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— Désolé… bafouilla-t-il.

— Ne t’excuse pas. Si les services sociaux passaient maintenant, ils penseraient que j’ai voulu t’empoisonner. Alors, tu sais quoi, on va faire un truc magique, OK ?

Une demi-heure plus tard, Christopher et Simon étaient affalés l’un contre l’autre, dégustant leur pizza tout en regardant un documentaire animalier.

Sur les images, un guépard tapi dans les herbes hautes s’approchait en rampant d’un troupeau de gazelles paissant dans la savane. Quand l’une d’elles leva brutalement le museau pour humer l’air, Simon resta la bouche ouverte, sa pizza glissant de ses mains.

Et soudain, le prédateur se précipita vers le troupeau. Après une course effrénée, une des gazelles fut attrapée et plaquée au sol dans un nuage de poussière. Le guépard planta ses crocs dans sa gorge.

Christopher se demanda s’il était très judicieux de montrer ce genre de reportage à un petit garçon de huit ans.

— Tu crois qu’elle avait des enfants, la maman gazelle ? s’inquiéta Simon.

— Je ne sais pas. Peut-être. Mais tu sais, c’est la nature, Simon…

— Et tu crois que les enfants gazelles, ils ont aussi quelqu’un qui s’occupe d’eux quand leur papa et leur maman sont tués par les guépards ?

Christopher ferma les yeux, s’en voulant d’avoir provoqué cette pensée chez Simon.

— Euh, je crois que les gazelles sont très solidaires entre elles. Et je suis sûr que les enfants gazelles trouvent aussi une nouvelle famille pour les accueillir et leur apprendre à se défendre.

— Alors, toi, tu es un peu une gazelle en fait ?

Christopher sourit.

— Oui, sauf que je cours moins vite.

— C’est pour ça que t’es toujours en retard…

Christopher l’attrapa par le cou et le fit glisser sur ses genoux en le traitant de petit blagueur. Simon se laissa faire et resta couché, les yeux grands ouverts. Christopher éteignit la télé, laissant place au silence et à la rumeur de la rue.

— Tu sais, ton père me manque aussi, dit Christopher. Comme ta maman. Mais de là où ils sont, je suis sûr qu’ils sont très fiers de toi.

— Et toi, tu es fier de moi ?

— Bien sûr que je suis fier de toi ! Je parle de toi à tout le monde ! Tu es mo… (Christopher aurait voulu dire mon fils, mais il se ravisa), je t’adore pour l’éternité.

— C’est quoi l’éternité ?

— C’est comme l’amour. Ça ne s’arrête jamais.

Christopher caressa la tête de Simon et ils profitèrent quelques instants du calme de la nuit.

— Bon, je crois qu’il est temps d’aller se coucher. Il est presque 21 heures.

Le petit garçon se leva et prit la direction de sa chambre.

— Hep, hep ! Salle de bains, Simon ! La douche et le brossage de dents !

Simon laissa retomber ses épaules et marcha jusqu’à la salle de bains, le dos voûté, comme s’il avait régressé à l’état d’australopithèque.

Sachant que l’inspectrice allait arriver, Christopher le pressa et écourta le brossage de dents.

Une fois en pyjama, Simon tendit le bras sous son lit pour en tirer un petit carton dans lequel se trouvaient quelques affaires de ses parents qu’il avait récupérées dans leur chambre après leur mort.

Il s’empara d’un sweat-shirt Abercrombie à capuche gris que son père portait les week-ends et se glissa sous sa couette en serrant le vêtement contre lui.

Christopher s’assit sur le rebord du lit et alluma la veilleuse en forme de sabre laser qui diffusait une lumière douce et feutrée dans la chambre.

— Bonne nuit, Christopher.

Christopher dissimula sa déception sous un sourire. Il espérait chaque soir que Simon lui dise « bonne nuit, papa ».

Simon se retourna en posant son nez sur le sweat-shirt roulé en boule contre lui. Christopher l’embrassa sur le front et sortit de la chambre sans faire de bruit.

