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Janger fit pénétrer sa langue dans l’interstice de ses lèvres, et ses traits se déformèrent en un masque de colère.

— Je vais te soigner, toi aussi ! hurla-t-il en se levant droit comme un ressort.

Sarah contint difficilement un sursaut.

— Je vais te soigner comme les autres ! éructa Janger. On va jouer au papa et à la maman dans mon ambulance.

Puis il se rassit et se recomposa un air angélique.

— Ne vous inquiétez pas, je vous conduis à l’hôpital. Tout ira bien, madame, chuchota-t-il en couvrant Sarah d’un regard compatissant.

Lors de ses entretiens avec Janger par le passé, Sarah avait été confrontée à maintes reprises à cette folie. Et elle savait qu’elle devait au plus vite reprendre l’ascendant sous peine de lui donner confiance.

— Ernest ? C’est quoi ce sommeil noir ?

Janger parla d’une voix où transpirait la colère.

— Le directeur n’est pas celui que vous croyez… chuchota-t-il.

Sarah se redressa de façon imperceptible. Elle entendait la respiration bruyante du patient emplissant l’air comme le tic-tac d’un compte à rebours.

— C’est lui le vrai fou dans cet hôpital.

— Que vous fait-il ?

— Est-ce que tu m’aimes ?

— Ernest Janger. Je suis votre unique chance de soulager votre souffrance. Ne perdons pas un temps précieux.

— Personne ne m’aime. Alors, j’étais obligé de les forcer à me dire qu’elles m’aimaient. C’était tellement fort de les entendre me susurrer ces mots alors que quelques minutes avant, elles m’ignoraient dans la rue.

— Et aujourd’hui, c’est quelqu’un d’autre qui vous force à faire des choses que vous ne voulez pas, n’est-ce pas ?

— Me prends pas pour un con. Je sais très bien que tu joues la gentille pour me faire parler et, dès que t’auras eu ce que tu voulais, tu te casseras et tu m’oublieras, comme toutes les autres. Alors, tu sais quoi, déshabille-toi. Et dis-moi que tu m’aimes.

Janger regardait maintenant par en dessous, le menton baissé, le souffle de plus en plus bruyant, ses yeux fouillant l’objet de son désir.

Sarah chassa l’image sordide qui lui traversa l’esprit.

— Ernest. Je ne suis pas comme les autres. Quand je dis quelque chose, je tiens parole. Si je dis que je peux vous éviter une souffrance, c’est que je le peux. Il faut m’aider et je vous promets de vous aider. Pourquoi dites-vous que le directeur est… fou ?

— Déshabille-toi ! répéta Janger alors que ses jambes s’agitaient.

Sarah hésita puis releva lentement les manches de son pull, dévoilant une peau diaphane et crémeuse piquée de taches de rousseur.

Janger écarquilla les yeux comme s’il avait été foudroyé.

— Que vous font-ils ? répéta Sarah, sûre d’elle.

— Encore, enlève encore !

— Si tu veux en voir plus, réponds-moi.

Janger tapa du pied.

— Pas à moi, à 488 ! Ils le piquaient, je les ai vus ! Et puis après ils l’emmenaient là-bas pour le sommeil noir, c’est comme ça qu’il l’appelait. Et c’est ça qu’il dessinait sur ses murs !

— Avez-vous une idée du but des expériences qu’ils réalisaient sur lui ?

Janger commençait à avoir des tics nerveux et se mordait les lèvres de plus en plus fort.

— Si tu veux que j’en enlève plus, tu vas devoir être sage et me dire ce que tu sais, chuchota Sarah.

Le regard du meurtrier flamboyait de fantasmes qu’elle n’osait imaginer. Il émit une espèce de râle. Il tapait des pieds comme pour contenir ses pulsions.

— Janger…

— De toute façon, tu ne me croiras pas !

— Dis-moi !

Pour la première fois, Sarah avait élevé le ton.

— Enlève tout, ordonna Janger, son apparence enfantine déformée par la concupiscence.

Janger avait forcé sur sa camisole et se penchait d’avant en arrière.

— Que lui faisaient-ils exactement ? répéta Sarah en guettant la porte du couloir.

