Выбрать главу

Sarah lui tendit le numéro inscrit sur le papier et lui demanda de voir où cela menait, discrètement. L’expert en télécommunications promit de revenir vers elle au plus vite. Sarah retourna auprès de Sandvik et s’adossa de nouveau à la porte pour lui parler.

— En attendant, dites-moi comment votre contact a réagi quand il a appris la mort du patient, enchaîna-t-elle.

Leonard arracha un fragment de l’ongle de son pouce avec ses dents.

— Monsieur Sandvik, vous ne pouvez plus rien faire, si ce n’est répondre à mes questions. Faites-le, c’est la seule chose qui puisse vous aider pour le moment. Comment a réagi votre contact en apprenant le décès du patient 488 ?

— Eh bien, il y a eu comme un blanc et puis il m’a dit que ma mission était terminée et que les virements prenaient donc fin.

— Pourquoi la victime avait-elle cette marque avec ce numéro sur le front ?

— Je me le suis souvent demandé. J’ai imaginé qu’il s’agissait d’un prisonnier… mais sur le front, comme ça, c’est bizarre.

— Écoutez, il va falloir m’en dire beaucoup plus si vous voulez que je considère que vous avez collaboré à l’enquête.

Leonard Sandvik regarda par terre en se tordant les doigts. Sarah laissa passer quelques respirations en faisant mine de lire un message sur son téléphone.

— Eh bah… il y a peut-être quelque chose d’autre que je dois vous dire, déclara Sandvik à mi-voix.

— Je vous écoute…

— Hier, quand j’ai vu que le patient était mort, j’ai su que je n’allais plus toucher d’argent de mon contact. J’ai paniqué et j’ai eu peur de dire à ma femme qu’elle allait devoir vendre la maison…

— Et donc ?

— Eh bah, j’ai voulu récupérer un peu d’avance. Quand j’ai eu le droit de passer mon coup de fil à ma femme, je lui ai tout de suite dit de vendre le LS 34 au marché noir. Je savais que vous alliez bien finir par apprendre que j’étais mêlé à tout ça et je voulais qu’elle et ma fille soient à l’abri du besoin. Je lui ai dit de passer par un forum Internet qu’on se refile entre infirmiers et où… bref, disons que c’est le genre de marchandise qui peut intéresser les dealers de drogue.

— Vous avez bien fait de m’en parler, monsieur Sandvik. Mais y aurait-il autre chose ? Par exemple, que savez-vous de ces fameux dessins dont le patient 488 recouvrait les murs de sa chambre ? Désignent-ils celui ou ceux qui l’avaient envoyé à Gaustad ?

— Je sais pas… Mais je me souviens qu’un jour, j’étais crevé et j’ai oublié de lui injecter sa dose de LS 34. Quand je suis rentré dans sa cellule, il m’a observé comme s’il me voyait pour la première fois. Son regard, d’habitude vide, était lucide. Il m’a tout de suite demandé où il était et depuis quand. Je lui ai dit qu’il était dans un hôpital psychiatrique après avoir été retrouvé amnésique dans les rues d’Oslo. Il m’a regardé, puis il a tourné la tête et s’est rassis sans rien dire. Je lui ai demandé s’il se souvenait de quelque chose… du nom d’un parent. Mais il n’a pas répondu.

— C’est tout ce que vous lui avez dit ?

— Non, pendant que je lui injectais sa dose de LS 34, j’ai été un peu trop curieux et je lui ai demandé pourquoi il criait ou émettait ces sons bizarres. Après tout, je l’entendais tous les jours et c’était tellement étrange…

Sarah affichait une expression compatissante, encourageant son témoin à poursuivre sa confidence.

La voix de Leonard se fit blanche.

— C’est là qu’il s’est retourné vers moi et m’a dit qu’il essayait de se souvenir. Je lui ai demandé de quoi et… Je n’oublierai jamais ses yeux quand il m’a répondu : « Vous ne voulez pas savoir. »

Leonard Sandvik secoua la tête comme pour chasser les pensées angoissantes qui le traversaient.

