Выбрать главу

— Fumée ? me donne-t-il raison.

— Exactement.

— Merde !

— Exactement !

— Mais comment ?

— Honegger ! poursuis-je, le sachant également musicologue.

— Jeanne au bûcher !

— Gagné !

— Comment la chose a-t-elle été possible ?

— Tout est possible au Suey Sing Tong.

— C’est l’organisation qui les a… ?

— Oui.

— Pourquoi ?

— Pour que personne ne puisse raconter la vérité sur l’assassinat mystérieux de Bézaphon II, et surtout pas son meurtrier.

— Parce que c’est Lassale-Lathuile qui ?…

— En effet.

— Comment ?

— Avec l’arbalète qu’il a achetée à Djakarta. Il est un champion incontesté de cette étrange discipline, depuis des années. D’ailleurs, tu as dû remarquer sa collection lorsque nous étions chez lui ?

— C’est un meurtrier ?

— Pire : un tueur !

— Lui ?

— A gages ! Sous sa belle façade de fils de bonne famille et de fonctionnaire d’un certain niveau, il trucide moyennant finances, mon bon. Textuel !

— Comment as-tu découvert cette chose effarante ?

Je lui narre par le détail. D’abord, ma découverte sous la cloche de pierre couronnant le temple de Tankilyora Deshôm. Dans les cavités figurant les yeux du bouddha, j’ai trouvé, d’un côté, une arbalète démontée, mais elle était trop enfoncée pour que je puisse la récupérer, de l’autre, un carquois d’un genre particulier.

— En quoi est-il particulier ? questionne cet esprit curieux.

— Il s’agit d’un carquois thermique, mon chéri.

— Pourquoi thermique ?

— Parce qu’il contenait, tiens-toi bien à tes baguettes, deux flèches faites dans une matière particulière.

— Quelle matière ?

— L’eau.

— Comprends pas, potage-t-il avec ses grosses lèvres mauves semblables à une aubergine coupée en deux dans le sens de la longueur.

— Lassale-Lathuile a tué le sultan avec des flèches de glace !

— Tu déconnes !

— Point du tout, mon matou. Il a fait congeler de la flotte dans un moule résultant de l’empreinte d’une flèche ordinaire. Ensuite, il a placé les flèches ainsi obtenues dans son carquois thermique. En position, bien avant l’arrivée de la foule, au sommet du temple, à l’abri de la cloche, il a eu tout son temps, au cours de la cérémonie, pour viser Bézaphon II et l’énucléer proprement ! Un jeu d’enfant pour un Guillaume Tell de sa force. Avec l’intense chaleur qui régnait, les projectiles de glace ont fondu immédiatement, le temps de la confusion ambiante. Superbe, non ?

— Pourquoi ne pas avoir employé des flèches clas-siques ?

— Deux raisons, à mon avis. Primo, les flèches de glace ne permettent aucune identification postérieure. Secundo, elles corsent le mystère. Pour les autochtones, cette double énucléation sans projectiles tient du miracle. Comme le nouveau sultan était un joyeux loustic réprouvé par le peuple, de là à croire à un châtiment divin, il n’y a qu’un pas qui doit être déjà franchi à l’heure où nous devisons.

Blanc se remet à piocher des denrées consommables dans son bol.

— Ça, c’est chié, approuve-t-il. Pour être chié, c’est chié !

— Son meurtre accompli, il a tranquillement démonté son arbalète et l’a enfouie dans un œil du bouddha ; puis il a également planqué le carquois. Ne lui restait plus qu’à redescendre parmi les assistants en délire.

— Pourquoi dis-tu que Lassale-Lathuile est un tueur professionnel ?

— Ça c’est l’œuvre de Béru, fiston. Le Gros m’a expliqué, au téléphone, qu’il a, après notre départ, vérifié l’emploi du temps du contrôleur au cours des deux dernières années. C’est un vrai chien de chasse, Béru. Il a constaté que ce digne fonctionnaire se déplaçait beaucoup et qu’il se trouvait chaque fois dans une ville où étaient perpétrés d’étranges assassinats.

— A l’arbalète ?

