Elle a un choucard pétrousquin, Fleur de Rizière, mais pas de seins. Ici, les dames ignorent ce que c’est. N’empêche que ses mignonnes noix me font imaginer quelle magnifique gaine elles deviendraient pour Mister Popol.
La voilà qui placarde une danseuse balinaise au charbon sur la scène du night. En couleur. Fardée poupée, avec de grands yeux cons et une bouche surdimensionnée. Et puis la salle qui l’applaudit, sur une deuxième image. Je frime, désabusé, ces têtes d’hilares, qu’un rien enchante. Ces abrutis congénitaux, toujours prêts à photographier une langouste ou à se croire élus des fées parce qu’on leur a mis un petit chapeau pointu sur la tronche !
Et là, oui, exactement à ce point précis de ma délectation lugubre (le morose étant dépassé), ma compagne vient me récupérer.
— Voilà qui est fait, dit-elle, mais hélas l’hôtel est archicomble et je n’ai pu obtenir de chambre pour vous : nous devrons bivouaquer dans la mienne ; à la guerre comme à la guerre !
Elle réussit à garder son sérieux en me balançant cette jolie fable. Moi, je commence à sentir fléchir mon fameux sens de l’honneur. Une nuit en tête à tête avec Minette, ça risque de m’ébrécher la conscience. Faudra que je me réserve à outrance, que je cède du terrain pied à pied (c’est le cas d’y dire). Si c’est la grosse troussée qu’elle subodore, l’attachée au culturel, zob ! Une petite minette frileuse, je ne dis pas, histoire de lui calmer les sensibilités, et avec peut-être deux doigts frétillants, par politesse, avec, le cas échéant, un troisième dans l’œil de bronze, manière de la suractiver, mais basta !
Le bagagiste en costar national attend avec son chariot portant la valoche de ma gente compatriote. Je la suis. Fais deux pas, peut-être trois ? Oui, à la réflexion j’en fais trois.
Et il m’arrive un drôle de cracziboum dans la théière, comme si je venais de me faire écumer le cervelet à la crosse de Colt.
Je rebrousse chemin et fonce vers la jeune Asiatique au petit cul délicieux. M’incline sur la photo représentant le public du nitclub (c’est commak que les ricains écrivent le mot).
Tu sais quoi ? Ah ! mamma mia, quelle émotion. Quelle surprise (en anglais : surprise) ! Dans l’angle du haut, qu’aspers-je ? Le couple Lassale-Lathuile devant une boutanche de roteux. Lui a la main sur le dossier de sa compagne et, du bout des doigts, lui glandille la glandaille. L’air éméché, coquinet tout plein, Lucien. En pleine java, si je puis parler ainsi à Bali.
La commotion, non ? Ça décoiffe, une découverte de ce troisième type. Mais tout cela n’est rien. Si t’écartes en grand tes vasistas, Stanislas, tu peux découvrir, en fond presque perdu (mais pas pour tout le monde), une tache noire à l’intérieur de laquelle se trouvent trois minuscules taches blanches. En la matant avec ton cœur ou alors avec une forte loupe, tu reconnais M. Blanc. Je répète : tu reconnais M. Blanc !
C’est pas mi-ra-cu-leux (mire-rat-cul-œufs), ça ? Enfin merde ! t’en lis beaucoup des polars où les coups de bite et de théâtre sont à ce point nourris ? Avec le prix de ce book, Melbrook, t’aurais même pas de quoi t’acheter dix grammes de caviar ! Et qu’est-ce que tu foutrais de dix grammes de caviar sur un toast, hmm ? Tu pourrais revendre dix grammes de caviar après usage, comme tu vas revendre cet ouvrage à ton bouquiniste ? Fume !