— Je crois que de ma vie je n’avais jamais lu la peur aussi nettement dans les yeux d’un homme. Ils étaient grands ouverts, rougis sur les côtés. Encore aujourd’hui, il m’arrive d’en faire des cauchemars. Je ne sais pas ce qu’il a vu, mais pour rien au monde j’aurais voulu être dans sa tête. Pour rien au monde…

La voix de Leonard expira dans le silence du bureau. Sarah elle-même était émue par ce qu’elle venait d’entendre.

Son téléphone portable sonna. C’était l’expert en télécommunications qui, comme elle le redoutait, lui annonçait que le numéro fourni par Sandvik était celui d’un téléphone jetable dont la validité était arrivée à expiration. Impossible de remonter jusqu’à son propriétaire ou même de le localiser puisque la carte SIM avait été détruite. Sarah remercia l’expert et raccrocha, imperturbable.

Elle se leva malgré tout pour marcher de long en large. Il lui restait un élément à creuser.

— Monsieur Sandvik, votre collègue Elias Lunde m’a laissé entendre que le patient 488 était de plus en plus agité ces derniers temps. Sauriez-vous me dire pourquoi ? Avez-vous changé quelque chose dans son traitement ? Avez-vous augmenté les doses de LS 34 ? A-t-il vu, entendu quelque chose, quelqu’un de particulier ?

Leonard Sandvik se prit la tête entre les mains et posa les coudes sur ses genoux.

— Si j’avais su, je n’aurais jamais fait tout cela.

— Répondez à ma question.

— Oui, j’ai augmenté les doses parce qu’on m’a ordonné de le faire.

— Votre contact, j’imagine ?

— Oui.

— Et pour quelle raison ?

L’infirmier regarda Sarah par en dessous.

— Est-ce que vous me jurez de protéger ma femme et ma fille ?

— Dites toujours.

— Non, jurez-le-moi.

— On les placera en tant que témoins sous surveillance si nécessaire.

— Jurez-le-moi.

Sarah céda.

— OK, vous avez ma parole. Maintenant, dites-moi pour quelle raison on vous a demandé d’augmenter les doses de LS 34.

— Je pense que c’est ça qui l’a tué… Ils ont voulu aller trop loin.

— Monsieur Sandvik ?

— Le visiteur. Tout a commencé avec lui.

Sarah sentit une poussée d’adrénaline irradier son corps.

— Un visiteur ? Qui ?

— Je vous ai menti en vous disant que personne n’avait jamais rendu visite au patient 488. Il y a un peu plus d’un an, un type est venu et a demandé à le voir.

Sarah décolla son dos du mur sur lequel elle était appuyée.

— Oui, il devait avoir trente-cinq ans environ. Il a dit être chercheur dans le laboratoire qui fournissait Gaustad en LS 34 et voulait rencontrer et examiner le patient à qui on injectait encore le produit pour réactualiser leurs recherches dans le domaine des psychotropes.

— Quel laboratoire ?

— Il travaillait pour un laboratoire français que je connaissais de réputation. Cela dit, je ne l’ai pas autorisé à voir le patient 488, prétextant des raisons de sécurité. Il m’a alors posé toute une série de questions très précises sur le comportement du patient. Je lui ai répondu de manière évasive. Le type a semblé contrarié et a lourdement insisté pour en savoir plus. Je n’ai pas cédé et il est parti. J’ai immédiatement appelé mon contact qui m’a demandé le nom de ce visiteur et ordonné en même temps d’effacer toute trace du passage de cet homme.

— Son nom, répéta Sarah.

Elle avait parlé d’un ton cinglant, sans compassion, avec la froideur de la technocratie.

La jambe de Leonard tressautait et ses mains étaient rouges d’avoir été tant malaxées. Le silence dans le bureau devint pesant. Le regard de Sarah accroché avec une détermination robotique au visage de son témoin l’était tout autant.