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Sarah hocha la tête en sachant qu’aujourd’hui plus qu’un autre jour, elle ne pouvait faire une telle promesse. La main posée sur la poignée, elle se retourna juste avant de sortir.

— Fais comme d’habitude, fais-moi confiance.

Sarah quitta Stefen sans lui avoir dit qu’elle était rassurée de l’avoir à ses côtés. Plus qu’il ne l’imaginait. Même si, pour elle, cette relation appartenait définitivement au passé.

— Inspectrice Geringën.

Elle reconnut Norbert Gans qui venait de l’aborder à sa sortie du bureau du commandant. Il avait toujours cette apparence impeccable de gestionnaire bancaire à l’air concentré et aux gestes précis.

Mais ce qu’elle appréciait par-dessus tout chez lui, c’est qu’il la connaissait et savait qu’à chaque échange, il fallait aller droit au but.

— Ravi de travailler de nouveau avec vous, déclara-t-il. Les perquisitions chez les trois surveillants et chez le directeur sont en cours.

— Bien. Les clichés de la cellule C32 sont arrivés ?

— Ils sont en téléchargement sur votre ordinateur. Vous devriez pouvoir en disposer d’ici trente minutes.

— Bien, où sont Elias Lunde et Leonard Sandvik ? Je vais les interroger.

Norbert Gans conduisit son inspectrice aux salles d’interrogatoire installées dans les sous-sols du bâtiment. Avant d’entrer dans la première pièce, Sarah se servit un café serré au distributeur de boissons.

Elle regrettait d’avoir avalé ce cachet dont elle avait plus l’impression de subir les effets de somnolence que le bénéfice anxiolytique. L’état idéal pour mener un interrogatoire, songea-t-elle ironiquement.

Elle avala son café d’une traite, lissa la mèche qui ombrageait la face droite de son visage et entra dans la pièce où était enfermé Elias Lunde.

L’infirmier était assis sur une chaise devant une table en Formica, la lumière du plafonnier tombant sur sa nuque. Un homme d’une trentaine d’années, au visage rond, à la peau mate et aux traits asiatiques.

— Inspectrice Geringën, annonça Sarah en entrant, avant de s’installer sur la chaise qui faisait face à l’infirmier.

Ce dernier leva la tête à la façon d’une bête traquée.

— Votre nom ?

— Elias Lunde.

Sarah déplia un carnet de poche sur lequel elle griffonna le nom de l’interrogé.

— Bien. Il va falloir faire un petit effort, monsieur Lunde. Vous allez oublier l’incendie et je vais vous demander de vous concentrer sur le déroulé des événements qui ont précédé la mort de celui que vous surnommiez 488 entre vous.

— Attendez, je veux bien oublier tout ce que vous voulez, mais quand même. Qu’est-ce qu’il s’est passé ?! Tout était en train de brûler, d’un coup, comme si on avait jeté de l’essence dans tous les couloirs. C’est… c’est impossible.

Sarah le toisa de ce regard qu’elle manifestait seulement dans le cadre de son travail et qui n’exprimait guère plus de compassion que celui d’un félin. Elias Lunde baissa les yeux.

— Donc, reprit Sarah. Racontez-moi ce qu’il s’est passé hier soir.

L’infirmier se mordilla la pulpe du pouce avant de parler.

— Eh bah… Je faisais ma ronde de nuit dans le secteur A, comme d’habitude, et puis j’ai entendu des cris. Le téléphone de surveillance s’est mis à sonner juste après, mais j’étais trop loin pour décrocher. Je suis arrivé à la cellule d’où provenaient les bruits et j’ai vu 488, c’est comme ça qu’on l’appelle ici, adossé au pied de son lit. Il m’a pas fallu longtemps pour comprendre qu’il avait passé l’arme à gauche. Il était blanc, et il respirait plus, avec sa bouche… ouverte, comme ça, là…

Il mima grossièrement le visage déformé de la victime avant de reprendre.

