Ayant dit, M. du Plessis de Richelieu fit volter son cheval, piqua des deux et sortit du château au grand galop. Songeur, Courcy le regarda disparaître puis retourna rejoindre ses « femmes » qu’il trouva en discussion animée. Pour sa part, Clarisse était rouge de colère.
— Depuis quand un prince de Condé se mêle-t-il de porter jusqu’au trône la revendication d’un de ses paysans ? Comme s’il s’en était jamais soucié !
— Il pense ainsi s’attirer la confiance du peuple et je ne suis pas certain que ce soit un aussi mauvais calcul ! répondit son frère. Comme il n’est pas intelligent, on peut se demander qui a pu le lui souffler !
— Quelqu’un qui nous déteste, soupira Lorenza. Oh, père, je ne serai vraiment tranquille qu’une fois Thomas revenu ici !
— Moi aussi, approuva celui-ci. Et j’ai une furieuse envie d’aller à Senlis le récupérer. Les dernières nouvelles étaient assez rassurantes pour que l’on nous confie, à nous, les soins de sa convalescence ! J’irai demain !
Mais il n’eut pas à se déranger. Peu avant midi, le matin suivant, Gratien arrivait porteur de la nouvelle tant attendue.
— Le docteur Chancelier invite Monsieur le baron à venir reprendre Monsieur Thomas à la fin de la semaine...
— Pourquoi pas tout de suite ?
— Afin qu’il en termine avec son traitement que lui seul peut appliquer mais il m’envoie aujourd’hui pour que la maison soit prête à le recevoir !
— Cela fait des mois qu'elle est prête ! Ronchonna Courcy. Et il le sait bien !
— Je crois, suggéra Gratien en regardant Lorenza, qu’il pense surtout à Madame la baronne. Il y a si longtemps qu’elle n’a vu son époux !
— Il a tout de même meilleure mine que lorsque je le lui ai laissé ?
— C’est sans comparaison !
— Eh bien, alors ? Sa mémoire est revenue ?
— Non, hélas... C’est pourquoi le docteur a pensé à une période de préparation et...
— Je vois ce qu’il pense, sourit la jeune femme. Dites au docteur que j’attends mon époux depuis le jour de son départ et que je l’aime assez pour prendre patience jusqu’à ce qu’il me rende le même amour...
Chapitre XII.
La maison des bois
Il avait beau faire un temps affreux - l’un de ces temps d’automne gris, tristes, froids et brumeux qui ne donnent guère envie de sortir mais au contraire de se pelotonner au coin du feu dans un bon fauteuil, les pieds sur les chenets, un verre dans une main et un livre dans l’autre -, le baron Hubert se sentait heureux comme il ne l’avait pas été depuis longtemps. Il voyait tout en bleu azur et, par la portière de son carrosse de voyage - abondamment garni de coussins car il avait jugé plus prudent pour son convalescent d’effectuer la route à l’abri et non à cheval ! -, il souriait aux arbres en train de perdre leurs feuilles, au ciel pleurard, aux maisons dont les toits dégouttaient d’eau, aux rares passants qu’il avait ordonné à Aurélien d’éviter d’éclabousser, enfin à tout ce qui faisait partie de cette belle journée qui lui rendait son fils !
Il avait eu un mal énorme à empêcher Lorenza de l’accompagner, mais à force d’arguments la jeune femme avait fini par comprendre que les retrouvailles seraient plus frappantes dans le cadre chaleureux du château et dans une jolie robe plutôt qu’abritée sous un capuchon dans une chambre, confortable certes, car Chancelier tenait à soigner ses malades dans les meilleures conditions, mais au décor beaucoup moins flatteur !
Midi sonnait à l’église de l’abbaye quand l’attelage à quatre chevaux bais suivi des six de son escorte s’arrêta devant la maison dans un assourdissant bruit de sabots ferrés, de sonnailles et de voix masculines qui attirèrent aussitôt au-dehors le visage de Godeliève.
— Monsieur le baron ? s’écria-t-elle. Mais je croyais...
Elle n’en dit pas plus long... Son maître la repoussait pour se porter au-devant du visiteur.
