— La clé et les documents ! se rappela soudain Christopher.
Sarah avait comme lui oublié les preuves qu’elle avait cachées dans un buisson au bord de la route.
Elle se rua dehors.
— Sarah, non, c’est trop dangereux !
En l’espace d’une poignée de secondes, Sarah se retrouva aussi trempée que si elle était tombée à l’eau. Alors qu’elle courait, ses pieds disparaissaient dans les profondes flaques d’eau qui s’étaient formées sur le chemin et, à plusieurs reprises, elle manqua perdre l’équilibre sous les rafales de vent.
Du hall d’entrée, Christopher la vit se fondre derrière l’écran que formaient les trombes d’eau en se disant que cette femme était définitivement hors du commun.
Quand Sarah atteignit enfin la cache des documents, elle ne put que constater qu’une puissante coulée d’eau avait arraché les buissons des bas-côtés, raviné la terre jusqu’à la roche et tout emporté sur son passage. Il ne restait plus rien. Elle parcourut quelques dizaines de mètres vers le bas de la pente pour découvrir qu’une bouche d’égout tentait d’avaler le torrent d’eau qui dévalait vers elle. Par acquit de conscience, elle inspecta les alentours, mais aucune trace de clé USB et encore moins de feuilles.
Elle regagna la villa.
En la voyant revenir les mains vides, Christopher comprit qu’ils venaient de perdre les preuves d’une découverte inestimable. Mais après tout, c’était peut-être mieux ainsi et puis, rien ne pouvait de toute façon être plus beau et plus important que de sentir Simon respirer dans ses bras.
Le petit garçon s’était endormi, et Sarah le couvrit d’un sourire affectueux en le regardant blotti contre son oncle.
Ils patientèrent à l’abri de la villa, en silence. Le taxi arriva une demi-heure plus tard, et ils se rendirent à l’hôpital pour faire examiner Simon. En chemin, Christopher lui demanda de ne pas dire la vérité au médecin. Qu’il était encore trop tôt. Qu’on en reparlerait plus tard, tranquillement une fois à la maison.
Le petit garçon fut pris en charge par une infirmière, à qui ils expliquèrent qu’ils étaient partis faire une randonnée dans le Parc du Mercantour et qu’à l’heure du pique-nique, leur enfant avait échappé à leur vigilance tandis qu’ils se disputaient. À un moment ils ne l’avaient plus entendu. Ils l’avaient cherché pendant près d’une heure avant de le retrouver en pleurs à l’abri d’un arbre. Simon avait l’air d’aller bien mais ils voulaient s’assurer qu’ils n’avaient pas raté une blessure, une piqûre ou quelque chose de ce genre.
L’infirmière leur adressa un regard de reproches et invita gentiment Simon à la suivre. Christopher et Sarah attendirent dans la salle d’attente parmi d’autres parents et accompagnants de malades dont certains feuilletaient des magazines froissés tandis que d’autres étaient absorbés par l’écran de leur smartphone.
Christopher acheta deux cafés au distributeur automatique et en tendit un à Sarah. Ils sirotèrent chacun leur boisson en silence en regardant les gens autour d’eux.
— Je sais que c’est un peu banal ce que je vais dire, mais ça me fait tellement bizarre d’être revenu à une espèce de vie normale, murmura Christopher. Là, au milieu de ces gens qui… qui ne savent pas. Je ne sais pas comment je vais faire pour revivre normalement.
Sarah posa la tête contre son épaule.
— D’expérience, le quotidien guérit beaucoup de choses, répondit-elle sans trop y croire.
— C’est gentil d’essayer de me mentir.
— Avec un enfant dont on doit s’occuper, je pense que c’est un peu moins un mensonge.
Christopher entoura les épaules de Sarah et la serra contre lui.
— Si Simon n’a pas besoin d’être hospitalisé, nous allons nous reposer une nuit à l’hôtel avant de prendre un vol pour Paris…
Elle baissa la tête, gênée, et se décolla lentement de l’étreinte de Christopher.
