— Mais on ne peut pas le savoir tout de suite !
— Aussi peut-on réitérer le lendemain et les nuits suivantes jusqu'à ce que l’enfant s’annonce. Mais une fois seulement. Vous devriez vraiment vous confesser, ma fille ! Combien... de fois ?
Révoltée par ce regard devenu trouble, cette bouche que la langue humectait sans cesse, la jeune femme riposta :
— En vous confiant que nous nous étions aimés follement, je crois avoir tout dit. De toute façon, il faudra vous en contenter, ajouta-t-elle, désinvolte, en se dirigeant vers la sortie après une brève génuflexion et un signe de croix.
Elle tremblait de colère. Qui était ce prétendu homme de Dieu qu’elle jugeait répugnant ? Et par quelle incroyable alchimie avait-il réussi à se faire confier les consciences d’une si importante châtellenie que Courcy ? Elle n’imaginait pas un instant
Clarisse en train d’ouvrir son âme à un religieux de cette espèce. Quant au baron Hubert, la seule évocation était à mourir de rire...
Mme de Royancourt n’étant pas encore rentrée, ce fut auprès de ce dernier qu'elle alla s’épancher. Il s’occupait à vaporiser du liquide sur les feuilles brillantes de ses orangers.
— Ne m’en veuillez pas, s'il vous plaît, mais je ne parviens pas à comprendre comment ce prêtre est devenu votre chapelain ! Il est si différent du château et de ses habitants !
— C’est le moins que l’on puisse dire et si le père Fremyet ne nous l’avait amené lui-même avant de partir se soigner aux eaux de Bourbon, son pays natal, on ne l’aurait jamais accepté. Le père de Luna est un Jésuite et je n’ai jamais aimé ces gens-là, mais comme sa présence ici n’est que temporaire, on n'a pas voulu ergoter. Evidemment, nous aurions préféré qu’un autre vous mariât mais faute de grives on se contente de merles... Et Thomas avait tellement hâte d’être heureux ! J’ai l’impression qu’il l’est, aussi tâchez de supporter Luna jusqu’au retour de notre brave Fremyet !
— Je promets... à condition qu'il ne vienne pas tous les matins me demander de me confesser ! Je ne veux pas qu'il abîme mon bonheur !
Lâchant son vaporisateur, il se tourna vers elle et la prit aux épaules.
— Votre bonheur ! fit-il, ému. Quel joli mot dans votre bouche, mon enfant ! Et combien doux à entendre ! Car vous l'êtes, n’est-ce pas ?
— Heureuse ? Oh oui ! Merveilleusement ! Je n’aurais jamais cru que ce fût possible de l’être autant ! Thomas est...
— N’en dites pas plus !
Il l’embrassa sur les deux joues puis revint à son oranger.
— Quant au père de Luna, vous n’avez qu’à lui dire chaque matin : « Rien à déclarer ! » et moi je vais essayer de savoir si notre Fremyet a bientôt fini de barboter dans son bain!
Au grand soulagement de la famille, le carrosse de Bellegarde ramena Thomas le soir même mais ce qu’il avait à leur apprendre ne manquait pas d’intérêt. Non seulement le Roi n’avait pas réclamé le jeune homme mais le messager était inconnu au bataillon des courriers. Quant à M. de Bellecour, il était depuis quinze jours dans ses terres du Nivernais. Aussi ledit messager recevait-il à cette heure l’hospitalité du Grand Châtelet où l’on allait œuvrer pour en savoir davantage.
— Je pense que l’on peut se fier à mon ami d’Aumont pour faire le nécessaire, commenta le baron Hubert à qui Thomas venait de remettre une lettre du Grand Prévôt. Il n’aime pas du tout mais pas du tout cette histoire ! Une chose est certaine, en tout cas, c’est que notre bon roi Henri t’a sans doute sauvé la vie en envoyant Bellegarde jouer les pères nobles à la chapelle. Tu avais toutes les chances de tomber dans une embuscade !
— Au fond, il aurait peut-être mieux valu que je joue le jeu mais suivi à distance raisonnable par une troupe de nos gens dûment armés. On aurait su au moins qui l’on allait rencontrer !
