Profitant de l’ultime lumière, je fais le tour de la statue en examinant attentivement le lieu. Je suis gonflant pour un flic. Ces pressentiments, qui me taraudent, parfois. Des flashes, te dis-je. Ainsi, depuis l’esplanade, j’ai levé les yeux sur la coupole où je me trouve et j’ai ressenti quelque chose d’indéfinissable. M’est venue la sensation que j’avais un rendez-vous à ne pas manquer, au sommet de l’édifice. Oui, comme une notion d’y être attendu ; étrange, non ?
Eh bien ! m’y voici ! Et alors, mon devin commissaire ? Je parcours entièrement la rotonde, matant le sol, les murs, les meurtrières, le bouddha impavide. Zob ! L’obscurité gagne à toute vibure. Je ne distingue plus l’ambassadeur, en bas. Le ciel est noir, avec, très loin sur l’océan qu’on pressent, une mince ligne mauve.
Je halète encore de mon ascension précipitée. Indécis, je pose un bord de miche sur le garde-dingue, comme un moine tricheur sur la miséricorde de sa stalle.
Je me tourne vers le palais où les préparatifs de la fête ont tourné court. J’espère qu’ils possèdent des chambres froides et pourront conserver le bouffement du couronnement jusqu’à l’enterrement.
Il y a encore le praticable du trône. Dépouillé de l’auguste siège et des tapis, il ressemble à celui d’un échafaud. Je me dis qu’on est aux premières loges, ici, pour zinguer Bézaphon. Tu me donnes un fusil à lunette, et moi aussi je suis chiche de lui praliner les coquilles en deux secondes, service compris. Au flingue ou au laser ! Mais la deuxième hypothèse ne me convainc pas.
Je ne suis pas porté sur les techniques ; tout de même je me gaffe bien que c’est pas une lampe de poche qui peut fournir un rayon capable d’énucléer un homme ! L’engin doit bien être gros au moins comme un appareil de projection, non ? J’sais pas, je cause juste pour dire. Faudrait vérifier dans l’encyclopédie des techniques, mais j’en ai pas à dispose dans le temple. T’imagines des mecs coltinant ce fourbi jusqu’ici, puis le rapatriant après usage, alors que c’est l’effervescence policière ?
Je me lève. Ai-je bien tout vérifié ? Mon fameux instinct me chuchote que non point. Ben alors, Nestor ? Qu’aurais-je omis ?
J’interroge le bouddha, mais ce con feint de ne pas me voir. Ça pèse combien, une statue de pierre pareille ? Des tonnes et des tonnes, non ? Et encore, c’est creux. Putain ! C’EST CREUX ! Ben voilà ce qu’il convenait de penser, vieux bandeur : c’est creux ! Donc, ça peut servir de réceptacle à une arme ! Suffit de percer ! Aurait-on ménagé un trou dans ces blocs de pierre ? Comment le savoir à présent qu’il fait nuit noire ? Redescendre pour chercher une loupiote ? Peut-être que Son Excellence en possède une dans sa boîte à gants. Seulement ça va se voir de loin, un point lumineux au sommet du temple. Avec les perdreaux énervés qui draguent, je risque d’avoir de la visite.
Une cavité ! Mais comment forer un trou dans cette pierre épaisse sans alerter le voisinage ? Un ciseau à froid et un maillet, tu parles d’une musique de chambre ! Surtout à cette hauteur. A tous les échos, mon neveu ! Non, je me fourvoie. Il y a autre chose. La lune succède au jour. En bas, Victor Delagrosse doit se demander ce que je deviens. Une luminosité blême amène de la fantasmagorie dans l’immense cage de pierre.
J’interpelle le bouddha. Je l’exhorte comme quoi, s’il a un secret, il doit me le livrer toutes affaires cessantes. C’était quelqu’un de bien, Bouddha. Un être de sagesse et de bonté, merde ! Alors ? Il continue de fixer l’infini. Justement, madame la lune baigne sa frime énigmatique. Et bon, moi, c’est pareil que quand tu t’entortilles un fil de fer autour de la verge et que tu y fais passer un courant de douze volts comme dans les clôtures à vaches, tu sais ? Le grand frisson profond. Ça me trémulse les roustons, tout le bas-bide, me grimpe au cœur. Je tape le cent vingt ! Si ça augmente, je risque de me faire retirer mon permis de vivre pour excès de vitesse ! Mais voilà, il a pigé, Antonio l’Unique ! Tout ! Ça fait une sensation, crois-le !
