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Béru radine sur ces entrefesses. Il nous dit avoir mangé un cassoulet, nous le prouve en tirant une salve de pets qui ressemble à un discours de Le Pen, et ajoute que est-ce on a besoin d’lu ? Qu’autrement sinon, il irait rejoind’ sa maîtresse (il tient au terme qu’il juge pompeux et qui le flatte donc) vu qu’elle a congé et qu’au lieu d’lu laisser correriger ses cayets, il va lu faire fumer les meules voire la sodomiser un brin, en camarade, pour peu qu’il existât quelque oléagineux chez elle permettant la délicate opération. Il est hilare, roteur, péteur, content de son ventre plein, de ses testicules débordants, de la vie que, merde, on n’a encore rien fait d’mieux !

Gouailleur, il pouffe :

— Et ta chère et tendre, t’as retrouvé son cadav’, Sana ?

— Pas encore, fais-je, alors à défaut je vais retrouver son époux.

Il rembrunit :

— Où ce que ?

— En Indonésie.

— C’est dans la Cordelière des Gendres, ça[3] ?

— Presque : entre le grand-duché du Luxembourg et la Nouvelle-Calédonie.

— Mouais, j’vois.

Il désigne les horaires d’avions accumoncelés sur le burlingue de M. Blanc.

— Tu vas yeyaller tout seul ?

— Non, avec Jérémie !

Pour lors, c’est le cataclysme. Un typhon, phon, phon, les grosses marionnettes ! Il pourprit ! Une écume blanchâtre (quelle dégueulasserie, les mots en « âtre ») fleurit à ses commissures de police. Le regard devient gothique flamboyant, avec les ombres menaçantes du cyclone en gestation.

— C’est ben pour dire d’claquer l’alpine du contributionniste, bordel à cul de merde ! Môssieur prend ses cauchemars pour la réalité ! Un simp’ rêve y suffit pour qu’y va partir à dache s’offrir les belles vies : palace avec bidet, saumon fumé-mayonnaise, massages taille-le-landais avec doigt dans l’ogre et gouzi-gouzi su’ la tête d’nœud ! J’vois l’topo ! Au moind’ songe biscornu, c’grand glandeur met les voiles ! Ah ! la conscience profefessionnelle, parlez-moi-z’en ! N’importe quel prétesque lu sont bons ! Ça s’relâche à mort !

« Mais j’laisserai pas passer ! Ça m’incombe, côté moral ! Si les mœurs devient indissolubles, j’ai un droit d’regard ! J’porte le pet en n’haut lieu. Le zef va s’mett’ à souffler dans c’te taule d’enculés, j’y annonce ! On voira tomber des tronches ! Des sections va être prises, j’promets ! Quitte à c’qu’ j’allasse causer au président d’la Raie publique. J’l’connais : poli, aimab’, mais, av’c lu faut pas qu’on s’amuse à courir su’ la bite de l’État ! Il intolère les déconnes dérapantes, l’président. Intégriste, c’est sa nature. Jamais t’entendras causer qu’il a bricolé sa feuille d’impôts ou enfouillé des plates-bandes[4].

« Lorsqu’il va êt’ au parfum qu’ les derniers d’ la France sert à payer des voiliages d’noces aux fonctionnaires, ce cri ! Putain, quand il fait l’mauvais, ça serre les miches dans la lanterne haute[5], l’président. Ya yaïe, sa frime engoncée ! Y a plus d’lèvres, plus de z’yeux, juste des traits noirs ! On direrait un sabot d’croupier ! Et quand un sabot d’croupier t’mate d’cette manière, t’as coquette qui r’croqueville, espère ! Elle bigorneaute à outrance ! J’cause d’voiliages d’noces parce qu’y faut pas m’prendre pour plus con qu’j’sus.

« Ça s’entrave gros comme une cathédrale qu’tu donnes dans la bagouze à molette av’c c’négus ! Tu l’fourres, inutile d’l’nier. Ou alors y te pompe av’c les spontex qui lui sert d’lèvres. Y t’lèche sous les burnes, j’vois pas autrement ! C’t’engourement soudain pour l’chocolat, j’sus pas tombé d’la dernière pluie ! Que mister Bambouli t’pète l’fion à l’Hôtel d’La Membrane Volage, ça me laisse froid. C’est ton cul, t’as l’droit ! Encore qu’j’trouve dommage, un mec comme toi, d’tomber dans la bourrée négrote. Mais où j’en suis, c’est d’t’voir assouvir en lapidant les fonds s’crets. C’est des abus qu’on peut pas admettrer. J’sus français, moi, m’sieur l’commissaire. D’la tronche aux pinceaux ! De père en fils et vice versa ! Déjà qu’la France ressemb’ à un’ vache hindoue ! C’est de ça qu’é crève, la pauv’ bête : des zabus ! Les Français a découvert qu’on les gruge mais… »

J’interromps enfin :

— Ont découvert ! hurlé-je. Lorsqu’on joue les moralistes, il faut le faire dans un langage correct. On dit « les Français ont découvert ». Ont découvert. ONT ! ONT !

