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Sarah prit place sur l’un des canapés et n’eut qu’à attendre trois minutes avant qu’une femme d’une cinquantaine d’années, cheveux blonds et courts, à la démarche masculine, s’approche, la main tendue devant elle.

— Bonjour, je suis Sylvie Chambron, directrice des ressources humaines de Gentix. En quoi puis-je vous aider, inspectrice… Ge .. rin… gën, je prononce bien ?

Sarah ignora tout autant la poignée de main que la demande d’approbation.

— Bonjour, répondit-elle en présentant son badge. Je suis à la recherche d’Adam Clarence, qui en toute logique travaille chez vous.

La directrice des ressources humaines n’apprécia pas le comportement de Sarah, mais elle conserva son professionnalisme.

— Oui, c’est ce que la réceptionniste m’a dit. Effectivement, vous avez raison, M. Clarence travaillait bien chez nous. Mais il est malheureusement décédé.

Sarah ne sut quel sentiment domina : la déception ou la suspicion. Toujours est-il que, pour une fois, elle en perdit son masque d’indifférence.

— Oui, je suis confuse d’avoir à vous l’annoncer de la sorte, reprit la directrice des ressources humaines avec un visage contrit. Il a eu un accident de voiture il y a un peu moins d’un an. Nous avons tous été très peinés de sa disparition, ici. C’était un homme à la fois très compétent et très humain.

Sarah n’arrivait pas à y croire. Son enquête ne pouvait pas s’arrêter comme ça.

— Il a de la famille, j’imagine… une épouse ?

— Je regrette, sa femme a elle aussi perdu la vie dans l’accident, soupira l’employée de Gentix.

— Des parents ?

— Écoutez, je sais qu’il était très proche de son frère avec qui j’ai discuté à l’enterrement. Il est journaliste et écrivain. J’ai son numéro professionnel si vous voulez.

— Oui, ça m’intéresse.

La directrice des ressources humaines fit défiler plusieurs contacts sur son smartphone jusqu’à trouver celui qu’elle cherchait.

— Il s’appelle Christopher Clarence et voici le numéro de téléphone de son poste direct au journal où il travaille.

Sarah nota le numéro sur son propre téléphone.

— Puis-je vous demander pour quelle raison vous cherchiez Adam Clarence afin d’en faire part à notre P-DG, Charles Parquérin ? se risqua à demander la directrice des ressources humaines.

— Non, désolée.

— Oui, je comprends. Puis-je encore vous être utile ?

Sarah réfléchit. La mort d’Adam Clarence ne changeait rien au fait que Gentix avait continué à fabriquer et à livrer du LS 34 de façon frauduleuse à l’hôpital de Gaustad. Et elle devait découvrir pourquoi. Mais à quoi bon s’entretenir avec le directeur de Gentix si elle n’avait aucune preuve des liens entre Gaustad, le LS 34 et le laboratoire ? À moins de fouiller les usines Gentix de fond en comble pour y découvrir une trace de production de LS 34 ou des liens évidents entre Gaustad et Gentix, ce qu’un juge n’autoriserait jamais sans la présence d’éléments probants, Sarah n’avait aucun levier pour faire parler le directeur. Elle n’avait plus qu’une seule piste à suivre.

— Non merci.

Lorsqu’elle sortit de la tour, Sarah réalisa que son cœur battait trop fort dans sa poitrine. Jusque-là, elle n’avait jamais douté qu’elle éluciderait cette affaire. Mais que se passerait-il si elle échouait ? Serait-elle obligée de revenir à Oslo, affronter sa solitude et le chaos de sa vie ?

Elle composa le numéro de Christopher Clarence. Mais, perdue dans ses peurs, elle ne remarqua pas la présence d’une voiture garée en face de la sortie du parking de Gentix. À l’intérieur, deux individus surveillaient les allées et venues, prêts à démarrer lorsqu’ils reconnaîtraient leur homme.

