Il me revient alors d’avoir aperçu une collection de cette arme moyenâgeuse dans le salon des Lassale-Lathuile, à Paris. Le hobby de mon cher contrôleur, probable. A peine arrivé, il s’empresse d’acquérir une pièce rare pour enrichir son petit musée. Est-ce là la réaction d’un bonhomme qui a assassiné sa femme ? Réponse : pas tellement. Avec l’arme, se trouve un carquois (d’origine, lui aussi, je suppose) en cuir ouvragé. Il contient encore deux flèches qu’il vaudrait mieux ne pas prendre dans les miches, à voir leur pointe effilée. Elles aussi sont en bois dur. Dur comme de l’acier !
Je remets ce fourbi en place. La troisième valoche est totalement vide.
Nouvelle sonnerie du biniouf. Je décroche.
— On vient ! annonce le Noirpiot !
Tu verrais ce petit nuage tournicotant que je laisse derrière mes talons. Je largue la chambre, claque la lourde, cavale plus loin que les ascenseurs, jusqu’à la porte de secours.
M. Blanc, chose rarissime, est en plein gringue avec une dame lorsque j’atterris dans le hall. Ils se tiennent sagement assis sur une banquette et discutent en se souriant, les yeux dans les yeux. Lui a sa main droite posée sur le velours du siège et la dame sa main gauche. J’enregistre l’aimable manège de leurs doigts en train de faire connaissance. Adorable ! La personne du sexe est ricaine. Elle a dépassé la cinquantaine sans crier gare, ce qui ne l’empêche pas d’être roulée de first. Elle a les cheveux bleus comme un paquet de gauloises ordinaire, un rouge à lèvres mauve et du rose à joues violet foncé. L’ensemble est insolite, mais la dame étant sympa, on se porte acquéreur.
Etant homme de bonne tenue, je laisse ces tourtereaux à leur prise de contact et vais m’affaler dans un fauteuil proche. La fatigue du voyage me brûle les paupières. Je pense à la mousmé de Lassale-Lathuile : elle m’a court-juté la glanderie et, franchement, je me la tirerais avec fougue si l’occasion m’en était fournie. Je suppose que Jérémie est dans les mêmes dispositions physiques, c’est pourquoi il fait du contrecarre à sa douce Ramadé, lui d’un tempérament si fidèle.
Au bout d’un instant de marivaudage sur banquette, M. Blanc décide d’abandonner les figures imposées pour aller se livrer à des figures libres en lieu clos. Son gros regard en boules de billard m’interroge.
« Puis-je m’absenter une heure ? » demande-t-il.
« Et comment ! » lui répond le mien, tout aussi éloquent malgré l’assoupissement qui m’empare.
Alors, le Bronzé se lève, tend galamment son bras à la quinquagénaire et l’emporte en direction des ascenseurs.
Veinard ! Et veinarde ! Avec le chibraque que se col-tine môssieur l’Assombri, elle risque de ne pas s’embêter, la mère ! Elle jouerait à saute-mouton avec l’obélisque de la Concorde, sa cramouillette ne prendrait pas davantage de risques !
Lorsqu’ils ont disparu, une profonde tristesse me point. Je décide que, si je n’ai pas l’opportunité de me dégorger le Marius, autant roupiller. Je sais que Lassale-Lathuile va quitter Djakarta lundi prochain. D’ici là il est peu probable qu’il entreprenne des trucs notoires. A vrai dire, je commence à regretter l’élan qui m’a incité à le courser jusqu’en Indonésie. Tout laisse à croire qu’il est ici en voyage de noces adultérines, si tu me passes l’expression (et si tu ne me la passes pas, je te la passe outre !). En fait, il se conduit en amoureux avec la fausse Mme sa dame. Un peu de tourisme et beaucoup d’hôtel ! Sait-il seulement qu’il est veuf ?
