M. Blanc s’active à touiller des mélanges libidineux.
— Allez, un peu de courage ! fait-il en s’agenouil-lant.
Et de déchirer ma chemise trouée pour accroître sa liberté de manœuvre. Ensuite, il m’oint le dos de sa recette africaine et là, je chante, crois-moi ! Si j’en crève pas, de ses mixtures dégueulasses, c’est que j’ai la vie dure ! Le tétanos, connaît pas, ce moricaud !
— Evidemment, il faudrait pouvoir recoudre la plaie, déplore-t-il, ça te laissera sûrement un bourrelet.
— Tant que ça n’affectera pas mon physique de théâtre, je me ferai une raison !
Il essuie ses doigts embistouillés à la robe de la fille.
— T’es un fieffé fumier, me dit-il. Contrairement à ce que tu as prétendu, tu m’as réveillé au bout de vingt minutes !
— Pardon, le démon de la viande me tenaillait mais dors, pour moi c’est une chose qui n’est pas près de m’arriver avec le mal que j’endure.
Il ne se le fait pas tonitruer deux fois et s’allonge auprès de la môme.
Je pense à ma Félicie, à notre maison de Saint-Cloud, si douillette, à Toinet-la-délure, qui met de la vie bordélique plein notre tanière. Et puis je songe également à Apollon-Jules, l’enfant des Bérurier qui séjourne davantage chez nous que chez ses indignes parents. Me sens en manque de mon univers familier. Si un jour je regagne notre logis, en priorité je calcerai Maria, la bonne dont l’existence s’est arrêtée à l’heure San-Antonio et qui ne vit plus que pour les furtives promesses et les rarissimes caresses que je lui consens. Elle l’aura, son coup de verge somptueux, l’Ibérique. La grande ramonée de saison dans les galoches ! Sitôt que ma vieille ira au marka ! Je me le promets solennellement. Faut pas torturer les ancillaires, c’est mesquin. Puisqu’elle raffole de mes coups de bite, je lui en fournirai, Miss Poilauxpattes. Des fignolés, impétueux ! Des en levrette, histoire de bien lui bassiner le fourreau. Je veux qu’elle clame sa joie de vivre en espago, Maria !
Des cris de volaille me font dérailler. Ce ne sont pas exactement des cris, plutôt des sortes d’exclamations comme les poulets en ont quand ils redoutent un danger. Je souffle la flamme du quinquet, j’assure la pétoire à silencieux du Chinois de naguère dans ma poche et je m’accroupis devant la porte vitrée donnant sur la courette, porte à laquelle il manque un carreau.
C’est pas pour du beurre que les poulardins font ce ramage. Quelque chose les effraie. Un carnassier du genre renard ? Ça m’étonnerait. L’œil réduit aux aguets, je sonde l’endroit innommable, avec son tas de fumier, son accumulation de détritus, son sol boueux.
J’attends, certain qu’il va se passer quelque chose. Va-t-on escalader la haute palissade séparant l’endroit de la cour voisine ? J’ai beau regarder, je ne vois rien de suspect. Le clair de lune crache épais. Une lumière d’un blanc sinistre donne aux objets des ombres vénéneuses. Ce maigre et pauvre horizon comporte je ne sais quoi de menaçant.
Dans le poulailler, la volaillerie continue de paniquer. Je penche pour un rat en chasse. Doit y avoir de sérieux gaspards dans ce marché aux oiseaux, avec tous ces grains entreposés, toute cette sanie, cette paille pourrie, cette purulence.
Et voilà que je réprime un haut-le-corps, à cause de ma blessure. La lourde du poulailler vient de s’ouvrir, de l’intérieur ! Un mec courbé en avant sort, bientôt suivi de deux autres. Je pige pourquoi ça ramdamait chez les volatiles : les survenants sont entrés dans le poulailler depuis l’extérieur, en arrachant les planches. A l’abri de cette rudimentaire volière, ils l’ont eue belle de surveiller les lieux. Comme j’ai éteint la lumière, ils ont décidé d’intervenir, car c’est pour nous qu’ils sont laguches, les drôlets ! N’en doute pas ! Ne voyant pas réapparaître leurs deux tueurs hier soir, ils ont compris qu’on les avait neutralisés et ils ont dépêché la souris pour nous seringuer à la langoureuse. Maintenant, ils viennent pour contrôler ou terminer le boulot.
— Jérémie ! appelé-je.