Il se tait. Sa mousse labiale, y en a gros comme un chou-fleur maintenant. Il laisse flotter son regard incandescent sur le bureau, puis, soudain, un sale sourire de marchand d’actions bidons lui vient.

— Quand on donne des l’çons de grammairage, mon pote, faut savoir où qu’on va.

Il me montre un titre dans L’Evénement du Jeudi étalé sur la table de Jérémie.

Je lis : « Les banquiers à découvert. »

Il le brame :

— Les banquiers à découvert ! Tête de nœud ! A découvert ! A, A, A ! Et pas ONT.

Epuisé, il rote avec désenchantement et marche à reculons jusqu’à la sortie. Avant de quitter la pièce, il soupire :

— J’sus pas méchant, les gars. Non, franch’ment, j’sus pas méchant, mais je voudrerais qu’ vot’ avion s’écrasasse comm’ une merde. Y m’semb’… j’sais pas… qu’ça m’ferait du bien. Mouais, c’est ça : ça m’ferait du bien !

Et il part donner le meilleur de lui-même à sa muse.

EN UN CON BAS DOUTEUX

Je vais te dire : Djakarta, c’est un fantastique entrelacs d’autoroutes ceinturant des îlots de gratte-ciel. Entre ceux-ci, il y a des maisonnette basses, déglinguées et ravaudées, sortes de masures qui cependant ne créent pas un univers de bidonville. C’est pauvre, condamné, surpeuplé, mais digne. Une marée continuelle de voitures déferle sur les larges voies qui sont superposées, qui décrivent des boucles, qui forment des montagnes russes, qui plongent dans des tunnels pour, dès leur sortie, jaillir à l’assaut du ciel. Ces gigantesques rubans routiers ôtent à Djakarta son caractère de ville. Il s’agit plutôt d’une formidable concentration humaine. La population et les bagnoles font, si je puis dire, bon ménage.

Les immenses artères se trouvent envahies par un grouillement d’enfants, vendeurs de n’importe quoi — journaux, friandises, billets de tombola, objets de pacotille en tout genre —, lesquels profitent des incessants ralentissements de la circulation pour proposer leurs humbles marchandises aux conducteurs. Le ciel pollué, noir et lourd, dégage une sale odeur de soufre et d’essence ; se mêlent à ces remugles ceux qui émanent des canaux fangeux sillonnant la vieille ville. Des bananiers étiques poussent anarchiquement au bord des routes, sur des talus galeux jonchés de « sous-détritus ». Par instants, la voie que tu suis débouche dans une zone ultramoderne où se dressent des immeubles vertigineux, neufs, pimpants, dont les mille fenêtres emprisonnent les nuages bas. Ces gratte-ciel abritent des hôtels ou des maisons de commerce fameuses, japonaises ou américaines.

Ce qui déroute dans cette capitale de six millions d’habitants c’est l’absence apparente de boutiques. Quand on y circule pour la première fois, on n’aperçoit aucun magasin. C’est que les petits commerces sont centralisés dans des blocs immenses, sortes de souks organisés où, sur dix ou douze étages, se succèdent des alvéoles affectées à une infinité d’artisanats ou de négoces. Les points de vente huppés se tiennent dans des maisons confortables, voire des villas, dont l’extérieur ne révèle rien de ce qui se négocie à l’intérieur. Pas de vitrines, ou rarement. Les kaki-lima, petits éventaires en plein air où l’on vend de la soupe, des brochettes de viande ou des beignets composent une sarabande bigarrée. Kaki-lima signifie « cinq pattes » ; on les appelle ainsi parce que chacune — d’elles repose sur trois pieds ! Avec ceux du client, le compte y est.

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3

Nous supposons que Bérurier veut parler de la cordillère des Andes ; mais c’est là une estimation que nous ne garantissons pas. De toute façon, le lecteur n’en a rien à secouer.

L’Editeur.
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4

Tout porte à croire que Bérurier a employé plates-bandes pour prébendes.

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5

S’agirait-il de « Landerneau » ?