« Ô Seigneur, pria-t-elle tout bas, si l’un de nous a la chance d’en sortir vivant, faites que ce soit Thomas ! Même diminué, même privé de ses souvenirs, car ils sauront bien lui en susciter d’autres ! Aidez-moi à le sauver ! »
Elle fit un ample signe de croix et s’aventura sous le couvert des arbres...
Elle ne vit rien d’abord que le sentier tapissé de feuilles sèches se perdant sous l’enchevêtrement des branches. Puis soudain, elle sentit une présence derrière elle : un homme masqué armé d’un pistolet qui lui prit le bras.
— Par ici !
Il la mena jusqu’à un sentier où attendait une voiture dont tous les mantelets étaient baissés. Sur le siège, il y avait un cocher immobile et emmitouflé à l’instar d’un troisième homme, qui tenait la portière ouverte. Il lui fit signe de monter. Elle obtempéra. L’homme qui la guidait en fit autant et s'assit auprès d’elle.
— Allons ! dit-il seulement.
La portière se referma et Lorenza se trouva dans une quasi-obscurité qui, de nuit, devait être totale, mais qui gardait encore un semblant de clarté par les interstices des rideaux de cuir.
— Où m’emmenez-vous ? demanda-t-elle sans trop d’espoir de réponse.
Pourtant, il en vint une :
— Taisez-vous et tenez-vous tranquille ! Au moindre mouvement suspect je tire !
Il possédait une voix vulgaire, épaisse et presque pâteuse comme s’il avait bu. Elle s’offrit le luxe d’un petit rire.
— Cela m’étonnerait ! Il paraît que votre maître tient essentiellement à me voir... et en bon état !
— Taisez-vous ou je vous bâillonne !
— Dans ce cas...
C’eût été stupide en effet. Sa situation était déjà assez critique sans qu’on y ajoute un nouvel inconfort... La jeune femme s'établit de son mieux dans son coin en essayant de repérer le chemin de l’attelage. Depuis le temps qu’elle habitait Courcy, elle s’était suffisamment familiarisée avec les alentours du château ainsi qu’avec une partie appréciable de la vallée de l’Oise pour comprendre qu’on se dirigeait plutôt vers Paris. Mais sans doute ces gens se méfiaient-ils de son intelligence - et en cela ils lui faisaient grand honneur ! - car au bout d’un petit quart d’heure on prit à droite, puis à gauche, et encore à gauche, puis à droite et, après avoir fait plusieurs fois le tour de ce qui devait être un rond-point, on suivit enfin une direction dont elle était à présent incapable de dire si c’était celle du nord, du sud ou de l’ouest. La route, droite, ne présentait plus d’intérêt : Lorenza était bel et bien perdue mais, au fond, le lieu où se déroulerait son calvaire, et très certainement sa mort, avait-il quelque importance ?
Alors elle essaya de dormir afin de préserver ses forces autant qu'il était possible et le plus étonnant, c’est qu’elle y parvint en dépit des cahots du chemin.
Cependant le baron Hubert arrivait à Paris, sachant qu’en l’absence de la Reine il ne trouverait pas au Louvre celui qu’il cherchait. Il alla donc tout droit rue de Tournon où, la nuit commençant à tomber, l’hôtel de Concini brillait déjà de mille feux qui contrastaient avec sa propre demeure dont il avait fait différer les travaux depuis un moment. S’il avait toujours un fils, il les reprendrait, sinon, il vendrait le bâtiment dont il n’aurait plus alors aucun besoin...
Le portail du Florentin était grand ouvert pour laisser passer un carrosse aux rideaux baissés escorté de quatre valets. Aussi se hâta-t-il de s’y engouffrer avant qu’on ne le referme, mais aussitôt un palefrenier sauta à la bride de son cheval :
— Hé là, monsieur ! Où allez-vous ? On n’entre pas comme dans un moulin chez Monseigneur le maréchal d’Ancre !
— Ah, on lui donne du Monseigneur, maintenant ? Ce sera quoi la prochaine fois ? Sire ou Votre Majesté ?
— Monsieur, je vous prie de sortir !
