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— D’accord !

Je lui tends des fafs dans les tons violacés, passablement graisseux.

Il les rafle avec une prestesse de macaque accaparant une cacahuète, se range sur le bas-côté de la strasse et saute de son siège.

— Good-bye ! nous lance-t-il.

J’ai rarement traité une affaire aussi rapidement. Je me glisse sur le siège encore chaud et enclenche la première, ce qui n’est pas une mince affaire ; faut s’y reprendre à plusieurs fois, bien cadrer et pousser fort. La guimbarde décarre, soubresautante, brimballante, perdant un peu de ses entrailles métalliques au gré des cahots.

En tout cas, bien malins seraient ceux qui nous repéreraient à bord d’un tel véhicule !

Le lendemain, la camionnette efflanquée atteint Belharang. La route a été pleine d’agréments. L’Indonésie, c’est very vice. Moi, ce dont j’aime surtout, comme dirait Béru, ce sont les nombreux cours d’eaux qui se succèdent, sinuant dans une nature sauvage, au fond de gorges rocheuses bordées d’une végétation luxuriante. L’eau en est d’un vert profond, frangée d’écume, comme faut pas oublier de dire dans les bonnes compos francs.

Depuis les ponts que nous traversons, on aperçoit une population qui s’ébat dans l’onde ou qui vient y laver du linge sale en famille, voire même y pêcher. On longe des volcans culminant à des chiées de mètres, c’est te dire ! Des temples, dont celui de Bydôn-Vil à Saligo, fameux pour ses récitals de cornemuses à pédale. Les agglomérations se suivent, avec leurs pauvres maisons alignées le long de la route, dont beaucoup sont des échoppes miséreuses où l’on vend des produits d’épicerie, des onguents au foutre de crapaud, des harnais pour tortues, des beignets de testicules de papillons et bien d’autres denrées dont tu trouveras la liste complète sur la table de ma salle à manger (j’ai posé un pot de chambre dessus pour qu’elle ne s’envole pas).

J’admire les rizières superposées, irriguées grâce à des tuyaux en bambou où des femmes coiffées d’un classique chapeau chinois, conique, en paille, sont courbées sur le riz amer. Des hommes labourent préhistoriquement, à l’aide de charrues de bois tirées par des buffles à la gibbosité dodelinante. Nous doublons des charrettes à âne, des vélos disloqués, des pétrolettes fumantes, des chiens errants, des poulets téméraires.

La circulation reste dense, où qu’on se rende : tant de gens peuplent cet archipel ! L’homme grouille ici comme l’asticot sur la charogne.

Mais donc ayant enfilé les kilomètres sur le fil de notre compteur (encore valide malgré son cinquième tour de piste), nous atteignons cette ville de Belharang, objet de notre curiosité.

C’est une cité importante, avec un quartier relativement neuf, un palais du gouverneur en forme de « U », et une infinité de maisons basses. Les rues sont la proie des vélos-pousse-pousse. Ils semblent être, ici, le principal moyen de locomotion. Il en est de toutes les couleurs, avec, peints sur leur carénage de bois ou de tôle : des dragons, des garudas hirsutes, des danseuses peu vêtues, des poissons monstrueux, des araignées géantes, le portrait de Marilyn, celui d’Einstein tirant la langue, ceux de Charlot, de Le Pen (à jouir), d’Elizabeth II, de Rambo, du chandelier Vouestalman, de Superman, de Stef de Monac, de Lili Pute, de Canuet, de mon cul, du tien, de Tarzan, et de la reine Babiole de Belle-Chique.

— Tu espères retrouver Lassale-Lathuile dans cette fourmilière ? demande Jérémie.

— Il va bien falloir. Cela dit, la chose n’a rien de compliqué car les hôtels, ici, ne doivent pas être très nombreux. Affrétons chacun un vélo-taxi et partageons-nous la besogne. Rendez-vous à la camionnette.

Mais au bout de deux heures investigatrices, nous nous retrouvons bredouilles.

— Il a dû descendre sous un faux nom ou chez un particulier, émet M. Blanc.

Sa suggestion ne me convainc pas. J’imagine mal mon contrôleur accueilli par des autochtones, et il n’est pas homme à utiliser des papiers d’emprunt !

— En route ! fais-je.

— Pour où ?

— Le sultanat de Kelbo Salo où vont avoir lieu les fêtes du couronnement !