Je m’approche de la statue. Dur de s’y agripper, comme disait Agrippine. C’est énorme et c’est lisse. Je parviens pourtant à me jucher sur la main tendue en direction du palais. Le perchoir est solide. Ma main gauche remonte jusqu’à la tête du bouddha. Son oreille droite saille assez pour que je puisse l’empoigner. Voilà, la prise est assurée. Ma droite s’avance à son tour.
Mais oui, j’ai bien pigé, mon canard. Pas surprenant qu’il ait un regard si profond, le faux Carlos : il a des trous en guise de prunelles. Considérés d’en bas, on ne s’en aperçoit pas, à cause de l’épaisseur de la pierre.
J’engage ma paluche investigatrice dans la cavité, le plus loin possible. Je touche quelque chose de rond et de métallique. Avec beaucoup de mal je parviens à retirer l’objet. Il ressemble à une bouteille de spray, ou de laque. Ça mesure environ vingt-cinq centimètres, pour un diamètre de six ou sept. C’est léger. Je coule la chose dans ma ceinture. Ma main inassouvie revient au visage de bouddha pour fourgonner dans l’autre œil. Je l’enquille le plus loin que je peux, mais tout ce que j’arrive à faire c’est de caresser une surface polie trop enfoncée dans la tête pour que je réussisse à l’emparer. Le peu qui m’est permis, c’est d’effleurer la chose. Faudra revenir plus tard, de jour, avec un escabeau et un crochet. Mais je sais de quoi il retourne.
Allez, beau travail, l’Antoine. Félicie peut être fière de son grand. Il est toujours détenteur du chou le plus monumental de la planète et de sa périphérie.
Sorti de la guitoune à bouddha, je suis presque ébloui par l’intensité du clair de lune. Un vrai soleil de nuit. Je dégaine le cylindre pour l’examiner. Il est pourvu d’un couvercle qui se dévisse aisément. La boîte est vide et ne contient qu’un peu d’eau. Je note que les parois de ce cylindre sont garnies d’un épais isolant. En fait, il s’agit d’une bouteille thermos longue et étroite.
Tenant ce bâton de maréchal en main, je descends prudemment l’escadrin ; pas le moment de se flinguer une guitare !
Il a consumé (et consommé) une dizaine de sèches, Victor, dans l’énervement de l’attente ; leurs mégots sont en rond autour de lui.
— Merci de votre patience, Excellence, lui dis-je, mais vous ne devriez pas tant fumer sinon le vilain petit crabe va vous sauter sur les soufflets !
Faut-il que je sois joyce pour balancer de telles vannes à un diplomate !
Il sourit.
— Mon père qui a quatre-vingt-deux ans grille ses deux paquets de Gauloises par jour. Puis-je vous demander ce que vous tenez à la main, commissaire ?
— La clé de l’énigme, Excellence.
LES COLLES DES FEMMES
Là-bas, dans la doulce France, une sonnerie de téléphone retentit. Elle produit un bruit de vieux réveille-mâtin[16] ou d’alarme de petite gare provinciale annonçant l’arrivée d’un prochain convoi (qu’on voit).
Alors que je vais renoncer et exécuter ce geste tragique et définitif consistant à reposer le combiné sur ses fourches caudines : clic ! on décroche.
Une bouche, de toute évidence emplie d’aliments brûlants, articule une phrase que seul un initié, comprenant parfaitement le béruréen moderne peut saisir. Ladite est :
— Chié, bordel, on peut plus bouffer ses tripes peinards, non d’ Dieu d’merde ! Et l’aut’ grosse vachasse qui continue d’goinfrer ; tu croives qu’é r’muererait son cul, la salope pou’v’nir répond’, charognerie vivante ! Non, faut qu’ maâme se piffre comme une gorette. Berthe, j’t’ tiens à l’œil, ça fait déjà deux fois qu’ tu t’ayes resservie ; si j’t’voye en reprend’ encore, c’est ma main su’ la gueule. Allô ! Allô ?
16
Parfaitement : un accent circonflesque sur le « a » de mâtin car le terme est pris dans son sens familier et ledit réveille est réservé à l’usage des personnes malicieuses.