– 13 –

Le conférencier se tenait debout sur une estrade, à la verticale de la coupole dorée du grand amphithéâtre de la Sorbonne, toisant son auditoire en silence, ménageant un suspense avant de conclure. Dans l’hémicycle, une centaine d’étudiants se demandaient ce que Christopher Clarence allait pouvoir ajouter après cet exposé qui avait déjà considérablement bousculé leurs certitudes.

L’homme d’une quarantaine d’années passa une main dans ses cheveux souples et frotta un instant sa barbe de trois jours. De son père irlandais, il avait hérité d’un visage franc au regard bleu et de sa mère italienne, d’une pilosité brune ainsi que d’une aisance dans la gestuelle et le sourire. Les débuts de rides au coin de ses yeux se plissèrent de malice alors qu’il observait la salle.

Il n’allait pas se mentir, il aimait ces moments où toute l’attention de l’auditoire était concentrée sur lui, se délectant par avance de l’effet de ses prochaines paroles. Beaucoup jugeaient cette attitude comme de la méprisable vanité, mais ils se trompaient. Même s’il n’avait jamais dédaigné les regards admiratifs d’étudiantes séduites par ses paroles et son allure d’intellectuel décontracté, ce n’était pas le plaisir d’être contemplé qui le grisait. Non, c’était la jubilation d’éveiller des esprits par un discours ciselé à la pause près. Là était son bonheur : dans la transmission de la connaissance et sa mise en scène toujours étudiée, parfois improvisée.

— Et enfin, pour conclure cette conférence sur les grandes impostures de notre quotidien, dit-il, je souhaiterais vous faire passer un test rapide qui devrait en déstabiliser plus d’un. Même si, ajouta-t-il en imprimant à sa voix une inflexion triviale, le vide qui plane dans le regard de certains confirme qu’aucun test ne semble nécessaire pour prouver la vacance de leur cerveau.

L’assemblée bruissa d’un léger murmure amusé.

— Bref. Qui parmi vous connaît son signe astrologique ?

La centaine d’élèves dans leur intégralité levèrent la main avec plus ou moins de célérité, mais tous curieux de voir où cette question allait mener.

— Bien, maintenant, quels sont ceux qui pensent que leur signe astrologique correspond à leur personnalité ?

Environ la moitié des mains se baissèrent. Parmi ceux qui gardaient la main levée, Christopher repéra celui qui l’amusait le plus.

— Oui, vous, jeune homme, là-bas ? Oui, vous avec l’improbable effigie de Che Guevara sur votre pull. Vous savez au passage que ce type est rapidement devenu un extrémiste communiste qui a entraîné son peuple dans la misère économique ?

L’étudiant leva les épaules.

— Peut-être, mais il avait l’air cool.

— Très bien, je vois que vous êtes quelqu’un d’engagé et de responsable. Bref, votre date de naissance et votre signe, donc ?

— Le 12 octobre 1985. Balance.

— Alors, d’après mon petit guide, les Balance sont des personnes calmes, peu ambitieuses et donc peu angoissées, avec un certain sens de la philanthropie. Ça vous correspond ?

— Carrément.

— Parfait. Le problème, cher jeune homme, c’est que vous n’êtes pas Balance.

Christopher attendit que les murmures se calment.

— Eh oui, monsieur le révolutionnaire en charentaises qui se croit Balance, vous êtes du signe de la Vierge. Donc, à défaut d’être calme, peu ambitieux et philanthrope, vous êtes en réalité un grand adepte du confort, vous aimez les mondanités et les compliments.

Dans le brouhaha général qui suivit ses paroles, Christopher distingua plusieurs fois les mots « n’importe quoi ». Il attendit que le niveau sonore retombe. Il était habitué à cette réaction lorsqu’il en arrivait à ce stade de sa démonstration.

— Oui, je sais, ça fiche un coup, mais on est là pour ça. Je vais vous expliquer pourquoi ce que je vous dis est vrai.