— Comment ? Vous n’êtes pas dans votre lit ?
— Comment ça dans mon lit ? En voilà un accueil ! Vous saviez pourtant bien que je...
— Venez ! dit le médecin en le prenant par le bras pour le faire entrer dans le vestibule.
Il avait pâli et Hubert, saisi d’angoisse, en fit autant. Sans le lâcher, il l’entraîna dans son cabinet et le poussa dans un fauteuil qu’Hubert quitta aussitôt.
— Qu’est-ce que ça signifie ? Où est Thomas ?
— Si seulement je le savais ! répondit Chancelier soudain très sombre. Il y a deux heures environ, un gentilhomme en carrosse et escorté de serviteurs comme vous-même est venu chercher mon patient en disant que vous étiez retenu au lit par une forte fièvre et que vous l’aviez envoyé.
— Et vous l’avez cru ?
— Pourquoi non ? Il s’est annoncé comme votre neveu et le meilleur ami du baron Thomas ! Bien entendu, celui-ci n’a pas paru surpris. Il s’est inquiété pour vous et a suivi l’homme avec empressement.
— Il a donné son nom ?
— M. de Vitry ! Pour l’amour du Ciel, Monsieur le baron, asseyez-vous ! ajouta-t-il en obligeant Hubert, à deux doigts de s’évanouir, à reprendre sa place, sinon vous allez tomber. Godeliève, du rhum !
Courcy avala d’un trait le verre qu’on lui servit et qui le fit rougir d’un coup puis le tendit pour qu’on le remplisse de nouveau.
— Je n’ai jamais eu de neveu, souffla-t-il d’une voix éteinte ! Quant à Vitry, qui est en réalité capitaine des gardes du Roi, c’est sous son nom qu’on a assassiné M. de Bois-Tracy et mené mon fils aux portes de la mort !
— Mon Dieu ! Exhala le médecin en se signant. Et comme il ne reconnaît personne, il l’a suivi sans hésiter !
— Cette fois, je ne le reverrai plus... vivant !
Le mot, mêlé à un sanglot sec, eut du mal à passer, mais les larmes ne vinrent pas. Hubert de Courcy n’était pas homme à se lamenter sans bouger dans son coin. Un troisième verre avalé d’un seul trait comme le premier le remit d’aplomb.
— Où est Gratien ? demanda-t-il.
— Je rien sais rien car je ne l’ai pas revu, mais je suppose que les ravisseurs l’ont emmené ou...
— ... tué, c’est ce que vous pensez ?
Un mouvement d’épaules traduisit l’impuissance du docteur mais le baron continua :
— Ces gens n’ont pas l’air de laisser beaucoup de place au hasard. Comment était ce... Vitry ?
La description différait de celle déjà donnée et le mystère s’épaississait parce qu’elle ne correspondait à personne. Seulement à présent le problème en posait un autre. Comment ce misérable avait-il découvert la retraite de Thomas ? Et soudain, une pensée terrifiante traversa Courcy ! Une seule personne, avec les siens, savait où se trouvait son fils : ce jeune évêque de Luçon que Lorenza aimait bien et qui avait su gagner leur confiance ! Se pouvait-il qu’un homme de son nom se soit abaissé à un si vil métier d’espion ? Et d’espion au service de qui ? Ce fantoche de Concini qui avait entrepris de se faire roi de France et dans lequel il voyait un marchepied pour atteindre le pouvoir ? C’était à peine pensable ! Et eux qui avaient été assez bêtes pour avaler tous ses beaux discours! Par tous les diables de l’enfer, si jamais il réussissait à mettre la main dessus, Hubert se jurait bien de lui faire payer sa forfaiture...
Réfléchir! D’abord réfléchir... et aussi rentrer à Courcy où il n’imaginait que trop ce qu’il allait trouver : une demeure illuminée - le jour était si gris ! -, fleurie de tout ce qu’avaient pu fournir les serres, un personnel sur son trente et un et deux femmes émues aux larmes dans leurs atours les plus seyants ! Et il allait renverser tout cela, ramenant les ténèbres, le chagrin et l’angoisse. Plus cruelles encore qu’avant.