Mais l’autre pomme, exténué, ronfle comme un métinge d’aviation. Si je remue ou gueule, je donnerai l’alerte à ces trois vilains, lesquels sont à moins de cinq mètres de moi. Celui qui avance en tête tient une mitraillette braquée contre la cabane. A la première alerte, il va balancer la purée, et ce ne sont pas les frêles murs de planches qui nous protégeront.
Suis-je en état de légitime défense, Antoine ? Tu penses que oui ? Vu les manifestations précédentes du Suey Sing Tong, c’est patent !
Epatant !
Si j’en avais le temps, je téléphonerais néanmoins à mon avocat, mais y a pas le téléphone.
Je serre les dents afin de surmonter ma douleur. Combien reste-t-il de pralines dans le magasin du pistolet ? Au moins trois, non ? Les deux de naguère ne se sont pas pointés avec quelques dragées dans le tiroir de leur arquebuse, ils ont dû faire le plein avant de partir en croisière.
Je vise l’homme à la mitraillette. Du gâteau. Seule-ment, sitôt que je l’aurai plombé, je devrai neutraliser les deux autres avant qu’ils réagissent.
Tchlouf !
Le bruit est imperceptible. Le mitrailleur fait encore un pas avec sa balle en plein front, puis s’écroule. Je crois que ses potes n’ont pas encore eu le temps de réaliser. Je fulgure une deuxième bastos dans la figure de celui de droite. Il a un cri suraigu. Reste-t-il encore une prune dans la corbeille à fruits ? Je presse la détente ! Mes couilles ! Ça, tu ne vas pas prétendre le contraire, mais je l’avais reniflé ! L’instinct ! Y a que ça, je tue les autres à te le répéter.
Le troisième mec a compris enfin et, au lieu de donner l’assaut, il fonce au poulailler pour se tailler et, accessoirement aller quérir des renforts. Mais il s’arrête en cours de route et tombe à genoux dans la gadoue.
Une défaillance ? Un trébuchage ?
Non : Jérémie !
Le Négus se tient à mon côté, incliné en avant, le bras encore tendu tel celui du lanceur de javelot. Ce n’est pas une lance qu’il vient de propulser, mais le poignard de la petite gueusette au minouchet délectable.
Et c’est un crack en la matière, M. Blanc ; je lui ignorais ce don. La lame s’est enfoncée dans la nuque du fuyard, au creux, tu sais ? Là que les dames te font des bisous. Son mouvement ascendant me donne à croire qu’elle a perforé le cerveau.
Nous voici donc, une fois de plus, maîtres de la situation. Allons continuer de gagner à tout coup ?
— Ils sont tenaces, ces branques, grommelle mon dark friend.
— Nous aussi ! réponds-je, les dents serrées.
Faut que je te dise, Elise : j’ai envie de revoir la mère avant de mourir. La mienne, ma Félicie d’amour.
Un coup de saveur à gauche : rien. Un autre à droite. Là, ça jute, car j’aperçois une tire à l’arrêt devant un poteau supportant un écheval (pluriel : des écheveaux) de câbles électriques, plus un accumoncellement de compteurs rudimentaires, improtégés des tempéries. Quelques poules nuiteuses mais perdues sont sorties par la brèche ménagée par les trois lascars et dodelinent dans la venelle, intimidées par le clair de lune, incapables d’aller plus loin.
La tire que je viens de renoucher, une guinde japonouille, bien entendu, semble vide. Je m’en approche, suivi de Jérémie. A première vulve, ma silhouette ne doit pas être reconnaissable car j’ai modifié mon look pour la circonstance. Je porte un blouson de nylon n’ayant rien de commun avec ceux que fabrique mon ami Zilli, à Lyon. (Les plus beaux du monde[14] en peau de vison, de cerf, d’astrakan, de zibeline, de chenille processionnaire, de zébu, de zébi, en pot de beaujolais, en peau de grenouille, de testicule de moine tibétain, de hareng, d’autruche, de vache, de contractuel, de pêche et de limace rouge. Une féerie ! Zilli travaille pour la peau comme d’autres pour le salut de leur âme. Il vêt les stars, les princes, les pédés, les pédégés et même les humbles santantonios perdus dans les froidures.) Que donc, c’est pas chez mon ami Alain que j’ai pêché celui que j’arbore présentement, mais dans la cambuse aux serpents. N’ensuite, je me suis allongé les yeux au bouchon brûlé, jauni le teint au pistil de lys (il en poussait une touffe dans la fétide courette) et coiffé d’un authentique chapeau chinois, en paille, conique, si bien qu’en marchant vite et la tête inclinée, onc ne saurait découvrir mes origines aussi occidentales que les anciennes Pyrénées (lesquelles furent également orientables).
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