... ou alors crier au secours!
— Il ne fallait surtout pas hésiter ! Avec ce genre de... rustre - car je ne vois guère d’autre épithète à lui appliquer, ce que je n’aurais jamais cru ! -, il n’y a pas d’autre solution. Demain, je vous accompagnerai au Louvre et j’irai voir M. de Vitry !
Ayant dit, il salua les dames et monta se coucher. Lorenza le suivit. Pas pour dormir, ses nerfs secoués une fois de plus ne lui laissant guère espérer un sommeil rapide et réconfortant, mais uniquement pour être seule avec cette nouvelle angoisse qui l’assaillait : Thomas !
Où était Thomas à cette heure ? Au fond de quelle prison? On ne l’avait certainement pas sorti de Bruxelles pour lui rendre la liberté ? Qu’il fût toujours avec Bois-Tracy était plutôt rassurant car celui-ci n’avait jamais trempé de près ou de loin dans la lamentable histoire qu’avait été son mariage avec le vieux Sarrance. A moins qu’on ne les ait séparés, auquel cas le pire serait à redouter !
Réfugiée au fond de son lit, les yeux grands ouverts sur l’obscurité qu’atténuait à peine le feu en train d’expirer, elle retrouvait intacte la terreur qui s’était emparée d’elle quand, à la veille de ses noces, elle avait reçu le billet menaçant la vie de Thomas. Elle l’aimait tant, à présent, ce grand garçon joyeux et tendre qui avait su éveiller en elle une sensualité qu'elle ne soupçonnait pas et lui avait rendu le goût de l’existence dans ce qu’elle avait de plus délicieux : le bonheur d’aimer et d’être aimée, de prendre et d’être prise, les caresses et les rires partagés et, aussi, la merveilleuse impression ressentie entre ses bras que rien ni personne ne pourrait l’atteindre dans un tel refuge ! Elle aimait son époux de tout son cœur, de toute sa chair et de tout son esprit au point de ne plus pouvoir imaginer vivre sans lui ! S’il devait périr, elle le rejoindrait dans la mort et tout serait dit...
En se retrouvant, ce soir, en face d’Antoine de Sarrance, la surprise avait été double : d’abord de le voir parader à la Cour d’où l’avait chassé le Roi ; ensuite de constater qu’il ne restait rien de l’élan qui l’avait poussée vers lui le jour de leur première rencontre. A l’ardeur de son regard elle avait répondu par une ardeur égale et cru longtemps qu’elle l’aimait. Jusqu’à se demander, alors même qu’elle appartenait à Thomas, quel effet pourrait avoir une rencontre avec lui. Elle le savait à présent : aucune émotion autre que la répulsion. Il s’était trop acharné contre elle pour que s’efface un jour le masque de haine qu’elle lui avait vu. Certes, il était toujours beau mais les flétrissures - légères quoique réelles - dont la débauche marquait son visage le rapprochaient de celui de son géniteur au cours de cette horrible nuit... Ces hommes appartenaient aux ténèbres alors que Thomas irradiait la lumière d’un amour total.
Quand le jour revint, ramenant Guillemette qui lui apportait une tasse de lait chaud et venait ranimer le feu, elle n’avait pas fermé les yeux même une seconde et cela devait se voir car la petite camériste s’exclama :