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Vlan ! Pan ! Tchoc ! Bing ! Bong ! Plouf ! Et j’en passe !

Je vois plus grand-chose de la suite des événéments. J’ai perdu Jérémie. Je suis happé, dirigé, digéré, chié derrière le palais, sur le parkinge aux voitures. Des officiels commencent de s’y pointer et qui vois-je-t-il ? Je ne te donne pas en mille, je t’en fais cadeau : l’ambassadeur de France accompagné de sa gerce, ultra-choucarde dans une robe de satin bleu France de chez Scherrer. Il est en bleu croisé, avec une rosette, un nœud pap’ et une mine contrariée dont je ne te dis que ça.

— Mes respects, Excellence !

Il haut-le-corpse et me défriche le déguisement. Puis, les yeux en fenêtres gothiques et la bouche kif celle d’une baleine remplaçant la vache qui rit au pied levé :

— Seigneur ! C’est vous, commissaire ?

Mondain, illico, il me présente à son épouse.

— Ma douce amie, voici le fameux San-Antonio dont vous connaissez les hauts faits.

Je saisis une main veloutée, modestement baguée, comme il sied à une épouse de diplomate représentant un gouvernement socialiste. M’incline, au risque de lui filer la pointe de mon Bada chinois dans les carreaux.

— Que vient-il de se perpétrer, San-Antonio ? Un attentat, n’est-ce pas ?

— Cela m’en a tout l’air, Excellence.

— On a énucléé le sultan, révèle Victor Delagrosse. Je me trouvais au premier rang, j’ai tout vu : le souverain a reçu une balle dans chaque œil. Mais c’était d’étranges projectiles.

— Qu’entendez-vous par là, Excellence ?

— Eh bien, cela brillait au soleil, comme de l’argent neuf. Et puis le sang s’est mis à couler… Quelle horreur !

On est bousculés par le reflux des gens soucieux de récupérer leur tire.

— Cela vous ennuierait de me prendre avec vous ? m’enquiers-je.

— Avec un vif plaisir, m’assure cet être exquis. Où en êtes-vous ?

— Au point le plus bas, soupiré-je. Nous avons, mon collaborateur et moi, le Suey Sing Tong aux trousses et c’est miracle que nous soyons encore vivants.

Il pétrifie de la glotte, Victor.

— Le Suey Sing Tong !

— Vous connaissez ?

— Et comment. Il a déjà détruit davantage de gens que la bombe d’Hiroshima !

Nous atteignons sa tire, une Renault 25 dont le fanion tricolore accélère les battements de mon cœur.

— Que leur avez-vous fait pour qu’ils vous pour-suivent de leur vindicte, au Suey ? demande l’ambassadeur.

— Rien dont je sois vraiment conscient. Disons que nous nous sommes défendus lorsqu’on nous a attaqués, je ne sais rien de plus.

— San-Antonio, fait-il, il est indispensable et urgent que vous rentriez en France. Laissez tout tomber ! Votre vie ne tient qu’à un fil.

La jolie dame est déjà installée à l’arrière du véhicule.

— Impossible de vous réembarquer depuis Djakarta, vous seriez repérés par leur service de contrôle, poursuit mon bienfaiteur. Il faut trouver autre chose. Montez !

Avant de m’exécuter, je périscope les alentours dans l’espoir insensé de repérer M. Blanc. Mais autant essayer de trouver un poil de cul blond dans une soupe chinoise.

— C’est votre ami noir que vous cherchez ?

— J’essaie.

— Cela m’étonnerait que vous le repériez dans une telle cohue. Etes-vous convenus d’un point de ralliement ?

— Hélas non.

— Vous occupez une chambre d’hôtel ?

— Elle était trop insalubre, nous l’avons désertée. Mais c’est bien le diable si je ne le retrouve pas, plus tard.

Alors je m’installe sur la banquette arrière et l’Excellence, pas bégueule, va poser ses noix sur le siège passager, près du conducteur.

On roule au pas. Les ailes avant de la Renault heurtent des fesses, des cuisses, des mains. Charrue labourant la populace ! Bravo, Santantonio, ça c’est de la métaphore qui fait reluire !

La passagère m’examine à la dérobée. Si elle se dérobait, quel spectacle ! Coulée au moule comme la voilà ! Elle sent extrêmement bon. On en mangerait, même avec les doigts.

— Euréka ! s’écrie tout à coup l’Excellence, comme le fit le cher Archimède en constatant que sa biroute avait tendance à remonter à la surface de l’eau lorsqu’il prenait son bain.

Il fait claquer ses doigts.

— Madame doit se rendre à Bali par avion demain matin, me dit-il.

A son ton, je réalise soudain qu’il y a gourance et que Delagrosse m’a présenté à la femme, mais qu’il a omis de me la présenter.

— Madame n’est pas Mme Delagrosse ? coupé-je.

— Aurais-je oublié de faire les présentations dans l’émotion de l’attentat ! s’écrie-t-il, éploré. Je vous conjure l’un et l’autre de me le pardonner. Mme Mombauc-Surtabe dirige le service culturel à l’ambassade, précise le cher homme. C’est une personne extrêmement performante.

Sur un matelas, elle doit vachement suractiver ton métabolisme de base, espère !

— Pour en revenir à mon idée, fait-il, Ninette, pardon : Mme Mombauc-Surtabe doit se rendre à Bali pour présider un séminaire qu’elle organise sur l’influence de Voltaire dans la littérature indonésienne. Voici le plan que j’échafaude : Ninette, pardon, Mme Mombauc-Surtabe, au lieu de prendre un avion des lignes intérieures va se rendre à Bali avec cette voiture, en prenant le ferry-boat des Pelni-Lines assurant le passage Java-Bali. Vous l’accompagnerez et, le surlendemain, prendrez un vol des Singapore Airlines pour Singapour, depuis l’aéroport de Denpasar. Il est improbable que les gens du Suey Sing Tong aillent vous guetter là-bas. Je vous ferai retenir une place d’avion par mes services.

— Deux, si cela ne vous contrarie pas trop, Excel-lence, car je compte bien récupérer mon adjoint d’ici ce soir.

— Entendu.

— Ces nouvelles dispositions ne perturbent pas les projets de madame ? galantine-je un brin, en distribuant des œillades sirupeuses à l’intéressante intéressée.

— Pas le moins du monde, assure-t-elle, mais toi, Totor, pardon, je veux dire, vous, Excellence, comment regagnerez-vous Djakarta ?

— Mon collègue belge me fera une place dans sa voiture, fait désinvoltement Delagrosse.

Bon, ça usine pas mal. N’empêche que je suis marri de voir mon enquête s’achever de cette façon foireuse. Qu’est-il advenu de Lassale-Lathuile ?

Existe-t-il une corrélation quelconque entre sa venue à Kelbo Salo et l’assassinat du sultan ?

Si oui, laquelle ? Comment se pourrait-il qu’un contrôleur des finances parisien puisse être associé à un attentat perpétré en Asie ?

Je suis troublé au point de ne pas m’apercevoir tout de suite que j’ai le genou de Mme Mombauc-Surtabe contre le mien.

C’est te dire !

Je suis aveuglé par la détresse et l’affolement, car je n’ai pas retrouvé Jérémie. Je l’ai guetté des heures durant, devant la maison de Gwendoline, comptant que le madré viendrait y rôdailler. Mais que t’chi ! J’ai arpenté la rue principale de Kelbo Salo, puis ses rues agaçantes, et jusqu’à ses moindres venelles : toujours en vain. Le grand fauve aux bretelles mauves est invisible.