Bon, il respecte son programme. Jusqu’à Kelbo Salo, je pige. Mais pourquoi Bali ? Tourisme pour de bon, tu crois ? Il joint l’agréable à l’utile et vit son voyage de noces buissonnières avec la souris qu’il convoie ? Tiens, en voilà une sur laquelle je ne sais rien, mais il serait intéressant de lui défricher le pedigree, non ?
Que fouté-je ici ? A m’attarder sans but, alors que mon Jérémie a peut-être trépassé ? Allons, cours vivre ta pauvre vie, mon Sana accablé ! Et gaffe à tes plumes car des gens s’occupent de ta santé. N’espère pas qu’ils abandonneront, ce sont des coriaces, des pugnaces intraitables. Des Chinois verts de la pire espèce !
Je me déroule, tel le boa après sa sieste de plusieurs jours. Gagne la porte à regret. Il me semblait que… Que quoi ? Que j’allais découvrir un petit quelque chose ? J’exa-gère avec mes intuitions. Je vais tourner cartomancien, si ça continue. Ou bien ligoter l’avenir dans les taches de foutre ou le marc de Bourgogne. Putain, ce que j’en ai quine de tout ! Vivement maman qu’elle me recommence. C’est une envie qui me cherche noise depuis lulure. Je voudrais retourner fœtus et que Félicie me recoltine en son sein. Elle me repondrait ailleurs, dans une contrée perdue, une île crusoenne, tiens. Je boufferais des racines, des fruits, du poissecaille et j’enfilerais Vendredi pour me dépurer les humeurs. Je la vois grosse comme une maison, ma hutte de branchages, si je puis dire (et que ne puis-je pas dire, grand Dieu !). La chèvre naine attachée à un pieu, non loin de la porte. Des espèces de volailles apprivoisées picoreraient les grains que j’aurais fait pousser par miracle. M’man me confectionnerait une blanquette de veau, sans veau ni crème. Y aurait du soleil à chier partout, avec juste un peu de mousson de temps en temps, et on se claquemurerait pour jouer au scrabble. On meurt de trop posséder, les Occidentaux. Air connu. Le vrai bonheur, c’est rien du tout, avec de l’eau fraîche, un cul et de la chaleur (urbi et orbi) autour !
J’open the door, comme disent les petits Italiens quand ils apprennent l’anglais. J’ai déjà un pied dehors. Et c’est mon panard resté encore à l’intérieur qui entend la sonnerie du téléphone.
J’hésite pour si ça parvient vraiment de la chambre ou merde. Oui : c’est bien le biniou de l’apparte. Alors, d’un pas déterminé, je vais décrocher.
— Hello ! je désarticule.
Une voix de gonzesse lâche :
— Billy ?
— Yes.
— Ah ! bon. Quand j’ai demandé les deux autres et qu’on m’a dit de ne pas quitter, j’ai failli raccrocher. Comment se fait-il que tu sois encore sur place ?
The colle, hein ? Tu répondrais quoi, à ma place, tézigo ? Tu resterais bien con, la gueule grande ouverte sur du silence, je parie ? Mais Sana, c’est le gazier d’élite, que veux-tu que je te dise. Le mec extrêmement exceptionnel.
Bref regard à la pièce pour l’inspire. Mes yeux se posent sur les deux valoches.
— A cause des valises ; une couillerie ! dis-je.
— Laquelle ?
— Je ne peux pas parler.
— C’est pour ça que tu chuchotes ?
— Affirmatif.
— Je vois. Si tu veux assister à une superbe crémation, il y en a une de prévue demain à dix heures à Sâli-Sang. Salut !
Elle raccroche, moi aussi.
Tu vois, Benoît ? Je savais que j’avais quelque chose à espérer de cette chambre.
J’attends le retour d’Henriette. C’est long. La télé indonésienne m’offre un documentaire formidable sur le président M. Suharto faisant prêter serpent aux cadets de l’école navale. N’ensuite on te montre le même président M. Suharto échenillant les orchidées de son jardin, car c’est un homme très simple. Puis c’est le président Suharto donnant à des jeunes filles la recette du nazie-gorang. Après quoi, on nous propose le président Suharto assistant à un ballet à Boraboudur, œuvre magistralement magistrale qui s’achève par l’incendie du palais sur la scène de plein air, lequel incendie est figuré par deux bottes de paille sur lesquelles un machino vient vider le contenu d’un jerrican d’essence avant de les enflammer avec son briquet Bic.
