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Christopher s’adossa contre la porte de l’armoire en secouant la tête.

— Oui, enfin non, j’avais envie de penser à Adam…

Son père épousa d’un regard dubitatif les livres d’histoire étalés par terre et les deux cartons ouverts.

— Je ne comprendrai jamais pourquoi ta mère a gardé tout ce fatras…

Christopher haussa les épaules.

— C’était son petit dernier. Je crois qu’elle se sent coupable de ne pas avoir pu le protéger…

— C’est vrai que ta mère se faisait beaucoup de souci pour l’avenir d’Adam, et notamment son avenir professionnel. Je n’étais pas très présent, mais je me souviens qu’elle m’appelait tous les jours pour me demander de faire quelque chose pour lui, pour l’aider à trouver un travail. Heureusement, tu étais là et tu l’as aidé à choisir une voie…

Christopher hocha la tête, à la fois surpris par la confidence de son père et impatient qu’il s’en aille pour reprendre ses recherches.

— Bon, allez, reprit Edward. Ne passe pas non plus ta journée à ressasser de vieux souvenirs. On en a assez d’une comme ça à la maison…

Le père de Christopher jeta un dernier coup d’œil aux piles de papiers, secoua la tête, puis referma la porte.

Christopher leva les yeux au ciel, agacé par la réflexion de son père, et sortit le contenu du deuxième carton : un tas de papiers administratifs. Sa mère avait réellement tout ramassé chez son fils défunt. Mais qu’est-ce qu’il pouvait espérer y trouver d’intéressant ? Pêle-mêle y étaient rangés des factures d’électricité, des relevés bancaires, des feuilles de remboursement de santé et des fiches de salaire.

Christopher soupira. Non, vraiment, cette recherche lui semblait vaine. Mais il irait jusqu’au bout de cette investigation familiale pour n’avoir rien à regretter.

Il s’assit en tailleur et étudia chaque document administratif un à un. Il était au milieu de son tri quand il reçut un nouveau message de Sarah.

Alors ?

Rien de concret pour le moment.

Je vous tiens au courant.

Christopher considéra d’un œil las la pile de relevés bancaires qu’il lui restait à éplucher.

Par acquit de conscience, il regarda chaque bulletin en se disant qu’il trouverait peut-être une grosse somme d’argent perçue ou transférée. Après tout, cela pouvait constituer un début de piste pour le meurtre de quelqu’un. Il y passa plus d’une heure, et à la fin ses yeux brillaient de fatigue. Mais aucun montant ne lui sembla dépasser la normale.

Il terminait d’étudier la dernière feuille quand il remarqua néanmoins un détail qui attira son attention. Tous les relevés provenaient de la même banque et étaient tous au nom d’Adam et de Nathalie, sauf trois d’entre eux issus d’une banque différente, la SwissCox, et libellés au seul nom d’Adam. Les relevés étaient récents et avaient été édités un an avant la mort d’Adam.

Christopher, qui espérait découvrir des sommes mirobolantes cachées, déchanta rapidement. Le compte n’était que très peu approvisionné, d’à peine 300 euros. En revanche, un débit du même montant, 25,80 euros, était prélevé tous les mois. Christopher lut sur le relevé que ce débit se faisait au profit de la banque elle-même. À quoi pouvait-il correspondre ?

Mû par ses réflexes de journaliste, il se connecta sur le site de l’institut bancaire SwissCox via son téléphone et téléchargea la grille des tarifs pratiqués par la banque.

Christopher parcourut le document à toute vitesse et ne trouva la réponse qu’à la toute fin de la brochure. Cette fois, son rythme cardiaque s’emballa pour de bon. Le débit de 25,80 euros correspondait au tarif exact de la location d’un coffre privé à accès permanent.

Il attrapa son téléphone, appela Sarah et lui résuma la situation.

— Et Adam ne vous avait bien sûr jamais parlé de ce coffre ?

— Non.

