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Une lumière blême jaillit par la porte que Hans Grund venait d’ouvrir. Sarah courut droit devant et repoussa d’un coup de pied le battant qui se refermait avant d’entrer, courbée.

Deux brancards vides étaient positionnés côte à côte au centre de la pièce. Sur les barreaux latéraux de chacun d’entre eux pendaient des sangles en cuir munies de boucles de ceinture. À la tête de chaque brancard, supportés par des chariots, se trouvaient trois appareils affublés de deux cadrans et d’où sortaient plusieurs fils.

Sarah avait pris conscience de l’ensemble du décor en un clin d’œil, mais son attention avait surtout été attirée par le directeur, debout dans le coin gauche de la salle, à côté d’une armoire vitrée. Il ne devait pas être armé, sinon il lui aurait déjà tiré dessus.

— Ne bougez plus, lui ordonna Sarah.

Elle fit un pas en avant. Hans Grund marmonna quelques mots, puis tendit subitement la main et saisit une poignée dissimulée dans l’armoire qui se trouvait à côté de lui. Sarah comprit trop tard.

Une détonation assourdissante ébranla la salle tandis qu’un vent de feu embrasait l’air.

*

Sarah plongea au sol. La lame ardente de l’explosion rasa ses cheveux, sa nuque et son dos dans un vacarme d’enfer. Un bras plaqué sur le visage, en apnée, elle crut qu’elle allait se consumer. Alors qu’elle commençait à manquer d’oxygène, elle leva la tête pour regarder autour d’elle. La chaleur lui gifla la figure tandis que les flammes dévoraient les parois. Au loin, elle distingua le hurlement affolé de l’alarme incendie. Mais aucun système d’extinction automatique ne se déclenchait. Hans Grund avait dû prévoir son coup.

Elle s’accroupit et repéra la sortie derrière elle. Le couloir avait échappé aux flammes. Devant elle, le corps inanimé du directeur gisait face contre terre. Son instinct lui intima l’ordre de faire demi-tour et de fuir sur-le-champ. Mais une volonté plus forte la fit foncer droit devant elle. Elle souleva avec peine le lourd directeur et le tira de toutes ses forces vers la sortie.

Elle parvint à faire quelques pas avant que la lutte ne se termine en quinte de toux. La fournaise brûlait son visage et la fumée l’étouffait. Sarah s’accroupit pour trouver encore un peu d’air respirable, et tira de nouveau le corps en poussant un cri d’effort. Elle n’était plus qu’à deux mètres de la porte, mais, si elle restait debout, elle allait mourir asphyxiée.

Elle s’allongea sur le dos, hissa le corps du directeur sur son ventre, puis rampa sur le sol en poussant sur ses jambes et en se tortillant. L’arrière du crâne de Hans Grund n’était plus qu’un amas de cloques sanguinolentes où de rares cheveux brûlés collaient aux plaies ouvertes. Elle ignorait s’il était encore vivant, mais elle devait tenter sa chance.

Elle parvint à passer l’embrasure de la porte en laissant échapper un râle d’épuisement. Elle replia les jambes et souleva de nouveau le directeur sous les bras quand le néon placé au-dessus de la porte éclata sous l’effet de la chaleur en projetant une gerbe d’étincelles. Sarah n’eut pas le temps de se protéger et une brûlure lui cravacha l’œil droit. Elle laissa échapper un cri de souffrance et lâcha le corps de Hans Grund.

— Elle est là !

La voix venait d’au-dessus. Une main écrasée sur son œil, elle vit l’officier Nielsen la couvrir d’une couverture ignifugée.

— Inspectrice, par là !

L’agent, qui saignait encore de la tête, entreprit de conduire Sarah vers l’escalier, mais elle se dégagea.

— Non ! Emmenez le directeur !

— Quoi ? Tout le bâtiment est en train de brûler ! Il faut partir !

Au-dessus d’eux, la voix de l’officier Dorn posté à l’entrée de l’escalier se fit entendre.

