Выбрать главу

Paraît alors un palanquin où a pris place la princesse Tadégaz, mère du sultan, ainsi que ses deux sœurs Karamé-Lolé et Karamé-Lmoû. Des larbins les aident à descendre et les conduisent à leurs fauteuils. Un second paltoquet (comme dit Béru pour palanquin) se présente, ayant à son bord le sultan Bon-Kasa, l’oncle du souverain à couronner et le jeune Dû-Rang, son demi-frère que l’ancien souverain a eu avec une garde-barrière de Ser-Gy-Ponh-Toiz.

La famille sultane en place, voici venir Bézaphon II, le nouveau sultan à couronner. Contrairement à ce qu’on pouvait attendre, il est au volant d’une Ferrari Testa Rossa rouge aux portières frappées des armes du jeune monarque. Il gare le véhicule derrière son trône et se présente à la populace en délire, viril, sportif, dans son uniforme d’amiral d’aviation bleu roi à épaulettes d’or et revers rouge framboise. Il ne porte qu’une seule décoration, mais de taille, puisqu’il s’agit de l’écusson Ferrari représentant le fameux cheval noir, cabré sur fond jaune. La plaque pourrait servir de bouclier car elle est, à l’origine, un panonceau offert à Sa Majesté par le concessionnaire de Djakarta.

Ayant de cette façon courageuse établi son modernisme, le sultan va saluer sa mère, puis escalade les quelques degrés centigrades du trône où il prend place, d’une allure dégagée, croisant les jambes et nouant ses mains sur ses genoux. Il doit être âgé d’une trentaine d’années, mais il a déjà beaucoup servi, les valdingues qu’il se trimbale sous les lotos en témoignent.

Deux ravissantes filles, chichement vêtues de trois étoiles chargées de masquer un minimum de leur chatte et de leurs seins, se tiennent de part et d’autre du trône. L’une en brandissant une ombrelle à long manche, l’autre en agitant un éventail en plumes d’Autriche.

Le nouveau monarque (qui a plus d’une corde à mon arc) désunit alors ses mains et les expédie chacune en reconnaissance sur les miches exquises des deux grâces, que même, d’où je me tiens, je crois bien qu’il leur carre en loucedé le médius dans la moniche, ce qui est d’une grande mansuétude pour un sultan, faut reconnaître. Tu trouves pas ? Si ? Ah bon !

Dès lors, la musique s’amplifie encore. Des danseuses surgissent, dans des voiles vaporeux, puis des danseurs, et tous se mettent à gambiller comme des cons, en tenant leurs pieds dans l’alignement de leurs bras écartés. Ils accomplissent des bonds, tout en conservant les jambes fléchies, leurs mains, en ailerons de pingouin, rivées à leurs épaules. Leur tête dodelinante leur donne des attitudes de polichinelles (soyez poli, Chine !!). Moi, j’ai jamais été un fan des ballets, mais je préfère néanmoins la Danse du Cygne (de Zorro) à cette galopinade farfadingue. Mais enfin, hein ? C’est pas ma pomme qu’on couronne.

Après le numéro, la musique cesse et un grand silence solennel s’étend sur l’assistance. Des dignitaires très vieux, arthritiques et moussus, dont tu devines l’intimité hérissée de champignons, se pointent en grandes pompes recourbées façon cothurnes. Chacun d’eux (je pourrais écrire chacun d’œufs car ils sont chauves) porte un coussin brocardé sur lequel se trouve l’un des éléments du sacre : couronne, sceptre, sabre, godemiché, pompe à bicyclette, canule à injection (Béru dit canicule à injection, mais c’est son devoir), main de justice, annuaire des téléphones de Kelbo Salo relié en peau de fesses.

Toute l’assemblée s’est levée et courbe la tête. L’aréo-page de fossiles s’agenouille tant mal que bien. T’entends claquer un col du fémur dans le silence religieux. Tout le monde retient son souffle. Le presque sultan en profite pour péter un grand coup, manière d’affirmer son autorité. Puis il retire sa main droite de l’entrecuisse de l’éventeuse afin de renifler ses doigts. C’est un olfactif, donc un être délicat. Charmé, il acquiesce en direction de l’intéressée, lui promettant implicitement de s’occuper de ses miches avant lurette ; et tu penses qu’elle biche, cette morue, de se voir sélectionner commak en plein sacre, y a de quoi choper la grosse tronche !

