Le sourire de Thomas s’effaça.
— Ce qui signifie ?
— Que je vais la prendre là, devant toi, dans ce lit qui nous attend et que tu ne perdras pas une miette de mes exploits. Filez, vous autres !
D’un geste accompagnant la parole, il chassait les valets. D’une voix redevenue paisible, Thomas demanda :
— Pourquoi voulez-vous l’accabler si vous l’aimez ? Si nous sommes mariés c’est elle que vous allez faire souffrir... puisque moi je ne la connais pas !
— Même d’elle, tu ne te souviens pas ?
— Non. Pardonnez-moi, Madame ! Il est probable que si on m’en laissait le temps, je vous aimerais comme vous méritez de l’être car je n’ai encore jamais vu pareille beauté. Est-ce que... vous m’aimiez ?
— Oh Dieu ! Oui... Je vous aimais et je vous aime toujours...
— Alors, Vitry - c’est votre nom n’est-ce pas ? -, mon « ami » Vitry, pourquoi voulez-vous lui infliger cette humiliation ?
— Parce qu’elle la mérite ! Je te l’ai dit, elle m’a désobéi et maintenant, elle va payer ! Ensuite, sois tranquille, je me débarrasserai de toi...
— Et elle ? Vous la tuerez aussi ?
— Non... Pas tout de suite ! Elle vivra ici et je viendrai la voir selon mon bon plaisir ! Ce sera souvent, je pense... Mais puisque tu ne te souviens plus, nous allons la découvrir ensemble ! Déshabillez-vous ! ordonna-t-il en se tournant vers la jeune femme...
— Que je... ?
— Immédiatement !
— Et si je refuse ?
— Je ne crois pas ! Vous voyez ce bandeau de fer ? Il est bardé de pointes à l’intérieur et muni d'une vis derrière que l’on peut serrer. Quand le sang coulera, évidemment votre Thomas verra moins nettement ! Allons, pressons ! Sinon je vais donner un tour à la vis !
— Désolée, mais je ne sais pas me déshabiller seule ! J’ai l’habitude d’une femme de chambre !
— Dieu que vous êtes agaçante!... Enfin... Je vais vous assister !
Il se rapprocha d’elle pour dégrafer la robe. Lorenza fit volte-face. A ce moment, la dague surgit et frappa... un peu à l’aveuglette à cause de la trop forte tension nerveuse de la jeune femme. Elle réussit seulement à le blesser... Il émit une sorte de beuglement puis la frappa et l’envoya à terre où elle se fit très mal contre le lit et s'évanouit.
— Lorie ! Non ! hurla alors Thomas, affolé.
Ce cri retint le poing du dément prêt à cogner encore. Il regarda son prisonnier avec stupeur.
— Lorie ?... On dirait que la mémoire te revient !
— Suffisamment pour savoir ce que tu vaux !...
— Oh mais cela change tout!... Ma jouissance n’en sera que plus vive puisque tu vas pouvoir apprécier en connaisseur notre nuit d’amour…, et fais-moi confiance, je me sens plein de vigueur.
— Ton sang coule pourtant !
— Ce n’est pas grave ! Va me chercher un tampon de linge, toi ! ordonna-t-il au valet réapparu quand il avait entendu du grabuge. Et puis va-t’en.
Les charmes d’une noble dame ne sont pas pour les yeux d’un larbin !
Cependant, il ouvrait son pourpoint laissant apparaître une blessure en dessous de l’épaule. Il y appuya le linge apporté par le domestique et reboutonna le vêtement qui le maintint en place. Après quoi, il s’agenouilla près de Lorenza qu’il commença par dépouiller de ses bijoux pour lesquels il eut un sifflement admiratif avant dans les glisser dans sa poche.
— Voleur en plus ! Jeta Thomas, dégoûté. Tu es vraiment parfait. Tue-moi et finissons-en !
— Te tuer ? Tu es malade. Cela viendra peut-être... après le spectacle, et ce poignard m’a même donné une idée, ajouta-t-il en ramassant la dague. C’est elle qui aura ce plaisir! Pour te délivrer quand elle t’entendra hurler sous la torture. Cela me permettra de la renvoyer en place de Grève quand je me serai bien repu d’elle ! Mais d’abord, réveillons la belle endormie !