— Pas sûr ! Escamoter quelqu’un de nuit et sur un chemin forestier n’est pas un exploit...
— Et ces angoisses à cause de moi ! Gémit Lorenza, toute sa joie disparue. Si seulement je pouvais savoir qui est mon ennemi !
Voyant sa détresse, Clarisse jugea qu'il était temps de s'en mêler.
— Cessez de vous tourmenter ! On finira par y arriver puisque nous avons le Roi pour nous ! Ne songez qu’à être heureuse ! Tenez ! Montez vite dans votre chambre. On va vous y apporter votre souper ! Vous avez besoin d’être seuls tous les deux !
— Et nous aussi, nous serons seuls tous les deux ? Ronchonna son frère en contrefaisant sa voix. Vous n’allez pas commencer à nous obliger à jouer les vieux croûtons ?
— Vous ne courez aucun danger, lança Thomas qui avait déjà saisi sa femme par la taille pour l’entraîner vers l’escalier.
Clarisse, qui les regardait s’envoler en souriant, glissa son bras sous celui de son frère.
— Cessez donc de grogner ! Vous n’avez donc pas envie d’avoir des petits-enfants ?
— Quelle question ! Et où allez-vous encore ?
— Dire à Chauvin qu’on laisse le plateau à leur porte ! Je suis certaine qu’ils n’ouvriront pas avant un moment !
Rien n’était plus juste. A peine la porte refermée d’un coup de talon, les jeunes époux s’étaient enlacés pour un long, long baiser qui manqua faire défaillir Lorenza. Après quoi, Thomas la fit asseoir devant le grand miroir de la table à coiffer, se plaça derrière elle et commença à retirer les épingles à têtes de perles et les petits peignes précieux qui maintenaient sa chevelure. La soie vivante de ses cheveux coula sur ses mains en un flot doré dans lequel il enfouit son visage pour mieux le respirer. La haute collerette de dentelle l’encombrait et il l'ôta avant de s’attaquer au corsage qu’il dégrafa. Le miroir renvoya à Lorenza leur double image qui la fit rougir.
— Thomas ! murmura-t-elle tandis qu’il dégageait ses épaules et les baisait. Est-ce que...
— Allons, mon cœur, souffla-t-il contre son cou. Vous n’allez pas me refuser le délicieux plaisir de vous déshabiller ? Autant vous prévenir tout de suite, c’est une habitude qu’il vous faudra prendre car j’ai bien l’intention de ne pas m’en priver. Avec des variantes, évidemment ! Acheva-t-il en riant. Alors pensez à autre chose, faites une prière ou racontez-vous une histoire mais ne me gênez pas !
Elle se mit à rire et leva les bras pour attirer sa tête contre la sienne...
Chapitre II.
Un honneur peu souhaité !
Le bonheur !... Pendant les jours - et les nuits ! -qui suivirent, il s’amplifia et s’épanouit comme une fleur entre les deux jeunes gens. Pour leur plus grande joie, le froid et la neige avaient investi le pays dès le 1er janvier, refermant sur eux-mêmes villages et châteaux qui ne communiquaient plus guère entre eux. A Chantilly, le jeune Montmorency avait bien émis l’idée d’une chasse au loup mais s’en était tenu là quand son père lui avait ri au nez, en le mettant au défi d’en rencontrer un seul dans la région depuis que son grand-père en avait fait une telle hécatombe que les rares survivants avaient quitté une terre aussi inhospitalière et qu’il ne s’en trouvait plus aucun à dix lieues à la ronde...
A Courcy, des feux d’enfer ronflaient à longueur de journée dans les vastes cheminées : Clarisse était frileuse et Hubert avait des rhumatismes même s’il refusait farouchement de l’admettre. Il se réfugiait le plus souvent dans son orangerie - chauffée elle aussi ! - où, loin des regards amusés de sa sœur, il s’ennuyait ferme la plupart du temps, ne ressuscitant qu’à l’heure des repas quand les jeunes époux faisaient leur apparition, la main dans la main, souriants et si visiblement heureux qu’il était difficile de leur en vouloir de vivre enfermés la plupart du temps.