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— Qu’est-ce que vous voulez qu’on fasse, sachant, précisa le premier mafieux en baissant la voix, qu’après ça, on sera quittes, n’est-ce pas ?

— Allez chez Gentix et débrouillez-vous pour trouver les employés qui y travaillaient déjà dans les années soixante-dix. Si possible un certain Nathaniel Evans. Faites ça discrètement. Isolez-les et appelez-moi. Je leur poserai les questions.

Les deux hommes hochèrent la tête.

— Et la femme de l’infirmier, vous en avez fait quoi ?

— On l’a laissée repartir. De toute façon, elle ne portera pas plainte et puis on a fait comme convenu : le moins de cadavres possible pour ne pas alerter la police.

— Bien.

Les deux Russes quittèrent la chambre sans un mot de plus.

Lazar se laissa retomber sur son coussin, le front luisant de sueur, livide. L’effort ajouté à l’émotion avait eu raison de ses dernières forces. Mais la lueur de haine qui animait son regard n’avait jamais été aussi intense.

– 12 –

Si Sarah avait su qu’elle retournerait à Paris dans ces conditions ! La tête penchée vers le hublot, elle distingua au loin la tour Eiffel qui s’élevait au-dessus de la brume parisienne, un pincement au cœur.

C’est à son sommet, en plein mois de juillet, qu’Erik lui avait demandé si elle voulait devenir sa femme, et malgré la peine que ravivait ce souvenir, elle ne put s’empêcher de sourire. Quand Erik lui avait pris les mains et s’était mis à lui parler plus sérieusement qu’il ne l’avait jamais fait, ses lèvres tremblaient, et elle avait cru qu’il faisait un malaise à la suite de l’épreuve physique qu’elle venait de lui faire subir. Galvanisée par la beauté de Paris et totalement ignorante des intentions d’Erik, elle avait eu la folle idée d’emprunter l’escalier pour gagner le pinacle de l’immense tour. Par gentillesse, et sachant que ce n’était pas le moment de contrarier celle qu’il s’apprêtait à demander en mariage, Erik n’avait pas osé refuser.

Entraînée et insouciante, Sarah n’avait eu guère de mal à grimper les mille six cent soixante-cinq marches, mais Erik avait dû s’arrêter à plusieurs reprises et était parvenu au dernier étage le visage cramoisi, en nage, le cœur au bord des lèvres. Il lui avait fallu vingt minutes pour récupérer. Pendant ce temps, Sarah n’avait cessé de courir aux quatre points cardinaux de la plate-forme pour embrasser la cité parisienne dans toute sa splendeur. Quand il lui avait demandé de s’asseoir auprès de lui, elle s’était excusée de l’avoir dégoûté du sport pour le reste de ses jours et l’avait rassuré en lui disant qu’elle avait repéré où se trouvait le défibrillateur. Erik avait souri et, alors que son cœur s’emballait de nouveau sous l’effet du trac, il s’était lancé.

À son tour, Sarah se rappela que ses lèvres ne parvenaient plus à former de sons cohérents. Erik lui demanda où était le défibrillateur et, les larmes aux yeux, elle avait laissé éclater un grand rire, avant de chuchoter un oui.

— Vous êtes déjà venue à Paris ?

L’homme en costume d’une quarantaine d’années assis à côté de Sarah avait refermé sa sacoche et se penchait un peu trop vers elle sous prétexte d’admirer le paysage à travers le hublot.

— Mon père est français, répondit Sarah. Mais je me suis mariée à un Norvégien.

— Ah… eh bien, vous parlez très bien notre langue. C’est rare pour une Norvégienne, lui répondit poliment l’homme qui avait saisi le message. Bon séjour.

Le vol KL 2013 de ce vendredi 19 février atterrit comme prévu à 15 h 55 à Orly et Sarah embarqua aussitôt dans un taxi, direction Issy-les-Moulineaux où se trouvait le siège de la firme pharmaceutique Gentix. Elle avait pris la décision de se rendre en France immédiatement après avoir appris le nom du seul visiteur du patient 488.