Il paraît vachetement joyce, le ferrariste sultan. Guil-le-ret. Cette foule recueillie, à sa botte ! Tout ce cheptel de gerces à quelques jets de foutre de son auguste braguette, dis, c’est rutilant, non ?

Je le visionne depuis mes trente centimètres carrés de marche, vaguement incrédule d’assister à « ça » en fin de vingtième cercle. L’Emile et une nuits, tandis que des jets tercontinentaux passent au-dessus de nos tronches ! Les hommes, moi je te l’annonce (apostolique, évidemment) sont durailles à remuer ! Ah ! dis donc, l’évolution, depuis la pierre taillée (en rose, en poire, en navette), elle est déconcertante : t’envoies des engins autour de Mars, mais tu couronnes des sultans dégénérés ! Faut pas craindre, ni chier la honte !

Le plus kroum des vieux nœuds se met à psalmodier j’sais pas quoi, qu’en vertu des pouvoirs qui lui furent confédérés, nani nanère.

Le cher prince a remis sa mano dans la manette de sa favorite. Maintenant, je te parie, c’est de trois doigts qu’il lui honore la babasse, mam’zelle. Elle a du mal à tenir son éventail et son sérieux, la drôlesse. Mets-toi à sa place ! T’es là, devant cinquante mille personnes, à agiter un plumeau pour chasser les mouches et messire le king te fourrage la boîte à gants !

Elle cambre les reins, mine de rien. Ça l’envole, Ninette, ces trois doigts de cour. Compasser avec des gouzi-gouzis de cette ampleur, bernique !

Moi, dans le fond, je le trouve plutôt farce, Bézaphon. Tant qu’à faire de monarcher, autant que ça tombe sur un marrant, non ? T’imagines le prince Dédain-Bourre en train de chipoter la frigoune à sa mégère pendant son discours au Parlement ? Y aurait de l’effervescement chez misters les Lords ! La gapette des Windsor roule dans le fossé, pour le coup ! C’est peut-être pour ça qu’il garde toujours ses paluches dans son dos, Philippe ? Pas être tenté d’aller chahuter l’ordre de la jarretière dans les solennités. Ou alors c’est pour tirlipoter la braguette placée derrière lui, hein ? Je pose juste la question, du temps qu’on en cause.

Mais faut qu’on reviende à la cérémonie. En pleine palabre du vieillard (c’est lui qui a dû craquer son joint de fémur car il pousse des petits cris en jactant), voilà mon sultan qu’exécute un soubresaut. Comme un qu’est pris au dépourvu. Qui croyait à un simple pet silencieux et qui se paie la chiasse du siècle à l’improviste. Sa main droite abandonne la chagatte de Miss Eventail et tombe le long du trône. Et puis Sa Majesté a un nouveau sursaut, moins prononcé. Moi, roublard averti, briscard expérimenté, je me rends compte qu’il se passe quelque chose.

Et tu sais quoi, Eloi ?

Il se passe que Bézaphon II pleure du sang !

Ça dégénère en film d’épouvante, sa surboum. Deux grosses larmes lui déboquillent des soucoupes et roulent sur ses joues bronzées. Et il en vient d’autres, en surabondance. Ça forme un double ruisselet qui coule sur son bel uniforme.

Pendant un petit brimborion de moment, personne se gaffe de rien. Le débris continue de dévider ses lithinés (Béru dixit). Et puis une exclamation retentit dans l’assistance, puis quatre, puis mille ! Une rumeur terrifiée s’élève. Le sultan pique alors du pif et s’abat en avant. Son corps dévale les marches. Il percute l’aréopage des sages qui, déjà en position instable, s’écroulent à leur tour.

C’est la confusion, la panique ! le big bordel. Les gusmen de la téloche indonésienne se hasardent, caméra à l’épaule. La chère moman du souverain manqué va jouer Phèdre sur le cadavre de son fils bien-aimé. Tumulte ! Cris ! Y a-t-il un médecin dans la salle ? Le cirque ! La foule affolée se met à bouillonner et à girater comme dans une machine à laver. Blanc et moi sommes soulevés, puis emportés par la vague de fond ! C’est le malaxage, le piétinage. Y aura d’autres morts ! A bas les cardiaques ! Suce aux vieillards, aux égrotants, aux stropiats. La foule foule aux pieds les faibles. Je suis entraîné en direction du trône. Des gardes gourdinent à toute matraque pour endiguer le flot montant.