Se penchant à nouveau sur Lorenza, il la gifla à deux reprises à toute volée et, en effet, elle revint à elle sous le regard angoissé de son époux. Puis il la jeta dans un fauteuil et lui fit avaler un verre d’eau-de-vie qui la brûla mais acheva de la ramener à la réalité. Tout de suite son regard chercha Thomas. Avait-elle rêvé tout à l’heure quand elle avait brandi la dague ? L’angoisse qu’elle lut dans ses yeux lui fit comprendre qu’elle ne s’était pas trompée : il l’avait reconnue!
— Eh oui, confirma Sarrance, goguenard. Notre ami Thomas a recouvré la mémoire. En vous voyant sans doute ? Vous opérez des miracles. Ce dont je me réjouis parce qu’il va pouvoir apprécier toute la saveur de notre nuit d’amour !
— Vous êtes un suppôt du diable ! Jeta Lorenza écœurée.
— Vous croyez ? C’est possible mais, après tout, pourquoi pas ? Avec vous, j’espère encore reculer mes limites! Revenons à présent où nous en étions : déshabillez-vous... mais pas trop vite que j’aie le temps d’apprécier ! fit-il en jouant avec la dague qu’il venait de ramasser. Allons ! Que l’on obéisse sinon ce cher Thomas va souffrir, continua-t-il en se rapprochant de la chaise de fer. Il tendait la main vers la vis commandant les pointes. Désespérée, les larmes aux yeux, Lorenza commençait à faire glisser les épaules de son décolleté quand un véritable vacarme éclata dans la maison fait de cris et du fracas des armes.
— Allons bon ! Qu’est-ce encore que cela ! Maugréa Sarrance en s’élançant hors de la chambre, où il revint beaucoup moins rapidement et à reculons, la pointe d’une épée appuyée sur sa poitrine...
A l’autre bout de l’arme, se trouvait un gentilhomme pas très grand mais vigoureux, au faciès brutal barré d’une moustache noire.
— Lâchez cette dague ou je vous embroche ! Un peu plus tôt, un peu plus tard, et pas d’illusion, vous ne m’échapperez pas !
— Vous iriez jusqu’à m’assassiner ?
— Sans hésiter ! Ne fût-ce que pour vous apprendre à vous cacher sous un nom honorable pour commettre vos crimes ! Comment ça va, Courcy ?
— Aussi bien que possible dans cet attirail, capitaine de Vitry ! Et très heureux de vous voir ! Par quel miracle êtes-vous ici ?
— On vous dira ça plus tard ! D’abord en finir avec ce truand ! Mais pas devant une dame ! Mes hommages, Madame! (Puis élevant la voix :) Si vous voulez bien venir, Monseigneur, je crois que les secours de l'Eglise ne vont pas tarder à être les bienvenus.
Elégant à son habitude dans son habit mi-cavalier mi-ecclésiastique, l’évêque de Luçon effectua une entrée aussi paisible que s’il s’agissait d’un salon, eut un « oh ! » offusqué en apercevant Lorenza et vint lui prendre la main pour la faire asseoir.
— Que vous êtes pâle ! Comment vous sentez-vous ?
— Pas trop mal depuis un instant mais j’irais mieux encore si vous aviez la bonté de délivrer mon époux !
Elle désignait Thomas qu’il n’avait pas vu mais vers lequel il s’empressa.
— Dieu tout-puissant ! Pardonnez-moi, baron ! Je ne me souciais que de secourir Madame de Courcy !
Avec une joie immense, Lorenza entendit le rire de Thomas.
— Oh, je ne vous en veux pas ! Cela me paraît même tellement naturel !
Cependant, tandis que le jeune prélat le libérait avec d’infinies précautions, Thomas observait avec inquiétude les hommes de Vitry en train de ligoter Sarrance à demi fou de rage.
— Vous avez l’intention de le mener à la Bastille ? demanda-t-il. Je préférerais que vous me laissiez me battre avec lui. Un procès ne pourrait que raviver les blessures de ma femme ! Laissez-moi l’affronter l'épée à la main !
— La Bastille ? Un procès ? Pour quoi faire ? Pour que Concini, son protecteur, achète les juges ou ordonne bonnement qu’on le délivre ? Le Roi et plus encore la Régente sont loin ! Le ruffian italien règne !