— Je sais pas, mais y avait que lui et lui seul qui pouvait supporter ce qu’ils lui faisaient, c’est tout ce que je sais !

Et soudain, il se projeta vers Sarah. Elle fut debout en un clin d’œil et esquiva Janger. Le détraqué sexuel se cogna contre la chaise fixée au sol et bascula par terre.

Sarah le saisit par les épaules, le redressa et le plaqua contre le mur, la joue écrasée contre la paroi.

— Tu te calmes, Janger. Je vais sortir de cette chambre et tu vas sagement rester ici en attendant que je parte. C’est bien clair ?

Il grogna en guise de réponse. Sarah raffermit sa poigne.

— T’as pas besoin de t’énerver, la rousse. Moi, je veux qu’une chose : que Hans Grund souffre comme il nous a fait souffrir. Punis-le de ma part.

Sarah relâcha sa prise. Janger se laissa glisser par terre, levant ses beaux yeux bleus d’enfant à l’air triste.

— J’aurais adoré t’avoir dans mon ambulance. Toi au moins, t’aurais pas couiné comme toutes ces truies.

Sarah marcha à reculons. Puis elle cogna du poing à la porte de la cellule et on lui ouvrit. Elle sortit et l’infirmier au cou de taureau referma vite derrière elle. L’officier Solberg la considéra comme si elle revenait d’entre les morts.

— Les renforts sont-ils arrivés ? demanda-t-elle.

— Pas encore.

— En attendant, vous restez ici.

Un doigt posé sur son oreillette, Sarah contacta l’officier Nielsen remonté dans le bureau du directeur.

— Appréhendez Hans Grund. Soyez méfiant. Ce type n’est peut-être pas qu’un intellectuel. J’arrive.

— Bien reçu.

Sarah retraversa les couloirs de l’hôpital au pas de course. Elle gravit en hâte l’escalier en colimaçon menant à l’étage et eut à peine le temps de tendre la main vers la porte du bureau du directeur que le battant s’ouvrit avec fracas. Elle se protégea le visage et tituba en arrière sous l’effet du choc. Devant elle, le directeur venait de surgir de son bureau et courait vers l’escalier.

L’équilibre incertain, Sarah s’empara de son talkie-walkie.

— Hans Grund est en fuite vers le secteur A ! Il est dangereux et peut-être armé.

Elle se pencha pour jeter un coup d’œil dans le bureau. L’officier Nielsen se maintenait adossé contre la bibliothèque, une main pressée contre son crâne ensanglanté. À ses côtés, un cube à photos en plexiglas, dont l’un des angles était maculé de sang. Il adressa un fragile signe de main à l’inspectrice pour lui signifier que ça allait.

Sarah se rua vers l’escalier en lançant un nouvel ordre.

— Et envoyez des secours à son bureau ! Un officier est blessé.

Sarah dévala les marches. Son entraînement lui permit de rattraper le directeur dont elle entendait le souffle et les pas juste au-dessous. Elle sauta les dernières marches à l’instant où Hans Grund disparaissait derrière une porte située sous l’escalier. Elle percuta le battant d’un coup d’épaule et déboucha dans un long couloir sale. Hans Grund n’était qu’à environ dix mètres devant elle. Il s’arrêta, se retourna vers elle et plongea la main dans sa poche intérieure.

Sarah réalisa qu’elle n’était pas armée.

– 5 –

Elle s’apprêta à plonger pour éviter les balles. Mais Hans Grund tira une clé de sa poche, s’agenouilla et déverrouilla une serrure au sol. Il souleva une trappe et sauta dans l’ouverture.

Sarah donna une brutale accélération. Elle se laissa glisser à terre, la jambe droite en avant. Son pied se cala de justesse dans l’interstice entre le sol et l’abattant.

Elle souleva la trappe et jeta un coup d’œil prudent. Le directeur venait de sauter les dernières marches d’un escalier pour atteindre le plancher. Il leva la tête puis disparut de son champ de vision. Sarah dévala les marches et déboula dans un souterrain aux murs bétonnés, à peine éclairé par une veilleuse rouge disposée au plafond. La silhouette du directeur s’agitait à quelques mètres devant elle. On entendait le cliquetis d’une serrure que l’on déverrouille.