— Et puis ses mains autour du cou… Ça m’a foutu les jetons et, sur le moment, j’ai pas su trop quoi faire. Mais j’ai vite compris qu’il avait dû faire une crise d’angoisse et une crise cardiaque.

— Et ensuite ?

— Je me suis souvenu que les flics disent toujours qu’il ne faut toucher à rien, alors j’ai reculé. Leonard s’est pointé, et puis le gardien de nuit nous a prévenus qu’il avait appelé la police pour déclarer un suicide. Alors, même si on savait que c’était pas ça, on allait pas vous rappeler pour vous dire de pas venir, vous auriez trouvé ça bizarre.

Sarah simula l’approbation pour encourager le surveillant à se confier.

— Vous dites que votre collègue Leonard est arrivé après. Pourquoi ?

— Il était en train de faire ses piqûres de nuit à un patient. Une fois qu’on a commencé les injections de ce truc, il faut pas s’arrêter, et comme il était en plein milieu…

Une fois encore, Sarah acquiesça en notant quelques mots sur son carnet.

— Quand avez-vous été engagé à Gaustad, monsieur Lunde ?

— Il y a un peu moins de cinq ans. Le 10 février 2011, précisément.

— Parlez-moi de celui que vous appeliez 488.

Le surveillant se gratta l’arrière de la tête comme s’il avait soudain été piqué par un moustique.

— Bah, en fait, on savait pas grand-chose de lui. Il était amnésique et il parlait pas.

— En cinq ans, vous n’avez jamais entendu le son de sa voix ?

— Bah si, mais seulement quand il criait.

Sarah avait du mal à le croire.

— Et ce nombre, 488, sur son front. Une idée d’où ça pourrait venir ?

— Aucune. Les autres surveillants m’ont dit qu’il l’avait déjà quand il a été interné.

— Depuis que vous êtes là, combien de visites ce patient a-t-il reçues ?

— Des visites ?

Sarah approuva d’un mouvement de tête.

— Bah, à ma connaissance, aucune. Et d’après ce qu’on m’a dit, c’était comme ça depuis qu’il avait atterri à Gaustad, il y a un peu plus de trente ans.

Les archives des visites avaient très certainement brûlé et Sarah n’avait aucun moyen de vérifier cette information. Elle orienta la discussion sur un sujet plus immédiat.

— Quand vous évoquez ce « on » m’a dit, qui est ce « on » ?

— Bah, plein de gars, et puis aussi Leonard. Il est là depuis longtemps. Il en sait plus que moi.

Sarah jeta un œil furtif vers la poitrine du surveillant. Il respirait vite. Un peu trop vite pour quelqu’un d’assis.

— Leonard vous a-t-il aidé à déplacer le corps de la victime ?

Sarah guetta la réaction corporelle de l’infirmier. Son regard s’élargit et il eut un bref mouvement de recul.

— Je… Je ne comprends pas. On n’a pas déplacé le corps. Comme je vous ai dit, quand on a vu qu’il était mort, on l’a pas touché.

— Le corps a été déplacé du secteur C vers le secteur A, monsieur Lunde. On en a la preuve. Or, à cette heure, il n’y avait que vous et Leonard Sandvik dans l’établissement.

Elias Lunde se mordilla la chair du pouce et se pencha sur la table.

— Écoutez, je… Il faut m’aider. J’y suis pour rien dans tout ça. Je vous jure. J’ai fait ce que le directeur disait de faire, c’est tout.

— Vous avez déplacé le corps ?

— Oui… Oui, avec Leonard, on a reçu l’ordre de transporter 488 de sa cellule C32 vers le secteur A.

— Pourquoi ?

— Le directeur voulait pas qu’on voie ses graffitis…

— Pour quelle raison ?

— Je sais pas… Je suis payé pour pas poser de questions et j’avais pas envie d’avoir de problèmes. J’ai rien demandé. Et puis ça change quoi ? Je vous ai raconté la vérité quand je vous ai dit comment j’avais entendu des cris et que j’étais arrivé trop tard. Le seul truc qui change, c’est que c’est arrivé dans la cellule C32 et pas dans le secteur A.