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— Qu’avez-vous vu exactement dans sa cellule C32 ?

— Je vous l’ai déjà dit, je faisais ma ronde et je l’ai entendu gueuler. Un cri pas possible, et quand je dis pas possible, c’est que je vois pas comment un humain peut faire un bruit pareil ! Ça commençait comme un raclement de gorge et puis ça finissait tellement aigu qu’on avait l’impression de sentir une aiguille dans les tympans. Ça lui arrivait souvent, mais là c’était vraiment le pire. Je suis juste allé jeter un coup d’œil, mais, le temps que j’arrive, je l’ai vu la bouche ouverte, les yeux écarquillés avec les mains autour du cou.

Elias Lunde reprit sa respiration.

— J’en ai vu des trucs de fou depuis que je suis là, mais un type qui essaie de se suicider en s’étranglant, je peux vous dire que c’est une première.

— Et après ?

— Bah, Aymeric nous a dit pour la police et puis le directeur nous a rappelés et nous a dit de mettre le corps en secteur A avant que la police arrive. Que c’est juste que c’était plus propre que dans le secteur C.

Sarah termina d’écrire les mots-clés du témoignage de Lunde sur son carnet avant de reprendre son interrogatoire.

— Ernest Janger m’a expliqué que vous les descendiez parfois, lui et 488, pour les soumettre à des… expériences. Quelle en était la teneur ?

Désespéré, Elias Lunde enfouit son visage dans ses mains en secouant la tête.

— Putain, merde… j’en sais rien. Oui c’est vrai, on nous demandait parfois d’aller chercher un patient pour le descendre au sous-sol. Mais après, c’est le directeur qui s’en chargeait. On n’avait pas le droit d’entrer. Et puis on n’avait pas envie. Je vous promets, je sais rien de plus. Si je savais, je vous le dirais pour me sortir de la merde.

— Avez-vous remarqué quelque chose d’anormal dans le comportement de la victime ces derniers jours ?

— Je sais pas…

— Réfléchissez.

— Euh… Bah, peut-être qu’il était plus agité que d’habitude. Son cri… On l’entendait plus souvent.

— Très bien, conclut Sarah. Pour le moment, je prolonge votre garde à vue de vingt-quatre heures.

Elle sortit et referma derrière elle en percevant la lamentation étouffée du surveillant.

Elle avala un second café, reprit ses esprits et entra dans la pièce d’à côté sans frapper.

Leonard Sandvik y tournait en rond. Un homme d’une soixantaine d’années, voûté, les cheveux blancs et dont les yeux pochés luisaient de fatigue et d’inquiétude.

Sarah l’invita à s’asseoir et lui demanda à son tour de lui raconter ce qu’il s’était passé cette nuit.

— Je vais essayer, soupira Sandvik. Mais pouvez-vous me dire si beaucoup de patients et de membres du personnel ont pu s’en sortir ?

— On ne sait pas encore. Que s’est-il passé la nuit dernière ?

Le surveillant dodelina de la tête, l’air de dire qu’il avait compris que ce n’était pas lui qui commandait.

— Eh bah, je faisais les piqûres d’hypnotiques aux patients insomniaques. Il devait être quatre heures du matin, quelque chose comme ça. Et puis j’ai entendu un cri salement violent, mais, comme j’étais en plein milieu d’une injection, j’ai pas pu partir comme ça. Et puis entre nous, c’était pas la première fois que 488 criait. Alors, je me suis pas plus inquiété que ça. Mais quand le téléphone de surveillance a sonné, je me suis dit qu’il y avait un problème. Je suis allé voir et c’est là que je l’ai trouvé la bouche ouverte, les yeux écarquillés avec les mains autour du cou.

— Quand êtes-vous arrivé à Gaustad, monsieur Sandvik ?

— Euh… Attendez, ça fait longtemps. Et puis là, comme ça…

— Prenez votre temps.

— Voilà, je me souviens, je suis arrivé le 22 novembre 1979, il y a près de trente-six ans, soupira-t-il. Ouais, trente-six ans… Et je suis pas devenu dingue.