Puis il regagna le salon et chercha un numéro de téléphone sur Internet avant de composer un indicatif le redirigeant vers l’étranger.

– 14 –

Comme prévu, à 21 h 30 pile, on frappa à la porte de son appartement. Christopher ouvrit.

— Eh bien, c’est un acquis que les habitants des pays du Nord sont plus ponctuels que ceux du Sud. Je vous en prie, entrez.

Au premier coup d’œil, Sarah se sentit bien dans cet appartement. Les murs étaient blanc cassé et le journaliste avait pris soin de conserver les éléments d’architecture authentiques qui rendaient l’endroit chaleureux. Comme ces larges poutres en bois apparentes qui habillaient le plafond et ce pilier en chêne planté au milieu du salon. Le sol revêtu d’épais fils tressés couleur terre renforçait l’impression de fouler du sable plutôt que le sol d’un appartement parisien. Enfin, plusieurs lampes aux formes ondulées achevaient de rendre l’endroit agréable en diffusant une lumière chaude.

Christopher prit place sur son confortable canapé d’angle et invita Sarah à faire de même.

Elle s’exécuta tout en se faisant la réflexion qu’elle ne voyait aucune trace de présence féminine. S’il papillonnait à gauche et à droite, au moins, il ne trompait peut-être personne. Simple célibataire en chasse permanente, se dit-elle. Jusqu’à ce qu’elle distingue un ballon et un vélo d’enfant au milieu du couloir que l’on apercevait depuis le canapé. Divorcé ?

— Je vous écoute, dit Christopher. Pourquoi êtes-vous là ? Quel rapport avec Adam ?

Il avait parlé avec empressement, grattant avec impatience sa barbe de trois jours. Il se sentait d’autant plus nerveux qu’il percevait un calme presque hypnotique chez cette inspectrice.

Sarah glissa une mèche de cheveux derrière son oreille en évitant soigneusement de dévoiler la partie brûlée de son visage. Puis elle sortit son badge et le déposa sur la table basse.

— Je sais que vous avez appelé mon commissariat à Oslo ce soir pour vérifier mon identité. J’espère que vous avez été rassuré.

— Exact. J’ai fait mon boulot de journaliste. J’ai vérifié mes infos. Je n’avais pas envie d’accueillir n’importe qui chez moi.

Sauf peut-être une jolie étudiante admirative, songea Sarah en le scrutant de ses yeux bleu clair.

À son tour, Christopher l’observa et sut qu’en d’autres circonstances, il aurait tout fait pour séduire cette femme au charme singulier, mélange de froideur et de douceur. Enfin, il aurait essayé, car il dut avouer qu’il ne s’était pas senti aussi intimidé depuis longtemps. D’ailleurs, à bien y réfléchir, elle l’énervait presque à afficher une telle assurance. Et puis qu’est-ce qu’elle cachait avec sa mèche devant le visage ? En fait, ce devait être une femme prétentieuse, sans humour et qui passait son temps à se faire désirer. Finalement, il l’aurait ignorée. Enfin, il aurait essayé.

— J’enquête actuellement sur la mort d’un patient de l’hôpital psychiatrique de Gaustad, à Oslo, dit soudain Sarah comme si elle avait entendu les pensées de Christopher et préférait y couper court. Il se trouve que votre frère Adam est la dernière personne extérieure à l’établissement à avoir rencontré la victime. Son ancien employeur, Gentix, m’a dit qu’il était décédé dans un accident de voiture et m’a confié votre numéro.

— OK… et donc, vous vouliez demander quoi à Adam ? Je vois pas ce qu’il y a de bizarre à ce qu’il se rende dans un hôpital étant donné son poste de directeur financier d’une firme pharmaceutique.

— La visite de votre frère a eu lieu un an et un mois avant le décès du patient. Le 12 janvier 2012 précisément…

— Et Adam est mort le 19 janvier 2012, une semaine après, susurra Christopher, toujours ému quand il évoquait cette date. Et alors ?