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La doctoresse interpella Sarah d’un signe de main.

— Inspectrice Geringën. Quand il sera réveillé, s’il se réveille, je ne vous laisserai que dix minutes pour parler avec lui. C’est bien clair ?

Sarah inspira profondément et répondit par l’affirmative. Puis elle quitta l’hôpital. Il était presque 2 heures du matin.

*

Elle passa la nuit dans la même chambre d’hôtel que la veille, aux abords d’Oslo. À l’abri des regards, elle pleura. Beaucoup. Sans retenue.

Au petit matin, la peine était encore là, la peur de l’avenir aussi, mais une résolution s’était forgée en elle au cours des heures les plus sombres de la nuit. Si menaçante que soit cette enquête, elle allait s’y jeter avec l’énergie du désespoir. C’était sa seule chance de ne pas perdre pied. Elle espérait seulement que son corps et son esprit lui prêteraient l’énergie dont elle allait avoir besoin.

Elle consacra sa journée au bureau à classer les indices accumulés jusque-là et à éplucher les rapports de la police scientifique sur ce qui avait été retrouvé dans les décombres de l’hôpital. L’exercice l’aida à reprendre contact avec la réalité et à faire le point. Mais aucun élément ne lui permit de comprendre pourquoi Hans Grund avait détruit son hôpital, et encore moins qui était le patient 488.

Par acquit de conscience, elle appela les officiers Dorn et Nielsen, mais Hans Grund n’était toujours pas réveillé.

En fin de journée, la tête embrouillée, elle s’éclipsa discrètement, s’acheta des affaires de rechange, et rapporta un plateau de sushis qu’elle avala, assise en tailleur sur le lit de sa chambre d’hôtel. Elle ignora plusieurs appels de sa sœur et la rassura par SMS en lui promettant de passer dès qu’elle pourrait. Quant à la vente de l’appartement et au déménagement, elle réglerait cela plus tard.

Vers 22 heures, elle se fit couler un bain et se glissa dans l’eau chaude. Se sentant oppressée, elle n’y resta que quelques minutes. Et peu avant minuit, elle s’endormit dans son lit.

Elle se débattait dans un de ces rêves où l’on répète la même erreur à l’infini quand son téléphone sonna. Elle décrocha et se redressa aussitôt lorsqu’elle reconnut la voix de l’officier Dorn.

— Il est conscient.

Il était 3 h 42 du matin.

*

Vingt minutes plus tard, Sarah traversait les couloirs de l’hôpital universitaire d’un pas cadencé. Elle était désormais parfaitement réveillée.

L’officier Dorn l’accueillit en lui tendant des vêtements stériles. Elle les enfila et entra dans la chambre. La doctoresse l’attendait.

— Dix minutes, pas une de plus.

— Il est sous morphine ?

— Oui.

Tant mieux, songea Sarah. La morphine allait jouer un rôle désinhibiteur, encourageant à la confidence et à la vérité.

Hans Grund se mit à gémir alors que la doctoresse quittait la chambre.

Sarah s’accroupit. Les paupières du directeur frémirent et s’ouvrirent par à-coups jusqu’à ce que ses yeux fixent leur attention sur Sarah.

— Professeur Grund, je suis l’inspectrice Geringën. Vous vous souvenez de moi ?

Le directeur battit des paupières en signe d’acquiescement.

— Où suis-je ? soupira-t-il.

— À l’hôpital de l’université d’Oslo, soigné pour de graves brûlures que vous avez provoquées en déclenchant un incendie qui a ravagé votre établissement et entraîné la mort de seize personnes et un nombre encore indéterminé de blessés.

Contrairement à l’air satisfait qu’elle imaginait, Grund baissa les yeux.

— Je… je ne devais pas survivre.

— Je vous ai sorti de la fournaise.

— Pourquoi ?

— Pour comprendre, monsieur Grund. Comprendre pourquoi vous avez commis un crime si odieux alors que nous enquêtions sur la mort de l’un de vos patients.