Je me braque sur la question, tout en me dessapant. Elle est épineuse. Je finis par incliner pour le « oui ». Selon sa concierge, Marie-Maud s’apprêtait à partir pour l’Indonésie. Il aurait porté ses bagages à la consigne au préalable (sans doute s’en est-il défait autrement puisqu’il comptait emmener une autre gerce), n’empêche que sa légitime croyait partir. Elle pensait l’accompagner, mais lui savait qu’il n’en serait rien ! Alors ?
C’est fameux de se zoner à poil dans un lit aux draps nickels quand on est crouni ! Certes, le drap du dessus ressemble un peu au chapiteau du cirque Bouglione, vu mon état de santé suractivé. Le tricotin freine l’endormissement, mais je finis par sombrer (pavillon haut) en rêvant que j’arpente l’allée centrale d’un harem, laquelle est bordée de filles nues, agenouillées dos à moi en attente (à héritage) de mon bon plaisir. C’est là du songe surchoix qui ne s’obtient généralement que par la prise de drogues hallucinogènes.
Je suis durement arraché à cette félicité par le téléphone.
Un préposé au standard me demande si je suis bien moi. Je réfléchis et lui réponds « qu’indéniablement ». Rassuré, il me prie de ne pas quitter. Un organe féminin, flûté, m’avertit qu’ici Mme Dingding Dong. Elle vient me voir de la part de l’ambassadeur de France ; elle se trouve en bas ; peut-elle monter ? J’empresse de répondre qu’oui. Raccroche, saute du lit, renonce à m’habiller (le temps imparti étant trop court), me rabats sur un peignoir de bain blanc brodé d’un « H » majuscule qui ressemble à un but de rugby, me donne un coup de râteau juste à l’instant où l’on sonne.
Mme Dingding Dong doit mesurer un mètre cinquante-deux grâce à ses talons hauts et à son chignon. Ce qui ne l’empêche pas d’être mignonne tout plein. Peau très bistre, yeux à peine bridés, bouche charnue. Elle porte une robe jaune, légère, que tendent à la faire craquer deux loloches qu’Henri IV (ou Sully ?) aurait préférées à labourage et pâturage comme mamelles pour la France.
— Pardonnez-moi de vous recevoir dans cette tenue, fais-je, mais je m’apprêtais à prendre une douche lorsque vous vous êtes annoncée.
Elle assure en souriant que c’est très bien ainsi, et je la conduis au salon où elle opte pour un fauteuil qui la happe totalement, telle la gueule d’un requin femmivore.
— Puis-je vous offrir quelque chose ? m’enquiers-je.
— Un gin-tonic ! répond-elle, pas bégueule.
J’en prépare deux, particulièrement forts.
Elle remercie, y goûte et me demande si cela m’ennuierait d’y ajouter un peu d’angustura afin de le corser.
Je fais droit à sa requête, rajoute encore du gin et cette fois, elle est parée pour la jacte.
— Je suis traductrice, dit-elle, et travaille pour le gouvernement. M. l’ambassadeur de France est devenu un ami. Il m’a confié les numéros de deux plaques minéralogiques et m’a priée d’identifier leurs propriétaires et de vous communiquer les résultats de mes recherches.
— Voulez-vous dire que vous avez déjà les renseignements souhaités ?
— Naturellement, puisque me voilà !
Un enchantement, cette petite bonne femme. Elle n’est que sourires et gazouillis. Ses nichemards m’obsèdent. Voilà que je reprends mon gourdin d’assassin à les contempler.
— Eh bien, mille bravos, madame Dong. Je vous écoute.
Elle ouvre son sac à main et en sort deux bristols où sont tracés des textes en caractères d’imprimerie.
— Cette note concerne un chauffeur de voiture de maître, annonce Dingding. Et celle-là, un antiquaire de Rhanguenn Tâbit. J’aurais pu vous communiquer ces informations par téléphone, mais j’ai des précisions d’ordre privé à vous fournir, à propos de l’antiquaire, et je redoute les indiscrétions.
Je jette un z’œil à la fiche de celui-ci :
— M. Chian Li ?
— En effet. Je préfère vous parler de lui en tête à…