— Je… je dois rentrer à Oslo faire mon rapport. Désormais, j’ai les réponses à toutes mes questions, et je sais qui a tué ce… patient 488 et pourquoi, ajouta-t-elle. J’ai terminé mon enquête, je dois boucler le dossier et m’expliquer sur mon absence auprès de mes supérieurs. Et puis, je vais aussi témoigner de tout ce que j’ai vu et qui te dédouanera de toute poursuite. Il faut le faire vite pour t’éviter de gros ennuis. Dépose-moi à l’aéroport.
— C’est ton amoureuse ?
Simon venait de quitter le cabinet de l’infirmière. Il semblait en forme.
— Je, euh… balbutia Christopher.
— Simon va physiquement bien, annonça l’infirmière. Il n’a pas de blessures apparentes. En revanche, son état psychique m’a semblé fragile.
Christopher prit Simon dans ses bras d’un geste enveloppant et tendre avant de confier à l’infirmière qu’il était le père adoptif du petit garçon. Il ajouta que Simon avait perdu ses deux parents il y a peu et que cela expliquait la raison de sa fébrilité émotionnelle.
L’infirmière accorda un sourire affectueux au petit garçon avant de persiffler à l’attention de Christopher que cet enfant avait assez souffert et méritait un père adoptif un peu plus attentif et responsable. Elle décocha un regard de reproche à Sarah et s’éclipsa en poussant un profond soupir.
Christopher accusa le coup en hochant la tête d’un air d’approbation. Après tout, cette infirmière n’avait pas complètement tort.
— Alors, c’est ton amoureuse ? insista Simon en regardant Sarah qui les observait avec tendresse.
— Tu dormais dans le taxi, alors je ne te l’ai pas présentée. Voici Sarah. C’est aussi en grande partie grâce à elle que tout s’est bien terminé…
Simon hocha la tête avant de se renfrogner de surprise devant la moitié du visage sans cils ni sourcils de Sarah.
— Qu’est-ce que tu t’es fait à l’œil ?
— Eh bien…
— Sarah est une femme douée pour énormément de choses, intervint Christopher. Mais elle ne sait pas s’épiler. C’est son seul défaut.
Sarah sourit.
C’était la première fois que Christopher voyait son visage s’éclairer et il en fut intimidé.
Sarah le remarqua.
— Eh oui, je sais sourire aussi et même rire.
— J’y suis pour quelque chose ?
— Non. Rien à voir, c’est le décalage horaire, c’est tout, lança-t-elle en décochant un clin d’œil à Simon.
— Tu rentres à la maison avec nous ? demanda le petit garçon plein d’espoir.
— Non. Je dois retourner chez moi, en Norvège. J’ai beaucoup de travail qui m’attend là-bas.
Un nœud de tristesse dans le ventre, Christopher brûlait de lui demander pourquoi elle refusait de venir avec lui.
Pour une autre femme, il aurait probablement cédé à l’impérieuse tentation de la convaincre. Mais s’il avait compris une chose du peu de temps qu’il avait passé avec Sarah, c’est qu’elle n’aimait pas qu’on lui force la main et encore moins qu’on cherche à savoir ce qu’elle voulait garder caché. Alors, même s’il en souffrait, il respecta son choix.
— On va accompagner Sarah à son avion et ensuite, on ira se reposer.
Simon sembla déçu à son tour, mais se résigna.
Dans le taxi les conduisant vers l’aéroport, le petit garçon s’endormit abandonné à la confiance que lui procurait la présence de Christopher.
Une fois déposés devant le terminal des départs, Christopher insista pour accompagner Sarah jusqu’aux portillons d’embarquement. Il souleva Simon assoupi dans ses bras et marcha à ses côtés.
Une voix intérieure lui disait de briser cette abnégation imbécile, qu’une femme préférerait toujours l’amour à la révérence. Qu’il devait avoir le courage de lui dire qu’il était amoureux. Mais ne risquait-il pas au contraire de la braquer et de la faire fuir définitivement en lui parlant trop franchement ? Il n’avait plus qu’une poignée de minutes pour se décider.