Toujours à plat ventre, le professeur chercha à détourner la tête, mais une grimace de douleur tordit ses traits.

— Je ne voulais pas… en arriver là, finit par articuler Grund en reprenant son souffle au milieu de sa phrase. J’aimais mes patients… mon Dieu… Je ne voulais pas vivre cette culpabilité, vous auriez dû me laisser là-bas.

Toujours dans un coin de la pièce, l’officier Dorn était, comme Sarah, surpris par ce discours inattendu.

— Vous parlez comme si vous étiez… victime.

— Je l’ai fait pour sauver ma femme et mes enfants, inspectrice. Ils ne m’ont pas laissé le choix.

Sarah tira la chaise qui était derrière elle et s’assit, perplexe.

— Qui ça, ils ?

Grund grimaça de douleur alors que le moniteur électrocardiographique signalait une nette accélération du pouls. Sarah craignait qu’une alarme ne se déclenche et que la doctoresse ne déboule comme une tornade pour mettre fin à l’interrogatoire. Elle se leva et, sous le regard circonspect de Dorn, libéra la targette qui contrôlait la diffusion de morphine. Progressivement, le rythme cardiaque de Grund décrut jusqu’à reprendre une cadence quasi normale.

Après une trentaine de secondes, le professeur rouvrit les yeux. Son regard fixait un point imaginaire situé loin, quelque part dans ses souvenirs.

— Qui vous a forcé à agir comme vous l’avez fait, professeur ?

— Le patient 488 n’est pas arrivé à Gaustad dans les conditions que je vous ai décrites…

Sarah se pencha en avant pour être certaine de ne rien rater.

— Lorsque j’ai remplacé Olink Vingeren, l’ancien directeur… il m’a demandé de garder secrètes l’origine et l’identité de ce patient. Sinon ma famille en pâtirait, comme la sienne en aurait pâti avant…

— Attendez, vous voulez dire que quelqu’un faisait chanter l’ancien directeur sur l’existence de ce patient et que cette menace a ensuite été transférée sur vous ?

Grund approuva d’un battement de paupières.

— Professeur. Je dois savoir : qui vous ordonnait de garder cette information secrète ? Et pourquoi ?

Un voile d’impuissance obscurcit le regard de Hans Grund.

Il s’humecta les lèvres et Sarah lui présenta un gobelet d’eau muni d’une paille. Il aspira une gorgée et reprit.

— Le lendemain de ma prise de fonctions, j’ai reçu un coup de téléphone d’un homme qui connaissait tout de ma vie, de ma femme et de mes deux enfants…

Hans se figea dans une expression introspective.

— Et que vous a demandé cette personne ? le pressa Sarah.

— De… garder le sujet 488 isolé… et de poursuivre les injections de LS 34. Alors j’ai fait ce qu’il me demandait.

— Quelle entreprise vous fournissait en LS 34 ?

Hans Grund soupira.

— Il nous était livré chaque mois par courrier sans que nous puissions en connaître l’expéditeur. Et nous ne le payions pas. Cela a toujours été ainsi et rien n’a changé depuis l’époque d’Olink.

— Qui injectait le LS 34 au patient ?

— L’un des membres… du personnel de… la zone sécurisée.

— Sandvik ou Lunde, c’est ça ?

Grund approuva d’un battement de paupières.

— Ils savaient que le produit était interdit ?

— Je ne pense pas. Ils sont là pour exécuter les ordres.

Sarah consulta sa montre : encore une minute et toujours rien.

— Quelle était la teneur des expériences sur ce patient ?

— Il y avait une espèce d’appareil bizarre sur lequel on devait l’attacher… et disons… le connecter avec des électrodes… Et puis ensuite, il y avait des réglages en suivant une notice… Et puis on lui injectait le LS 34. Au bout d’un moment, toute une série de signes s’imprimaient sur une feuille…