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Les deux policiers scientifiques s’équipèrent de nouvelles combinaisons et se couvrirent la tête de leur capuche.

— Que représentent ces graffitis ? demanda Sarah au directeur.

— Je n’en sais rien. C’est un ancien patient qui a fait ça. Il n’est plus là.

Elle n’avait même plus besoin de se retourner pour deviner sa fébrilité.

— Et vous n’avez jamais pris le temps de nettoyer les murs ?

— Pas encore, comme je vous l’expliquais, cet endroit est peu fréquenté et nous n’avons pas assez de personnel pour tout gérer. Ce n’était pas une priorité.

— C’est ici qu’il est mort ?

— Pardon ?

Sarah s’assura que l’officier Nielsen était aux aguets, prêt à retenir le directeur en cas de fuite.

— Je sais que cette cellule est celle de la victime, assena-t-elle. Pourquoi avez-vous essayé de nous faire croire qu’il résidait dans le secteur A ?

— Vous racontez n’importe quoi ! s’emporta le directeur. Cette cellule était effectivement celle de 488, mais nous l’avons passé en zone A il y a deux jours parce qu’il nous semblait ne plus représenter aucun danger.

— Où Janger et la victime sont-ils emmenés chaque soir ? Qu’est-ce que vous leur faites subir ?

Le directeur eut l’air stupéfait.

— Mais de quoi parlez-vous ?

— De quoi est vraiment mort le patient soi-disant victime d’une crise cardiaque ? Pourquoi avoir déplacé le corps ? Ce sont ces dessins que vous vouliez garder secrets ? Pourquoi ?

— Bon, écoutez, puisque vous le prenez de cette façon, à partir de maintenant, pour toutes les questions que vous me poserez au sujet de ce décès, je demande à me faire assister d’un avocat.

Sarah s’attendait à cette réponse.

Elle rebroussa chemin en indiquant au directeur et à l’officier Nielsen de la suivre et s’arrêta devant la cellule C27.

— Pourquoi Janger est-il enfermé ici ? La zone est-elle seulement mieux sécurisée ou y a-t-il une autre raison ?

Le directeur eut un geste d’agacement et lâcha un brutal soupir.

— Mieux sécurisée, c’est tout ? Dois-je vous rappeler que Janger a violé et étranglé une dizaine de femmes dans son ambulance il y a environ cinq ans. Pour chacune d’entre elles, le calvaire a duré cinq jours. Alors oui, il est ici pour éviter une évasion. Et non, il n’y a pas d’autre raison. Je ne vois pas ce que vous insinuez.

— Dans combien de temps va-t-il se réveiller ?

— Je ne sais pas… D’ici trois ou quatre heures.

Sarah ne répondit pas, se contentant de déceler la peur dans le comportement du directeur.

— Écoutez, dans tous les cas, je préfère vous prévenir, malgré son traitement, Janger est encore très agressif. Et puis pourquoi vous voulez lui parler ?

— Parce qu’il connaissait 488, parce qu’il a peut-être vu ou entendu ce qui a causé sa mort et parce que, contrairement à vous, il n’a aucun intérêt à me mentir. Ouvrez la cellule.

*

Un infirmier trapu, au cou massif et aux oreilles décollées, ressortit de la cellule où était enfermé Ernest Janger. Son front luisait de sueur.

— La camisole est fixée. Il est réveillé, déclara-t-il essoufflé.

Hans Grund fit un pas en avant vers Sarah.

— Inspectrice Geringën. Si Janger a été calme jusqu’à aujourd’hui, c’est en partie parce qu’il est sous calmants et qu’il n’a pas vu une femme depuis plusieurs années… Ne le provoquez pas. Et laissez-moi intervenir si je sens qu’il faut le laisser tranquille.

— Officier Nielsen, raccompagnez M. Grund dans son bureau et restez avec lui jusqu’à mon retour. Je ne veux pas qu’il reste ici.

— Pardon ? Vous n’êtes pas sérieuse ?