— Vous allez rester coincés ! Vite !

— Je veux interroger Hans Grund ! Je veux savoir ce qu’il se passe ici ! Ramenez-le, moi, je peux marcher !

Du haut de son mètre quatre-vingt-dix, l’officier Nielsen sembla hésiter à désobéir et à assommer sa supérieure pour lui sauver la vie. Il jeta un bref coup d’œil au corps de Grund allongé sur le pas de la porte et comprit que son inspectrice avait certainement traîné le directeur toute seule jusqu’au couloir alors que l’incendie menaçait de la brûler vive.

Intimidé, il ravala sa grogne et s’élança vers le corps de Grund pour le charger sur son épaule. Sarah avait déjà commencé à gravir l’escalier et saisit la main de l’officier Dorn.

— Ça brûle de partout !

Sarah découvrit stupéfaite les flammes folles léchant les portes des cellules alors qu’une fumée épaisse remplissait déjà la moitié de la hauteur du couloir.

Courbé en deux, Dorn fit signe à Sarah de le suivre en courant. Elle s’engagea dans le couloir à sa suite, le creux de son bras plaqué contre sa bouche. La douleur au niveau de l’œil n’était plus aussi aiguë que tout à l’heure, mais elle ne voyait toujours rien du côté droit.

— Vous êtes blessée ? cria Dorn alors qu’il courait devant elle.

Sarah n’entendit pas la question. Dans ce couloir d’enfer, le hurlement de l’alarme mêlé à la combustion des portes générait un souffle qui rendait les voix quasi inaudibles. La peau de son visage était rutilante de chaleur. Désorientée, elle trébucha sur le cadavre d’un patient calciné. C’est là, dans la cellule devant laquelle elle venait de s’arrêter, qu’elle découvrit une femme assise par terre, recroquevillée contre le mur de sa chambre, paralysée de peur.

Elle reconnut la patiente au regard triste et résigné qu’elle avait aperçue plus tôt ce matin, derrière la vitre du hall d’entrée.

— Il y a une femme vivante là ! hurla-t-elle.

Au même moment, un fracas assourdissant retentit dans tout le couloir.

— Inspectrice Geringën ! Le plafond est en train de s’effondrer ! hurla l’officier Nielsen qui courait derrière elle, le directeur juché sur son épaule.

Un nouveau bruit de chute gronda dans un rugissement de fournaise.

Sarah courut vers la chambre de la patiente tétanisée. Elle déchira un morceau de drap, le trempa dans la cuvette des toilettes et le jeta sur la tête et les épaules de la femme apeurée. Puis elle la saisit par le bras.

— Non !

La patiente venait de laisser tomber quelque chose qu’elle tenait serré contre elle. Une photo où elle était souriante, entourée de deux enfants.

— Baissez-vous et suivez-moi !

La patiente d’une quarantaine d’années se laissa entraîner et elles franchirent le seuil de la cellule en enjambant les débris de plâtre et les poutres en flammes qui jonchaient le sol. Loin au-dessus de leur tête, on apercevait désormais le plafond du deuxième étage qui menaçait lui aussi de s’écrouler.

— Ne respirez plus ou vos poumons vont brûler. Courez de toutes vos forces ! commanda Sarah.

La patiente resta figée sur place, comme fascinée par l’incendie. Le feu entamait déjà le drap qui l’enveloppait. Sarah s’empara de la main de cette femme perdue et tira si fort qu’elle ne lui donna pas l’occasion de résister.

Elles étaient à bout de souffle quand elles déboulèrent dans le hall d’entrée. Sarah percuta la porte de sortie à double battant avec fracas et l’air glacé, qui tout à l’heure lui griffait la peau, fut accueilli comme une délivrance.

Quand elles furent à une vingtaine de mètres, Sarah s’appuya contre un arbre, cassée en deux, le visage taché de suie. À ses côtés, la patiente qu’elle venait de sauver s’écroula par terre, dans la neige, épuisée.