— Oui, mais on ne pouvait songer à cette arme car elle tirait des projectiles divers. Ainsi, à Marseille, le gangster maghrébin Semoul Din Lasar a-t-il été trucidé d’un tournevis en plein cœur, l’outil s’était enfoncé entièrement, manche inclus, dans sa carcasse ! Le légiste s’est perdu en conjectures, comme on dit dans les livres ; mais on réalise très bien à quoi cela correspond quand on est au courant des prouesses de Lassale-Lathuile. En Bretagne, Loïc Le Pinfré, l’indépendantiste, a eu la tête traversée par un harpon destiné à la pêche sous-marine, harpon qu’on avait scié en partie. J’ai d’autres exemples encore… L’arbalète, mon Jérémie ! L’arbalète ! Drôle d’arme pour un tueur à gages professionnel !

— Je vais te dire une chose, murmure M. Blanc, mal remis de sa stupeur : c’est chié ! J’en ai déjà vu des trucs vachement chiés, mais vachement chiés à ce niveau, je crie pouce !

L’accorte serveuse vient changer la théière de Jérémie puis, à ma demande, ma bouteille de Matéus rosé ; non que son contenu soit bouchonné, mais je l’ai absorbé : parler assoiffe. On s’accorde (à piano) un temps mort de récupérance, le Noirpiot and me. D’autant que la tortore chinese faut toujours la manger chaude, voire brûlante, sinon elle fige (et ça la fige mal[18] !).

C’est au canard laqué qu’il en reveut, M. Blanc. Qu’il retourne sur le sentier de la guerre.

— Bon, mais le meurtre de sa bonne femme ?

— Le résultat d’un marché, mec.

— Avec qui ?

— Le Suey Sing Tong.

— Ça, comment le sais-tu ?

— Par une petite dame à qui j’ai fait cracher le morceau au bord d’un merveilleux petit lac de Bali.

— De quel marché s’agissait-il ?

— Auparavant, je place un petit chapeau à ma chronique. L’infrastructure du Suey Sing Tong se trouve dans le sultanat de Kelbo Salo. L’organisation avait un accord juteux avec l’ancien sultan. Grâce à lui, et au statut d’autonomie du patelin, le Suey disposait d’une protection intouchable.

— Mais le nouveau qui était une tête folle n’a pas voulu marcher ? hypothèse Noirdu.

— Exact. Ni le fric ni les menaces n’ont eu raison de son obstination ; c’était un jobastre ! Mais un jobastre de la pire espèce, un jobastre honnête ! Son arrêt de mort était donc signé. Seulement le Suey voulait que le meurtre s’accomplisse en grandes pompes, si je puis dire, pendant le couronnement, afin de frapper les esprits. Il rêvait d’une chose rare ! Rare et sans risques. Comment a-t-il appris l’existence et la spécialité de Lassale-Lathuile ? Ça, je l’ignore et je m’en fous. C’est un milieu où les bonnes adresses se chuchotent de Bush à oreille. Donc, ils ont contacté notre homme, et mon pote Lucien qui, lui aussi connaissait ses « clients » de réputation, a posé la condition fatale, dans la grande tradition de L’Inconnu du nord-express : « Je ne vous prends pas un dollar pour buter votre sultan, mais vous, en contrepartie, vous me tuez ma femme. »

— Il n’en voulait plus ?

— Le couple ne marchait plus depuis longtemps et elle faisait porter des cornes grandes comme une ramure de cerf à son mari.

— Je sais, grince Jérémie, l’air entendu, la voix en girouette inhuilée. Elle avait la cuisse légère et couchait avec n’importe qui.

J’encaisse la vanne sans broncher.

— Marché conclu entre les deux parties, reprends-je. Un tueur classique, frété par le Suey, s’occupe de Marie-Maud. Indispensable pour que tiennent les conventions : s’assurer que l’époux est en voyage avant de la flinguer afin qu’il ne puisse être en aucun cas soupçonné. Le tueur s’attache à la dame, cherchant l’occase. Le soir de ma venue, il biche : voilà la friponne qui s’envoie en l’air avec un beau gosse, la conjoncture est belle. Le mari est en province. Le Casanova et sa partenaire s’endorment après leur extraordinaire prestation amoureuse…

вернуться

18

Si certains de mes calembours te paraissent trop affligeants, mets-les de côté : je les donne à des pauvres cons qu’en font leurs dimanches.

San-A.