Sarah posa la main sur la poignée de la porte. Le directeur lui agrippa le bras. Sarah le dévisagea. Hans Grund retira immédiatement sa main en reculant.

Sarah le toisa une dernière fois et entra dans la cellule où elle fut accueillie par une étouffante odeur de transpiration mêlée à des vapeurs d’éther. Le patient Ernest Janger était immobile, allongé en chien de fusil sur le lit, le dos tourné à sa visiteuse, prisonnier de sa camisole de force aux manches nouées sur le ventre.

— Bonjour, Ernest.

Le patient bascula lentement vers Sarah, découvrant cette apparence qui l’avait tant troublé à l’époque.

En lieu et place d’un être monstrueux, il présentait un visage presque enfantin, à la peau rosâtre et aux formes rondes.

Il observa Sarah et sourit, dévoilant un espace entre ses deux incisives du haut qui lui donnait un air encore plus naïf. Il ressemblait en fait à un garçon de la campagne aux boucles dorées que la vie au grand air aurait préservé des effets du temps.

Sarah se dirigea vers une petite table et une chaise fixées au sol à deux mètres du lit. Elle s’assit en croisant les jambes.

Janger la suivit du regard. Au départ, Sarah reconnut la lueur que beaucoup d’hommes laissaient transparaître quand ils la détaillaient. Mais la seconde d’après, toute réserve s’évanouit au profit de deux braises concupiscentes et avides.

Janger parvint à s’asseoir sur le rebord de son lit et se mordit la lèvre inférieure.

— Janger, connaissiez-vous le patient de la cellule C32 ?

Il leva les yeux vers le plafond, comme s’il réfléchissait.

— Inspectrice Geringën… comme la vie est imprévisible. Si vous imaginiez la joie que j’ai à vous revoir.

Sarah ne savait que trop ce que sous-entendait le mot joie dans la bouche de ce pervers.

— Je ne suis pas là pour parler de votre affaire, Ernest.

— Bien, bien… dommage, j’aurais eu plaisir à évoquer notre passé commun, susurra Janger en caressant son interlocutrice du regard.

Malgré l’expérience, Sarah ne put se défaire de ce sentiment de dégoût face à ce que dans son métier on appelait un viol visuel.

— Je suis là pour celui qu’on surnommait ici 488. Vous le connaissiez ?

— 488 ? Oui, je le connaissais… Mais pourquoi parlez-vous au passé ?

Sa voix s’était faite enjouée, agréable.

— Il est mort, répondit Sarah. Vous étiez… amis ?

— Ah, qu’est-ce qui lui est arrivé ?

— Nous ne savons pas encore exactement. Mais vous allez peut-être nous aider. Vous le connaissiez bien ?

— On était copains, même si, en cinq ans, il ne m’a jamais parlé.

— 488 était-il là hier soir ?

— Oui, il a crié, comme tous les soirs… Son cri à lui. Un truc moche… Vraiment moche. Et vous êtes bien placée pour savoir que j’en ai entendu, des cris. Mais vous savez, même à moi, celui-là, il m’a foutu les foies.

— Il criait donc tous les soirs. Savez-vous pourquoi ?

— Ça se pourrait bien…

Le sourire qui avait traversé le visage de Janger effaça brièvement toute trace d’innocence, juste avant qu’il ne reprenne son apparence joviale.

— Monsieur Janger ? interpella Sarah. Que saviez-vous de 488 ?

— Vous voulez savoir qui l’a tué ?

— Tué ? Vous pensez qu’il a été assassiné ?

— Tu veux que je te dise un truc, espèce de petite salope de flic ?

Sarah réprima un mouvement de recul. Le rythme de son cœur s’emballa. Elle devait s’y attendre, mais la confrontation à la réalité l’avait malgré tout surprise. Elle tenta une autre approche.

— Ernest, je sais que l’on vous emmène quelque part tous les soirs. Que l’on vous fait des choses. Dites-m’en plus. Je peux peut-être vous aider.

— C’est le sommeil noir qui l’a tué. Et je serai le prochain.

— Le sommeil noir ? C’est quoi ?