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Alors qu’elle guettait l’arrivée de l’officier Nielsen et du directeur en se demandant pourquoi ils mettaient autant de temps, le portable de Sarah vibra dans sa poche. Un message.

Salut grande sœur. T’as pas oublié l’anniversaire de Moira ce soir ? Elle fête ses 5 ans… On vous attend à la maison pour 7 h ? Je t’aime. À ce soir.

P.S. : en PJ, une photo de tes 5 ans que j’ai retrouvée.

Espérant que cela l’aiderait à dissiper son malaise, Sarah toucha la vignette de la photo pour l’agrandir. Apparurent en gros plan les frimousses de deux petites filles rousses illuminées par la lueur joyeuse de cinq bougies plantées sur un gâteau. Joue contre joue, elles s’apprêtaient à souffler, mais un fou rire avait dû les surprendre et leur bouche grande ouverte dévoilait leurs dents de lait.

Sarah regretta d’avoir ouvert la photo et n’eut cette fois ni la force ni le temps d’empêcher l’angoisse de se répandre en elle.

— Vos enfants ? demanda la technicienne scientifique.

La question sembla lointaine. Les premiers fourmillements montèrent dans les extrémités de ses jambes et de ses doigts. L’endroit où elle se trouvait commençait à lui devenir étranger. Ne restait plus en elle que la pensée tétanisante du désastre qu’était désormais sa vie d’adulte, si loin de ses rêves d’enfant.

La gorge comme obstruée par une barre de métal, elle marcha droit devant elle, mue par une crainte presque plus forte encore. Celle de se retrouver prostrée à même le sol sous le regard médusé de l’équipe scientifique, de l’officier et du directeur de l’hôpital qui allaient arriver d’une seconde à l’autre.

Dans l’agitation de ses pensées, elle se souvint d’avoir croisé des toilettes sur son chemin. Mais la porte par laquelle elle voulut passer s’ouvrit pour laisser place à l’officier Nielsen précédé de la haute silhouette du directeur.

— Est-ce que vous pourriez au moins m’informer de ce qu’il se passe ? l’interpella le directeur.

Ignorant la question, Sarah le contourna.

Elle aperçut bientôt les toilettes, se précipita dans la première cabine, verrouilla la porte et s’assit sur la cuvette. Les lèvres pincées, elle s’efforça d’inspirer calmement par le nez alors que la peine frappait contre sa poitrine.

Les cris d’Erik lui étaient brutalement revenus en tête : « On s’est perdus, Sarah ! On s’est perdus à force de ne faire exister notre couple qu’à travers cet unique et putain de projet d’enfant ! »

C’était ainsi qu’il se justifiait de l’avoir trompée et de la quitter.

Alors oui, elle avait peut-être trop voulu ce bébé au détriment de son couple. Oui, elle s’était battue avec son corps, avec son âme pour ne pas fléchir dans cette épreuve et, forcément, elle avait moins donné à Erik. Mais jamais elle ne lui avait fermé ses bras ou son écoute. Jamais. Alors pourquoi ne lui avait-il pas fait part de ses craintes avant qu’il ne soit trop tard ?

Sarah sentait au fond d’elle qu’elle détenait la réponse et la douleur n’en était que plus aiguë : s’il n’avait rien dit, c’est qu’il n’en avait pas envie.

— Inspectrice ? Tout va bien ? cria l’officier Nielsen de sa voix puissante.

La peur d’être surprise dans un tel état de détresse fouetta l’esprit de Sarah. Une brève lueur de raison parvint à se faire entendre dans le chaos de ses émotions : son travail était la dernière chose qui tenait encore debout dans sa vie. Elle devait s’y accrocher comme un naufragé à sa bouée.

— Vous êtes sûre que tout va bien ? insista l’officier.

— Rejoignez le directeur !

— À vos ordres, madame.

Quand Sarah quitta les toilettes trois minutes plus tard, elle se sentait épuisée. Elle rejoignit le couloir où l’attendaient l’officier Nielsen, et les techniciens scientifiques et le directeur. Tous la dévisagèrent. Mais Sarah ne leur laissa pas le temps de poser de questions.

— Qui se trouve dans cette zone C ? demanda-t-elle au directeur.

— La zone C ?

Comme à son habitude, Sarah ne confirma pas ce que son interlocuteur avait parfaitement entendu. Elle patienta.

— Comme je vous l’ai dit, les patients qui sont dans cette zone sont considérés comme dangereux. En ce moment, nous n’en avons qu’un, que vous connaissez mieux que moi : Ernest Janger. À cette heure-ci, il doit dormir. Son traitement est assez… fort.

— Quel est le numéro de sa chambre ?

— La C27, mais pourquoi voulez-vous aller dans ce secteur ? Vous risquez de réveiller un patient que l’on a toutes les peines du monde à apaiser…

Sarah posa son badge sur le capteur électronique. Un voyant vert s’alluma et la porte se déverrouilla dans un claquement mécanique.

— Vous venez avec moi, enjoignit-elle au directeur.

Elle entra la première, suivie de la police scientifique et de l’officier qui surveillait le directeur.

Le couloir au sol en caoutchouc vert, sans fenêtres, était éclairé de néons à très faible intensité. Sarah compta six portes au-dessus desquelles était inscrite la lettre C suivie d’un numéro. Une caméra de surveillance veillait dans un coin du plafond, au-dessus de l’entrée.

Quand elle passa devant la C27, Sarah ralentit l’allure et souleva le judas.

La chambre était plus exiguë que celle du secteur A et ne comportait aucune fenêtre. Une ampoule nue fixée au plafond projetait une lumière crue sur un lavabo, un cabinet de toilette et un lit collé au mur de droite. Un homme blond et d’un physique malingre y était allongé, tourné vers le mur. L’espace d’un frisson, Sarah repensa aux abominations dont cet homme s’était rendu coupable.

— Voilà, vous l’avez vu, chuchota le directeur.

Sarah referma le pan du judas et poursuivit dans le couloir.

— Il n’y a plus personne après. Comme je vous l’ai dit, Janger est l’unique patient de ce secteur.

Sarah continua à marcher sans se retourner. Arrivée devant la cellule C32, elle s’arrêta.

— Ouvrez cette pièce.

Le directeur lissa sa cravate. Et cette fois, Sarah sut que ce geste trahissait un état de stress. D’ailleurs, il avait pâli.

— Pourquoi voulez-vous entrer ici ? C’est une cellule vide…

Sarah consulta sa montre en guise de réponse.

Le directeur s’humecta les lèvres et sortit un trousseau de sa poche. Il glissa la clé dans la serrure, la tourna à deux reprises et appuya sur la poignée en poussant un soupir.

La pièce était plongée dans l’obscurité. Sarah demanda une nouvelle paire de gants tactiles aux techniciens scientifiques, les enfila et enclencha l’interrupteur à gauche avant d’entrer. Le spectacle qui se dévoila sous yeux l’ahurit.

Chaque centimètre carré de mur était recouvert de milliers de graffitis, comme autant de pattes d’araignée qui auraient été collées les unes aux autres sur de la peinture blanche. De minuscules figures noires entrelacées dans un vertigineux chaos graphique. Comme si la pièce avait été contaminée par un obscur parasite.

Sarah passa sa main gantée sur l’un des murs et scruta l’enchevêtrement de traits, s’ingéniant à y distinguer une forme intelligible. Mais elle n’y vit qu’un amas de gribouillis.

— Je veux une reproduction photographique intégrale des murs de la pièce.

Puis elle regarda par terre.

— Et faites une recherche de traces d’urine.