Juste avant de rejoindre l’aéroport, elle avait fait un détour par la maison de sa sœur Jessica, pour serrer sa nièce Moira dans ses bras et lui offrir le portrait qu’elle avait fait d’elle. Création personnelle à laquelle elle avait ajouté une superbe robe de princesse dénichée sur un site d’artisan et qui n’existait qu’en un seul exemplaire. Émerveillée, la petite fille avait dit à Sarah qu’elle aimerait qu’elle soit sa deuxième maman. Jessica avait répliqué à sa fille que sa tante Sarah aurait bientôt assez à faire avec son propre bébé. Jessica s’en était voulu d’avoir de nouveau infligé cette pression de la maternité, mais elle n’avait pas eu le temps de s’excuser. Sarah était partie aussitôt, pressée par l’horaire de son avion.

Elle avait réservé le premier vol Oslo-Paris pour le lendemain midi et informé Stefen Karlstrom de son départ. Lequel avait accepté, à condition qu’elle requière l’aide et l’assistance de la police française.

Ce qu’elle avait fait en leur demandant une fiche de renseignements sur Charles Parquérin, le directeur de Gentix, ainsi que sur Adam Clarence. Mais les services de renseignements français étaient débordés depuis les attentats et on lui avait poliment fait comprendre que sa demande ne pourrait aboutir dans des délais raisonnables.

Lorsque son taxi se gara devant la monumentale tour de verre au sommet de laquelle trônait le sigle Gentix, Sarah savait qu’elle ne bénéficierait d’aucun appui sur le territoire français. Et qu’elle devrait agir seule.

Elle paya le taxi en se faisant la réflexion que les tarifs avaient sacrément augmenté depuis sa dernière visite et traversa la vaste esplanade de dalles beiges au centre de laquelle jaillissait une fontaine prétentieuse en forme de corne d’abondance.

Elle poussa le tourniquet permettant d’entrer dans la tour et s’avança vers l’intimidant comptoir de réception blanc laqué au milieu du hall d’accueil.

Une réceptionniste très apprêtée lui sourit, munie d’un discret casque d’écoute qui n’entamait en rien la perfection de son chignon.

— Bonjour, je m’appelle Sarah Geringën, je suis inspectrice à Oslo et j’aimerais voir M. Adam Clarence, s’il vous plaît.

La jeune femme parut étonnée.

— Adam Clarence, dites-vous ?

Sarah confirma d’un battement de cils. Elle savait qu’elle avait un léger accent dans la voix quand elle parlait français. Mais la circonspection de la secrétaire semblait venir d’ailleurs.

La réceptionniste tapa sur les touches de son clavier et fronça les sourcils.

— C’est bizarre, je ne le trouve pas. Vous pouvez m’épeler son nom ?

— C-L-A-R-E-N-C-E, et Adam, comme celui de la Bible.

La réceptionniste tapota à plusieurs reprises sur le clavier de son ordinateur avant de relever la tête, l’air navré.

— Écoutez, je suis ennuyée, mais je n’ai personne à ce nom sur mon fichier.

Sarah ne s’attendait pas à cette réponse. Leonard Sandvik lui avait-il menti ?

À moins qu’Adam Clarence ne travaille plus ici, songea-t-elle, ou que la réceptionniste ait reçu des consignes. Dans tous les cas, elle n’allait pas repartir avant d’avoir clarifié la situation.

— Alors, j’aimerais voir votre responsable de la direction des ressources humaines, s’il vous plaît. Il y a quelque chose qui n’est pas clair.

La réceptionniste hésita.

— Vous aviez rendez-vous ?

— Comme vous vous en doutez, non. Mais je pense que votre responsable trouvera une façon de se libérer pour répondre à quelques questions.

Intimidée par la froideur de l’inspectrice, la réceptionniste avait perdu son sourire de circonstance et composé un numéro sur son téléphone. Elle expliqua brièvement la situation à son interlocuteur et raccrocha. Son sourire professionnel était revenu.

— La directrice descend vous voir. Si vous voulez bien patienter dans notre salon, dit-elle en désignant un espace meublé de profonds canapés blancs et entouré de hautes plantes vertes aux dimensions tropicales.