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La voiture est vide. Je touche le capot : tiède. Donc c’est bien celle des étroits lanciers du Bengale.

La clé de contact est au tableau. J’adresse un geste à Jérémie.

En route !

Et sais-tu ce que fait ce grand dépendeur de noix de coco ? Il boucle sa ceinture !

Pas bileux le moindre, Jéjé. Paré pour de nouveaux épisodes fluorescents.

Ma pomme, je perplexite vachetement, derrière le volant de la Kamasutra 2 litres 8. Où aller ? Devons-nous profiter du véhicule pour retourner à Djakarta et sauter dans un avion ? Ce serait la sagesse même. Pro-bable-ment notre ultime chance de salut. Ne me sentant pas le droit de décider du destin de M. Blanc, je lui expose mon dilemme, comme quoi il nous reste probablement une dernièrissime possibilité de nous tirer de ce bourbier, et elle ne se représentera probablement jamais.

Il bâille, puis murmure d’un ton ensommeillé :

— Avec cette bagnole, il nous faudrait combien de temps pour regagner Djakarta ?

— Une dizaine d’heures, en roulant à fond la caisse.

— Et tu te figures que pendant dix plombes, l’Organisation va se faire cuire une soupe en attendant que leurs trois boy-scouts lui envoient des cartes postales ? Ces gens nous baiseraient bien avant qu’on n’arrive et, de toute manière, ils nous attendraient à l’aéroport.

— Alors on reste ?

— Planque la bagnole dans un coin désert, qu’on puisse y finir la nuit en roupillant un peu ; je suis en manque, moi !

Et me voilà à rouler maraude, style vieux G7 d’autrefois piloté par un archiduc ruskoff.

Les venelles merdiques et obscures, c’est pas ce qui manque dans ce pays, à croire qu’ils en font l’élevage. Je finis par enquiller la guinde dans une bouche noire où je circule sans phares, juste à la clarté lunaire qui parcimonise entre des masures (comme dirait Bruno, l’homme au Gold Seven).

Au bout de ce boyau, t’as une espèce de hangar de bambou désaffecté. Je stoppe la chignole tout au fond, coupe les gaz. Mais ça continue de ronfler. Autoallumage ? Non : c’est plus le moteur, mais M. Blanc.

J’entreprends alors l’exploration du véhicule. Dans la boîte à gants, je trouve un carnet d’entretien passablement graisseux établi au nom d’une certaine Zoboku Company, import-export à Belharang. N’après quoi, je vais ouvrir le coffiot. Un bric-à-brac m’attend. Des bottes, des outils, une caissette de bois contenant des grenades offensives et un revolver de cow-bois au barillet mahousse comme la roue avant d’un rouleau compresseur. Je le passe sous mon blouson après m’être assuré qu’il y a du monde dans le magasin, me saisis itou d’un tournevis de forte dimension car il est bon d’avoir à disposition des objets de première nécessité lorsqu’on part à la guerre. Je m’apprête à rejoindre mon copinet lorsque je vois se pointer le faisceau dansant d’une lampe de poche. Derrière lui se déplace une silhouette que je parierais féminine si les paris étaient ouverts. Ma main se pose sur la crosse du flingue.

Une voix de gonzesse me lance une phrase de laquelle je ne comprends que le point d’interrogation qui la termine. Alors je vais à la rencontre de l’arrivante.

— Vous spikez anglais ? lui demandé-je.

— Ce serait malheureux, je suis native de Liverpool, me répond (et chaussée) — t-elle.

Ça y est, on opère notre jonction, ce qui me permet de constater une femme d’une légère quarantaine, en robe de chambre de soie verte. Blonde, des taches de son, un regard clair, l’air fatigué de la personne qui ne devrait pas s’accorder un whisky de plus quand elle en a déjà éclusé cinq. Un peu soufflée du cou, si tu vois le topo ? Et la dernière fois qu’elle a été chez le coiffeur c’était pour le mariage de ce grand mec débile qui régnera peut-être un jour sous la référence de Charles III.

Elle me barbouille la frime de la pointe de son pinceau (lumineux).

— Mais vous êtes occidental ! fait-elle.

— Dans les grandes lignes, oui.

— Pourquoi ce déguisement ?

— Je reviens d’une soirée travestie.

— Et vous rentrez dans le temple du quartier ?

— Ah ! c’est un temple, ce machin ?

— Vous devriez déménager car s’il se trouve un autre insomniaque dans le coin, il risque de vous occasionner des ennuis. Un temple, ici, c’est sacré.

— Vous habitez ce coin pourri ? questionné-je incharitablement.

— Oui, mais il est moins pourri que vous semblez le croire.

— Je peux me permettre de vous demander comment une ravissante (je charge) Anglaise peut demeurer dans cet endroit moins merdique que je le crois ?

— J’ai épousé l’unique médecin de la région, un homme formidable.

— Compliment.

— Il est mort l’an dernier.

— Condoléances.

— Comme je me suite faite à la vie d’ici, j’y suis restée.

— Chapeau !

— Et vous ?

— Moi, quoi ?

— Qu’est-ce que vous faites à Kelbo Salo ?

— Tourisme.

Je l’entends rigoler dans la pénombre. Elle éteint sa lampe dont la pile commence à prendre de la gîte.

— Et vous trouvez ici des gens qui organisent des dîners constumés ? J’aimerais bien les connaître. Les soirées sont un peu moroses dans ce bled.

Un temps.

— Vous êtes à l’hôtel ? elle me fait.

— Non, mens-je.

— Vous êtes où, alors ?

— Dans le temple de ce quartier moins épouvantable que je ne le suppose.

— Pas d’endroit où dormir ?

— Cette voiture. Regardez, j’ai un copain qui est en train d’y faire sa nuit.

Elle mate.

— Il me semblait bien avoir aperçu quelqu’un à l’intérieur. Il est noir ?

— Entièrement ; mais propre : pas de caviar entre les doigts de pied, comme dit mon ami Aznavour.

— Vous connaissez Charles Aznavour ?

— Vous étiez à la maternelle que je l’accompagnais déjà.

— Au piano ?

— Non, au bistrot. Mais nous ne sommes pas alcoolos, lui et moi, vous savez.

— J’ai tous ses disques !

— Je me doutais bien qu’il faut une potion magique pour pouvoir vivre complètement dans ce pays !

Elle rallume sa loupiote pour mater dans la Kama-sutra 2 litres 8.

— Il est drôlement baraqué, votre copain.

— Quand on est noir, c’est la moindre des choses.

— Et si vous finissiez la nuit chez moi ?

— Vous feriez ça ?

— Venez !

J’open the door et secoue M. Blanc.

— Dégorge-toi de ce tas de boue, mec. On va dans le monde.

Il actionne son commutateur interne et nous prend conscience. Au bout d’un rien il murmure :

— C’est qui, cette femme ?

— Une Anglaise. Mais comme t’as fait ni Waterloo, ni les Malouines, t’as aucune raison de le lui reprocher.

Il sort, salue la personne avec un rire qui ressemble à la façade du Parthénon qu’on aurait peinte en blanc.

— La voiture, avertit l’Anglaise au peignoir, vous ne pouvez la laisser dans ce temple.