Une mort pareille, faut être viceloque !
N’écoutant que ma rogne, j’écarte davantage la porte et bondis sur le mec qui vient tout juste de se redresser. Il chope ma boule sur sa nuque et ça le plonge instantanément dans les extases. Le voici affalé en travers du plumard. Pour lui faire le bon poids, je le retourne et lui cloque au bouc un taquet haute fidélité qui le câble sur le néant. Son pif a explosé et sa figure fait maintenant songer, soit au drapeau japonais, soit à Mme Thatcher sur la chaise d’examen de son gynécologue.
N’ayant pas de liens à dispose (comme il n’existe pas de rideaux aux fenêtres, je ne peux en prélever les cordons), je le dépouille de son T-shirt, lacère celui-ci et en tire de quoi lui ligoter étroitement les poignets dans le dos. Cela fait, je me rinçotte enfin à la faible dégoulinette du lavabo et me refringue. Quand je pense que si la douche avait fonctionné normalement, je n’en serais pas sorti prématurément et donc n’aurais pas aperçu l’homme aux reptiles, j’en ai des fourmis dans la moelle pépinière.
Usant du verre à dents (oui : il y en a un !), je verse de la flotte sur la bouille de mon visiteur. C’est un procédé de réanimation simple, peu coûteux et infaillible.
Très vite, l’intrus soulève ses paupières et pose sur ma pomme un regard oblique, pareil à deux traits à l’encre de Chine (encre câline, encre d’amour).
— Je n’ai pas cogné trop fort ? lui demandé-je.
Il reste sans réaction.
— Vous parlez anglais ?
Mutisme.
J’avise un sac en plastique, près de la porte, qui, probable, lui a servi à transporter la cage des serpents. Je m’en empare et en coiffe l’homme jusqu’aux épaules.
— Je vais le fermer autour de votre cou, préviens-je. Si vous voulez que je vous en débarrasse, il faudra me le demander ; mais en anglais, car je ne parle pas votre langue. Et si vous ne parlez pas l’anglais, apprenez-le d’urgence.
La paroi du sac se gonfle et s’aplatit, comme la vessie d’un appareil respiratoire. Très rapidos, le gars étouffe. Il se trémousse, mais comme il a les bras entravés et que je suis assis sur ses maigres jambes, ça ne tire pas à conséquence.
Au bout de peu, il me demande de le délivrer. En indonésien pour commencer mais, comme je ne bronche pas, il se rabat sur le dialecte de William[8].
L’ayant contraint à avouer sa culture, je le dessaque. Son asiatisme prononcé l’empêche de rubiconder, toutefois il paraît sérieusement incommodé par ce début d’asphyxie. Quand sa respiration a retrouvé une vitesse de croisière qui le rend apte à une conversation, je lui pose différentes questions groupées qu’on pourrait résumer par : « Qui vous envoie et pourquoi veut-on absolument mettre fin à mes jours glorieux ? »
Là, mutisme. En anglais, certes, mais mutisme tout de même !
— Qu’à cela ne tienne, lui dis-je.
Et je déboutonne son falzoche, histoire de le dépiauter. Il porte un slip lamentable, de couleur jaunasse (par précaution) et plus troué qu’un ennemi d’AI Capone.
Il doit un moment se demander si j’entends le sodomiser, mais je m’empresse de le rassurer.
— Au dodo, l’ami !
Lors, j’ouvre le haut du lit et entreprends d’y loger ce vilain mecton. Mon flegme, mon esprit de décision, mon mutisme, lui en imposent.
— Non ! fait-il.
— Oh ! que si ! rétorqué-je.
— Je vais parler ! il promet.
— Alors vite ! je lui fais.
— J’appartiens au Suey Sing Tong ! il révèle.
— Ça consiste en quoi ? avouéjemonignorancé-je.
— Une société secrète chinoise, explique-t-il.
— Mais vous n’êtes pas chinois ? m’étonné-je.
— Je travaille tout de même pour le Suey Sing Tong, qu’il insiste.
— Et alors ? l’incitéjapoursuivré-je.
— Le Suey Sing Tong a décidé de vous mettre à mort, fait le salopard.
— Pourquoi ? incompréhensé-je.
— Il a ses raisons, analyse le coquin. Et je ne les connais pas.
— Comment m’avez-vous trouvé ? curieusé-je.
— Le Suey Sing Tong savait que vous alliez arriver ici et vous y avez été attendu, m’élucidelemystère-t-il.
— Vous vous étiez préparé avec vos gentils serpents ? crois-je opportun de plaisanter.
— En effet, reconnaît ce démoniaque personnage.
— Vous étiez combien à m’attendre ? m’enquiers-je.
— Je l’ignore, j’ai été prévenu que vous arriviez à l’hôtel Pôv Kong et que je devais agir immédiatement, explique-t-il.
— Quel est votre nom ? lui demandé-je-t-il.
— E’ Loi, briève l’homme.
— Adresse ? jeté-je.
— Marché aux Oiseaux de Kelbo Salo, me renseigne-t-il.
Moi, ça commence à me faire frissonner des claouis, cette historiette. Les sociétés secrètes chinoises, merci bien : j’en ai entendu causer ; paraît qu’avec elles sur le paletot, t’as peu de chance de vivre aussi vieux que le Mikado (d’anniversaire). Sachant que mon arête de mort est signée, je peux réciter mon acte de contradiction (ou de construction).
Mais enfin, pour l’instant, je suis toujours sur mes pattes de derrière, hein ? Et c’est primordial.
— Je vais délier vos poignets et vous récupérerez vos serpents, l’ami, enjoins-je.
Je lui montre la cage.
Ses liens de fortune tombent. Avec précaution, il rabat le drap et la couvrante du plumard. Le reptile brun commence à s’agiter. L’homme avance sa main droite toujours gantée et le cueille derrière la tête. V’là le serpentin qui fouette l’avant-bras du gus avec sa queue. Tenant l’horrible bête à bout de bras, il l’approche de la cage ouverte mais, pile au moment de l’y couler, il a une volte brutale et me propulse le serpent à travers la gueule. L’Antonio, tu le sais par cœur, non ? Tu parles que cette feinte à Jules, je m’en gaffais gros comme ta connerie.
Pile qu’il a son geste homicide, je bondis de côté. Le conseiller privé de la mère Eve frappe le mur et tombe au sol. Double bond sanantoniesque : à droite pour mettre un coup de talon sur la tronche du reptile, puis à gauche pour filer mon poing dans la mâchoire à E’ Loi. Les deux sont groggy. J’achève le petit serpent avec une rage décuplée par la trouille. N’ensuite, j’ouvre avec précaution le deuxième plumard et j’y fourre mon petit dresseur inanimé. Cela perpétré, je le borde avec précaution, place l’unique chaise face au lit et attends.
Les k.-o. ne sont jamais longs, ou alors ils débouchent sur la méchante commotion cérébrale, mais ce n’est pas le cas précisément.
Le zigoto bat des ramasse-miettes. Il mate le plaftard, puis son regard panoramique jusqu’à moi. Je lui adresse un bon sourire.
— Remettez-vous, E’ Loi, vous avez tout votre temps, lui dis-je gentiment.
Sa pensarde envapée se rebranche sur le groupe électrogène de secours. Ses idées repartent doucettement. Et puis il réalise enfin où il se trouve et a un sursaut terrifiant. L’homme bondit hors du lit. Ce faisant, il entraîne avec soi le deuxième serpent qui vient de planter ses chailles dans le mollet maigrichon du bonhomme.