— Et moi je veux voir votre maître quel que soit le titre que vous lui donnez ! Je suis le baron de Courcy et je n’ai pas pour habitude d’attendre derrière une porte. Allez le lui dire !
— Que Monsieur le baron m’excuse, fit l’autre en changeant de ton, mais c’est impossible : Monsieur le maréchal n’est pas ici !
— Difficile à croire au regard de toutes ces illuminations ! Alors peut-être son épouse ? Je ne suis pas difficile !
— Oh ! Monsieur le baron !...
— Cela ne vous ressemble pas de mettre un domestique dans l’embarras, Monsieur de Courcy ! Intervint un personnage qui venait de sortir de la maison, attiré par la discussion.
Sans plaisir aucun, Hubert reconnut Antoine de Sarrance et se renfrogna.
— Que faites-vous là ? Il est vrai que vous êtes un familier des lieux à ce que l’on dit...
Sarrance qui était tête nue esquissa un salut moqueur.
— Et on a raison. Les demeures du maréchal et de la marquise sont les endroits où l’on s’amuse le plus à Paris ! Songeriez-vous à rejoindre notre joyeuse bande ? Vous avez dépassé l’âge des fredaines...
— Trêve d’insolences ! En réalité, Concini ne m’intéresse qu’à moitié. C’est son nouveau fidèle que je veux rencontrer !
— Fidèle ?
— Du moins je le suppose puisque Concini lui a fait prendre rang dans la maison ecclésiastique de la Reine ! Comme si, avec je ne sais combien de prêtres, elle n’en avait pas suffisamment, mais celui-là parle si bien... outre qu’il est loin d’être laid !
— Ah, le petit Richelieu ?
— C’est ça ! L’évêque de Luçon !
— Il vous a fait quelque chose ?
— Je pourrais vous répondre que cela ne vous regarde pas mais comme je suis pressé et que je voudrais le rencontrer, son adresse me suffira !
Sarrance éclata de rire.
— Et vous imaginez que je la connais ? Ce n’est pas parce qu’il a séduit Concini et sa femme qu’il compte au nombre de mes amis. Donc, son adresse, je l’ignore. Le maître d’hôtel vous renseignera peut-être ?
L’idée traversa Hubert de gifler cette face ricanante mais il n’avait pas de temps à perdre en vaine querelle. Il haussa les épaules.
— Merci de votre... obligeance ! Je vais plutôt la demander à donna Leonora que l’on dit fort pieuse !
— Elle ne vous recevra pas : elle a ses crises ! De toute façon, l’adresse ne vous servira à rien : l’évêque n’y est pas pour l’excellente raison qu’il est sorti il y a peu avec le maréchal pour aller... je ne sais où ! Mais comme on m’a prié d’attendre, c’est ce que je vais faire. Me tiendrez-vous compagnie ?
— Ce ne serait agréable ni pour vous ni pour moi ! Je vous donne le bonsoir et je reviendrai plus tard !
Il patienterait le temps qu’il faudrait certes mais pas en compagnie de ce garçon, qu’il appréciait autrefois cependant quand il était l’ami de Thomas et que tous deux partageaient le même logis, mais il ne pouvait lui pardonner l’acharnement qu’il avait mis à vouloir la mort de Lorenza, acharnement qui avait brisé leur amitié... Il choisit donc de guetter le retour du Florentin dans ses propres murs, si peu confortables qu’ils soient.
Quittant ce qui était maintenant l’hôtel d’Ancre, il se fit ouvrir par le gardien qu’il entretenait à l’année. Un brave homme, ancien soldat, dont la femme ne verrait aucun inconvénient à servir du vin chaud à son escorte. Tout compte fait, lui-même en boirait volontiers une petite pinte...
L’arrêt brutal de la voiture réveilla Lorenza. Il faisait presque nuit. Le regard embrumé, elle serait tombée si une main ne l’avait retenue quand on lui avait ordonné de descendre, elle se tordit néanmoins le pied et la douleur la réveilla tout à fait. Celle qui l’avait aidée était une femme sans âge, sans couleur, sans signe distinctif, à peine plus qu’une ombre, mais sa poigne était solide et elle la soutint pour monter les quelques marches donnant accès à la maison dont elle eut à peine le temps d’apercevoir l’extérieur...