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Elle avait commencé par ordonner que l’ensemble des autopsies soient refaites selon un protocole plus précis et plus fouillé que le travail fourni en première main. Lovsturd, alors nouvellement promu médecin en chef de l’Institut médico-légal, s’était rappelé combien lui et ses collègues avaient pesté contre ce supplément de travail.

Mais, en relisant les rapports de ses camarades, il avait dû reconnaître certaines approximations, notamment dans les appellations chimiques des substances trouvées sur les victimes. Et spécialement un produit qui avait fait toute la différence dans la résolution de l’enquête.

Toujours est-il que cette inspectrice Geringën, qu’il n’avait jamais vue, lui était apparue comme une femme sèche, au physique rebutant. Et finalement, il devait admettre qu’il était loin du compte.

Curieux d’en savoir plus sur elle, il se mit en tête de la faire réagir. Ne serait-ce que pour entendre le son de sa voix.

— Dites-moi, ce n’est pas à Gaustad que Janger se trouve ? Ça va lui faire drôle s’il vous voit.

C’était bien l’une des raisons pour lesquelles Sarah n’avait aucune envie de se rendre là-bas aujourd’hui. Mais elle avait encore moins envie d’engager la conversation sur le sujet.

Le légiste l’observa, incapable de deviner derrière ces yeux d’un bleu de glace, si elle pensait à autre chose ou si elle l’ignorait. Mais Thobias n’était pas du genre à se laisser décourager.

— En tout cas, je n’ai jamais eu l’occasion de vous le dire, mais bravo pour la façon dont vous avez coincé ce malade l’année dernière. C’était sacrément malin de votre part de faire le lien entre les traces de détergents retrouvés sur les corps des victimes et la présence récurrente de cette ambulance sur les lieux quelques minutes avant chaque enlèvement. Vous avez dû vous en taper, des lectures et des relectures de témoignages, pour mettre le doigt là-dessus. Parce que j’imagine que c’est pas le premier truc que les témoins devaient raconter.

Loin de là, avait envie de lui répondre Sarah. Puisque cette ambulance n’était apparue dans les rapports que lorsqu’elle avait elle-même réinterrogé tous les témoins et passé des heures à en recouper les similarités, même les plus anodines. Comme cette ambulance que les témoins citaient vaguement comme décor de fond sans jamais insister sur ce détail.

— Et puis cette intervention, disons, musclée que vous avez menée chez lui le jour de l’arrestation. Je sais que pas mal d’agents ne s’en sont toujours pas remis que vous ayez décidé d’entrer la première et réussi à neutraliser Janger aussi vite. J’imagine que votre passé dans les FSK[1] n’y est pas pour rien.

— Ce qui m’intéresse aujourd’hui, c’est ce qu’on va trouver ce matin.

La voix de Sarah venait de vibrer dans l’habitacle pour la première fois. Thobias Lovsturd, qui ne s’y attendait plus, sursauta et, intimidé, il préféra se taire quelque temps.

Sarah supportait mal de reparler de son passage au sein des forces spéciales. Leur division était certes très bien entraînée, mais sous-équipée pour contrer rapidement des actes terroristes. La tuerie d’Anders Breivik en avait été selon elle la tragique illustration. Leurs trente minutes de retard pour arriver sur l’île d’Utøya à cause d’un problème de moteur étaient pour Sarah et nombre de ses collègues de l’époque la cause directe de la mort de trente adolescents sur les soixante-dix-sept victimes. À la suite de ce qu’elle qualifiait d’inavouable échec, elle avait ainsi quitté la division pour rejoindre la police nationale en qualité d’inspectrice. En espérant que l’analyse et la perspicacité permettraient au final de sauver plus de vies que les interventions de dernière minute mal calibrées.

Lorsqu’ils quittèrent la quatre voies de la Ring 3 et empruntèrent une route rurale qui serpentait entre les sapins ployant sous la neige, Sarah enclencha le mode 4 × 4 de son véhicule et alluma les phares antibrouillard. Ici, les flocons avaient cessé de tomber pour laisser place à une dense couche de brume.

Alors que le chemin se déroulait avec incertitude, le thermomètre indiquait désormais – 3 °C et du givre étendait ses cristaux sur les bords du pare-brise. Le légiste regarda par la fenêtre.

— Ce n’est pas banal, une affaire dans un endroit pareil.

Sarah passa une mèche de cheveux derrière son oreille dans un froissement rigide de sa parka. Thobias se massa la nuque, attentif au paysage.

Ils progressaient dans une zone boisée et quasi inhabitée, en dehors de quelques pavillons de vacances que l’on apercevait parfois entre les arbres. La route se sépara en deux et Sarah emprunta le chemin qui montait à travers la forêt. Les phares peinaient à percer le brouillard et butaient contre les congères qui s’élevaient à mi-hauteur du véhicule. De temps en temps se dévoilaient les contours d’un arbre dont les branches ressemblaient à des doigts osseux saupoudrés de neige.

On n’entendait plus que le bruit des roues craquant sur la neige glacée et, soudain, il surgit devant eux dans la lumière des phares, son imposante silhouette se découpant dans la brume. D’abord, ils distinguèrent la tour gothique en brique et sa coupole en métal surmontée d’une flèche de clocher. Puis, telles des sentinelles, les façades crénelées des ailes du bâtiment émergèrent à leur tour du rideau vaporeux, les sommets de leurs murs enneigés disparaissant dans l’obscurité. L’endroit aurait pu paraître abandonné, si les flashes bleus des gyrophares de deux voitures de patrouille et d’une camionnette de la police scientifique n’avaient pas électrisé les murs de l’établissement.

Sarah s’arrêta. Le moteur du 4 × 4 ronronnait sous le capot, le pot d’échappement toussant des ronds de fumée.

— Nous y voilà, annonça le légiste d’une voix que Sarah trouva hésitante.

Elle remit la voiture en marche et ils passèrent sous l’arche en fer forgé du portail d’entrée. Sarah y devina l’inscription partiellement recouverte par la neige : « Hôpital psychiatrique de Gaustad ».

– 2 –

Sarah coupa le moteur. À l’extérieur, l’air glacé cernait la voiture comme une meute prête à fondre sur sa proie.

— Bon, allons-y.

Thobias Lovsturd quitta l’atmosphère tiède du véhicule et s’avança vers l’entrée de l’établissement en pestant contre ce froid de cadavre.

Les mains sur le volant, Sarah chercha à calmer les palpitations de son cœur en contrôlant son souffle. Mais l’exercice eut l’effet inverse de ce qu’elle espérait. Le nœud d’angoisse se resserrait autour de sa gorge comme si un bourreau invisible prenait plaisir à l’étrangler. Pourquoi ? Pourquoi devait-elle venir ici aujourd’hui ?

Elle ouvrit la boîte à gants en composant son code secret sur le clavier numérique. À l’intérieur du rangement se trouvait une paire de menottes qu’elle glissa dans sa poche arrière. Derrière son pistolet HK P30 se cachaient un gyrophare, un paquet de chewing-gums vert et un tube d’anxiolytiques. Elle considéra un instant le paquet de chewing-gums et le pistolet avant d’opter pour un cachet et de verrouiller la boîte à gants.

Elle ajusta le col de son pull, ferma sa parka jusqu’en haut et sortit de la voiture. À quelques pas devant elle, dans la nuit, le légiste évoluait avec difficulté dans la neige, une vapeur blanche s’échappant de sa bouche à chaque expiration.

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Forsvarets spesialkommando. Unité de forces spéciales.