— Tu espères l’y trouver ?

— Je le renifle !

Et bon, nous voilà partis en ferraillant sur une route rectiligne à travers des rizières, des étangs géométriques où grouillent des canards d’élevage et des forêts embaumant l’eucalyptus (odeur franchement dégueulasse à vrai dire, puisqu’elle évoque pour moi l’appartement de ma tante Pernichet, à demi impotente, qui n’en finissait pas de mourir, mais qui conservait assez de forces pour me glisser une piécette lorsque j’allais lui rendre visite ; je ne lui demandais pas d’autres preuves de sa vitalité).

— Tu crois qu’il va assister à ces fêtes du couronnement ? murmure le tout-noir.

— Ce voyage tombant pile au moment des cérémonies ne peut être une coïncidence.

— Il est plutôt bizarre, ton contrôleur, non ?

— De plus en plus.

M. Blanc, forgé à mon excellente école (t’occupe pas de mes chevilles, je porte des bandes molletières de papa qui fut chasseur alpin), croit opportun de résumer :

— Il fait un court voyage en France avant de partir pour l’Indonésie. Pendant cette absence, on tue sa femme et on fait disparaître le corps.

— Exact ! C’est mon Boléro de Ravel à moi aussi.

— Il s’envole en compagnie d’une femme blonde qu’il fait passer pour son épouse.

— Textuel !

— En arrivant, il se met en cheville avec un antiquaire chinois dont l’officine passe pour être le P.C. d’un réseau d’espionnage, et fait l’emplette d’une arbalète.

— Juste !

— Nous nous pointons alors dans son hôtel où l’on refroidit une fille que tu venais de baiser.

— Incomplètement !

— Nous nous mettons à la recherche de l’antiquaire, lequel refuse de casser le moindre mot sur Lassale-Lathuile.

— En effet !

— Trois heures après notre visite, tu découvres le Chinois trucidé, ainsi que son principal collaborateur.

— De profundis !

— Nous apprenons, à notre retour, que ton mystérieux contrôleur et sa souris sont partis prématurément de l’hôtel.

— Vrai !

— Alors un couple de faux policiers nous rend visite et s’arrange pour déposer une mallette piégée dans notre appartement.

— J’en frémis !

— Mais je déjoue leur ruse et c’est eux qui dérouillent.

— Amen.

Un silence.

Si je puis dire, car la camionnette avance pratiquement sur les coudes en traînant ses pattes de derrière. Nous conduira-t-elle jusqu’à ce fabuleux sultanat de Kelbo Salo où doivent s’opérer des féeries javanaises ?

Le radiateur fume. Les bielles cliquettent ! Les soupapes caquettent ! Le reliquat de la carrosserie s’émiette. Mais la superbe mécanique, héroïque, vaillante malgré son hémorragie d’huile et d’eau, finit par nous amener (à vingt à l’heure) dans ce sultanat d’Émile et une nuits. A vrai dire, sa frontière est théorique et tu y pénètres sans t’en apercevoir.

Kelbo Salo, si elle n’avait pas de sultan, ressemblerait à Saint-André-le-Gaz (Isère). Seulement, il y a le palais, immense, malgré qu’il ne comporte pas d’étage. Ça décrit des « H », des « U », des « Y » sur un immense terre-plein agrémenté de massifs, de pelouses et d’arbres rares. Non loin, se dresse le temple de Tankilyora Déshôm, pareil à un formidable gâteau gris, peuplé de bouddhas de pierre aux multiples attitudes. Un qui parviendrait à tourner autour de l’édifice à toute pompe croirait voir un dessin animé !

Le lieu étant hautement touristique, des hôtels se sont construits dans les parages. Dieu merci, on les a fait rampants pour ne pas déflorer la beauté du panorama. L’agglomération ressemble à Belharang, en petit. Elle foisonne de magasins où l’on vend des saloperies-souvenirs made in Taiwan : le palais du sultan peint sur écharpe ou éventail, le temple-encrier, la colonne de Sang Tiag en godemiché, et puis des portraits, réalisés en ailes de papillons, de Tronch’ Delâr, le défunt sultan, ceux de Bézaphon, le nouveau ; celui qui boit quotidiennement le sang de trois pigeons pour avoir la queue raide et qui rectifie les stropiats sur les routes au volant de ses Ferrari dont on a peint les portières à ses armes.