— Comme il ne vous avait pas parlé de sa visite à Gaustad ou de ses recherches approfondies sur la Seconde Guerre mondiale.

— Vous fatiguez pas, je suis convaincu.

— Alors, fouillez la chambre. Il faut absolument trouver cette clé.

— De toute façon, si elle est quelque part, ça ne peut être qu’ici. Il n’y a plus aucune autre affaire d’Adam ailleurs. Je vous rappelle.

Christopher vida chaque tiroir, regarda sous le bureau, défit intégralement le lit, inspecta les doublures de chaque vêtement, déplaça les meubles, vérifia les cloisons. En vain. Il ne trouva rien. Mais peut-être avait-il cherché trop vite.

Il remonta des cartons vides de la cave en expliquant à sa mère qu’il emportait les affaires de son frère chez lui. Qu’il voulait prendre le temps de se recueillir dans un endroit qui ne lui rappelait pas trop de souvenirs. Marguerite sembla surprise, mais elle accéda à la demande de son fils à condition qu’il y fasse attention et les lui rapporte vite.

— Qu’est-ce que tu vas faire avec toutes ces vieilleries ?

Le père de Christopher lisait de nouveau son journal en surveillant Simon qui jouait aux Playmobil dans le jardin.

— Je pense que c’est pas bon que maman garde ça ici, chuchota Christopher. Ça l’aide pas à passer à autre chose. Il est temps qu’elle s’en débarrasse.

Son père hocha la tête et se replongea dans sa lecture.

Après avoir chargé cinq cartons dans le coffre de la voiture, Christopher était impatient de retrouver Sarah. Mais il ne voulait pas priver Simon de la sérénité de son dimanche. Il le laissa faire un gâteau aux pommes avec sa grand-mère et jouer au ballon avec son grand-père pendant plus d’une heure.

Ce n’est qu’en fin de journée qu’ils prirent le chemin du retour. Épuisé par toutes ces activités, Simon s’endormit rapidement.

Une fois chez lui, Christopher le porta jusque dans sa chambre. Il le déposa dans son lit, le déshabilla, le borda et l’embrassa sur le front. Puis il sortit de la chambre, et alla se passer de l’eau sur le visage dans la salle de bains.

Les mains appuyées sur le rebord du lavabo, Christopher réalisait seulement maintenant le bouleversement que cette inspectrice norvégienne venait de provoquer dans sa vie. Il savait qu’il ne trouverait plus la paix tant qu’il n’aurait pas éclairci les zones d’ombre autour de la mort de son frère.

Pourquoi Adam s’intéressait-il tant aux découvertes scientifiques de la seconde moitié du XXe siècle ? Pourquoi s’était-il rendu dans cet hôpital psychiatrique de Gaustad voir ce patient ? Qu’avait-il découvert de si important pour qu’on l’assassine, comme il le redoutait désormais ?

Il s’essuya le visage et repassa devant la chambre de Simon pour aller dans la sienne. Dans l’embrasure de la porte, il vit le petit garçon glisser hors de son lit les yeux à moitié fermés et accomplir son rituel du soir. Il se mit à plat ventre, tira du carton sous son lit le vieux sweat-shirt de son père et se coucha en le serrant contre lui.

Christopher soupira et poursuivit vers sa chambre.

— Christopher ?

Christopher rebroussa chemin et passa la tête par l’entremise de la porte, à la façon d’un rongeur émergeant de son terrier. En le voyant, Simon rigola.

— C’est vrai que t’es rigolo.

— Tu m’as appelé juste pour te payer ma tête à 11 heures du soir ? essaya de plaisanter Christopher.

Simon baissa les yeux.

— Non, je suis juste content que tu m’aies pas laissé tout seul après… ajouta Simon.

Et il ferma les yeux.

Christopher fut envahi d’une émotion qu’il n’avait jamais éprouvée : le bonheur de se sentir indispensable pour quelqu’un. Il observa Simon rejoindre le sommeil d’une respiration lourde.