— Vous étiez donc là quand le patient dit 488 a été interné à Gaustad ?

— Ah non, il était déjà là quand j’ai pris mes fonctions.

— Il était déjà là ? Le directeur m’a dit qu’il avait rejoint l’établissement il y a trente-six ans aussi.

— Oh, il ne devait pas être arrivé depuis bien longtemps, mais il était déjà là. Je peux vous l’assurer. C’est le patient qui m’a le plus fichu le cafard à mes débuts. Je m’en souviens.

— Qu’est-ce que vous pouvez me raconter à son sujet en trente-six ans d’observation ?

— Pas grand-chose. Un type triste, silencieux et paumé…

— Il a toujours été dans la cellule C32 ?

L’infirmier fut pris au dépourvu par la soudaineté de la question. Sarah, qui avait baissé la tête vers son carnet, la releva, l’air d’attendre une réponse qui ne venait pas.

Leonard Sandvik se mordilla la lèvre inférieure, de l’air de celui qui craint les soucis.

— Oui, la C32, lâcha-t-il en regardant par terre.

— Et ça ne vous pose pas plus de problèmes que ça d’avoir maquillé une scène de crime ?

— Écoutez, je sais pas ce qu’Elias vous a dit, mais… Je vous promets que, lui comme moi, on est juste les exécutants du directeur. Alors, même si on a fait des choses pas bien, c’est parce qu’on voulait pas perdre notre boulot. Moi, j’ai bientôt soixante ans, je retrouverai de travail nulle part et j’ai une famille à faire vivre. Vous comprenez ? Si j’avais dit au patron d’aller se faire voir, il m’aurait foutu à la porte !

— Pourquoi le directeur a-t-il demandé à déplacer le corps ?

— Je suis d’accord avec vous, c’est pas clair, même s’il a dit que c’était pour une raison d’image, que le secteur C était un peu trop sale…

— Quel était le but des expériences que le directeur semblait mener sur les patients que vous lui descendiez au sous-sol ?

— Ah, ça aussi, vous êtes au courant ? Eh bah, j’en sais fichtre rien. La seule chose que je peux vous dire, c’est qu’il y a deux jours, 488 a été descendu au sous-sol. C’est moi qui devais aller le chercher. J’attendais dans le couloir devant la salle et je l’ai entendu pousser un cri… Je vous jure, j’ai cru crever de trouille. C’était… pas humain comme truc.

Encore ce cri, songea Sarah. Mais si étranges que fussent ces révélations, elles ne l’aidaient en rien à avancer dans son enquête.

— Qui a rendu visite à cet homme depuis qu’il est là ?

Leonard Sandvik laissa échapper un petit souffle de cynisme.

— C’est terrible à dire, mais personne. En trente-six ans, je n’ai pas vu une seule personne rendre visite à ce pauvre homme. Je l’ai vu vieillir seul dans sa cellule, jour après jour. Qu’est-ce qui va m’arriver, inspectrice ?

Sarah eut l’intuition qu’elle n’obtiendrait rien de plus. Soit parce que Sandvik ne savait vraiment rien. Soit parce que lui et Elias la dupaient.

— Madame l’inspectrice, est-ce que je peux appeler ma femme, s’il vous plaît ? demanda le surveillant.

Sarah lut dans son regard la détresse d’un homme qui vient de comprendre que sa vie va basculer.

— D’ici deux heures, quand la perquisition à votre domicile sera terminée. Vous restez en garde à vue vingt-quatre heures de plus.

Leonard Sandvik tourna un regard abattu vers le sol.

Sarah claqua la porte derrière elle et fit signe à l’officier Gans de la verrouiller.

— Alors ? demanda ce dernier.

— Ils ont avoué avoir déplacé le corps, mais rejettent toute la responsabilité sur le dos du directeur. Et ils sont incapables de me dire quel était le but des expériences que Hans Grund menait sur ses patients dans le sous-sol. Des nouvelles de l’autopsie de la victime ?

— Non, pas encore, et Hans Grund n’est pas sorti de son coma.