Je prodigue trop, moi. Je gaspille. Mes confrères me font la gueule comme quoi je gâche le métier. J’en donne trop pour l’argent. J’ai déjà eu des rappels à l’ordre de mon syndicat. Il me somme de faire moins long. Je casse la cabane en produisant des œuvres du jour, garanties pur fruit, de trois cent mille signes et davantage ! Ça s’est jamais vu, un phénomène de cette ampleur. Ponton du Sérail, il tirait à la ligne, lui. Genre :
« — Oh ! »
« — Quoi ? »
« — C’est vous ? »
« — Moi, qui ? »
« — Vous, vous ! »
« — Oui, c’est moi, moi ! »
« — Non ! »
« — Si ! »
« — Parole ? »
« — Parole ! »
Des kilos, qu’il en déchargeait sur le quai de la gare. Le héros, pour entrer dans la chambre de la dame, lui fallait seize pages, et cinquante de mieux pour la baiser. Et encore, à mots et à bite couverts ! Tandis que l’Antonio, je te vous demande pardon, la carne est livrée en temps et en or. C’est pas de la ponte dévaluée. La triche, connais pas ! Tout en noyer massif ! Les autres s’en sortent plus, tu penses ! Juste avec leur petite vie racornie à bonnir ! Eux et moi, c’est l’eau d’une pissotière comparée à celle du Rhône !
Pardon ? Qu’est-ce que tu dis ? J’en rajoute ? Je biche la big tronche ? Peau d’hareng, tu sais bien que je plaisante. Si j’étais ce que je dis, j’aurais mon fauteuil quai Conti, mon couvert chez Drouant, mon billet pour Stockholm et une minerve pour pouvoir me tenir droit avec décorations, le 14 of july.
— Ces photographies sont à vendre, Miss ? je demande à Mam’zelle Safran.
— On doit les commander et vous les aurez demain matin.
Je dépunaise celle qui m’intéresse et lui mets un bif de 10 dollars dans la main.
— Je n’ai pas le temps d’attendre, mon petit cœur, la vie n’est pas un long fleuve tranquille, mais un torrent en crue !
— Qu’arrive-t-il ? questionne Mme Mombauc-Surtabe ? en reprenant sa marche. Vous paraissez complètement surexcité.
— Je le suis.
Elle murmure, se causant familièrement à elle-même, car c’est une personne spontanée qui ne prend pas de gants pour se l’envoyer dire :
— J’adore les hommes surexcités.
Sa chambre est agréable. Une loggia pour le pucier, avec, sous l’escalier qui y grimpe, un bar et un réfrigérateur. Le salon est élégant, faut reconnaître ; y a même la télé, c’est-à-dire, en ce qui concerne l’Indonésie, qu’il y a un poste avec un tube catholique et tout une bordellerie de bistougnets derrière. Mais sur l’écran, tout ce que t’as droit, c’est à la vie édifiante du président Suharto, à ses pompes, à ses zœuvres, et surtout à son armée.
— Je vais pouvoir coucher sur ce canapé si confortable ! préviens-je.
Ninette ne répond rien.
— Me rendriez-vous un petit service, douce amie d’aventures ?
— Je n’espère que cela !
Je dépose la photo sur une table, en pleine lumière. Mon extraordinaire médius (beaucoup de femmes te le confirmeront) désigne le couple.
— Ici, les gens que je file.
De l’index, plus sérieux, presque bien élevé, je montre la petite tache noire aux trois points blancs.
— Et là, mon collaborateur disparu.
— Il est seul et n’a rien d’un homme traqué, observe-t-elle.
— Je crois comprendre ce qui s’est passé, rouledémécaniqué-je. La chose que j’ai à implorer de votre gentillesse, madame Mombauc-Surtabe…
— Appelez-moi Henriette.
— Oh ! voui ! Donc, lumineuse Henriette, ce que j’attends de vous c’est que vous vous informiez auprès du personnel à propos de ces trois personnes. Depuis quand sont-elles arrivées ? Le numéro de chambre, tout bien. Bref, réunissez le maximum de renseignements avec le maximum de discrétion.