Juste au moment où l’on commence à nous passer le générique d’un film sur la vie du président Suharto, Henriette fait retour.
Je braque mes projos sur son visage. L’anxiété me donne envie de gerber.
— Alors ? balbutié-je.
Tu sais quoi ?
Voilà ma jolie attachée culturelle d’embrassade qui, en guise de réponse, se défait de sa robe plus vitement qu’une effeuilleuse professionnelle : elle jaillit en soutien-loloches et slip chuchoteur. Envoie cela à dache et s’allonge, en croix de Saint-André, sur la moquette.
— Il s’en tirera, annonce-t-elle. Finis-moi !
C’est donc dans l’allégresse que je reprends les choses, là où elles avaient été sinistrement interrompues. Si nous n’atteignons pas la fin de ce très remarquable ouvrage que les étudiants du vingt et unième siècle après Jésus-Christ auront à disséquer, je t’offrirai la liste et la description de mes fesses d’armes en l’occurrence. Seulement il se fait tard, le papier est cher, mon éditeur économe et les bateaux à vapeur vont bientôt t’arriver.
Brièvement, je t’indique que je lui termine la « tulipe batave » en la ponctuant d’un trémolo fantasque sur l’ergot de concentration. Puis, c’est l’inévitable « trois et un quatre », exercice d’une grande précision nécessitant un rigoureux polissage des ongles, car trois doigts dans la moniche et un dans l’œil de bronze, ça ne pardonne pas si tu as les griffes trop longues ou qui accrochent.
Oserai-je préciser que, parallèlement à cette activité, elle a droit à un mordillage de cuisse et à un titillage langoureux des embouts caoutchoutés. Tu l’avais déduit de toi-même, ô mon lecteur complice, si délibérément aimé de moi que je ne lui cèle rien de mes secrets, fussent-ils d’alcôves. L’adorable, l’exquise dame, conçoit de ces voluptés un plaisir qu’elle me sonorise admirablement. Une femme qui vocalise la jouissance fait passer Mozart pour un con. Quel chant plus doux, plus beau, plus mélodieux que ces râles émaillés de cris, que ces plaintes ponctuées d’appels, que cette mélopée interrompue par d’inoubliables rugissements ? Ah ! donzelles, mes chères chéries, comme je vous aime ! Vous êtes les seuls véritables instruments de musique de ce monde.
Après le « trois et un quatre », elle est apte au forage grec. Surtout, gamin, si tu entends le pratiquer, n’oublie jamais d’opérer quelques aller et retour à la papa préalables, histoire de te lubrifier le pollux. Et n’engage celui-ci qu’avec une extrême courtoisie, sans cesser de te prodiguer totalement, afin de maintenir l’effervescence. Pour qu’un feu prenne, on doit lui souffler dessus. Alors, souffle ! Souffle sur la femme que tu honores et qui se consent. Quand le feu a bien pris, qu’il est vif et crépitant, parachève, mon fils ! Et surtout parle ! L’usage de la parole ne nous a été consenti que pour ces instants-là. Nous aurions pu nous en passer, sinon. Les seuls mots vraiment utiles sont ceux qui transcendent l’extase. Ceux qui ne sont plus répétables et qu’il convient d’oublier sitôt leur mission remplie.
Là, c’est de la folie, Ninette ! Elle entonne ma gloire éternelle, celle de mes aïeux. Comme quoi y en a qu’un au monde et elle l’a dans le brasero. Le combien elle est l’élue pour morfler un chibre pareil, si noble, vigoureux, intelligent et tout ! De la bête de race inoubliable. Pour concours international. Premier aux imposés, premier aux figures chibres ! Dur et flexible à la fois. Durandal et roseau pensant. Nerveux comme un étalon arabe. Tou-jours piaffant. Feu des quatre fers et foutre des deux roustons.