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Edward hocha la tête d’un air dubitatif.

— Et qu’est-ce qu’il a de si important à dire, ce gars-là ?

Christopher fut surpris par la question. Son père n’avait pas pour habitude de s’intéresser à son travail.

— Il… C’est compliqué. Et puis…

— Écoute, je te demande ça parce que j’ai l’impression que tu nous caches quelque chose. T’es pas obligé de nous parler de toute ta vie, mais peut-être qu’on pourrait mieux t’aider si on en savait plus.

Christopher se leva et se dirigea vers la porte d’entrée. La considération impromptue de son père l’agaçait. Pour une fois qu’il s’intéressait à lui, il le stressait encore plus.

— Au contraire, vous m’aiderez en ne me posant aucune question. Je crois d’ailleurs que maman l’a bien compris. Demande-lui conseil de temps en temps, ça aidera tout le monde.

Edward jeta un regard noir à son fils, mais Christopher l’ignora et claqua la porte.

Il sauta dans sa voiture et programma son GPS sur l’adresse de la banque SwissCox à Villejuif.

Une pluie fine rendait la chaussée glissante et la lumière des phares fatigante pour les yeux. Christopher ne put s’empêcher de penser que son frère et Nathalie avaient connu les mêmes mauvaises conditions météo le soir de leur accident. À la différence près que Christopher roulait bien au-dessous de la vitesse à laquelle le véhicule d’Adam avait percuté la rambarde de sécurité. La police avait été formelle, la voiture était lancée à plus de 110 km/h sur une route limitée à 70. Christopher ne comprenait pas comment l’accident aurait pu être provoqué. Ni le moteur ni les freins n’avaient été trafiqués et aucun véhicule n’était venu couper la trajectoire de la voiture d’Adam.

La voix du GPS tira Christopher de sa réflexion pour lui annoncer qu’il était parvenu à destination. L’enseigne éclairée de l’établissement bancaire apparut bientôt derrière un rideau de pluie au bout de la rue. En se garant, il aperçut Sarah, adossée au mur jouxtant la porte d’entrée, les bras croisés, vêtue d’un blouson en cuir clair et d’un col roulé beige relevé sur le cou.

Il descendit de voiture et courut s’abriter à côté de l’inspectrice. L’avancée murale qui les surplombait était si fine que les gouttes rasaient leur visage et venaient s’écraser sur la pointe de leurs chaussures.

— Bonsoir, dit-il sans savoir s’il devait lui serrer la main.

Sarah répondit d’un petit hochement de tête, les mains enfouies dans ses poches.

Christopher frissonna en sentant une goutte de pluie glisser dans son cou. Il plongea la main dans sa poche et en sortit la petite clé.

— Et si on me réclame une pièce d’identité, je fais quoi ?

— On verra.

— Vous ne pouvez pas demander une perquisition du coffre en tant qu’inspectrice ?

Sarah fit non de la tête.

— Pas sans mandat délivré par un juge. Ce qui, dans le cas d’une collaboration entre deux pays, prendrait des semaines de procédure. Et on n’a pas le temps.

Christopher secoua la tête en poussant un long soupir.

— OK, donc tout se joue dans quelques secondes et c’est sur moi que ça repose ?

Sarah acquiesça en silence.

Ils longèrent le mur de la banque jusqu’à la porte pour éviter la pluie autant que possible et se présentèrent devant l’entrée de l’établissement sous un auvent. Un interphone indiquait qu’il fallait sonner pour obtenir l’autorisation d’entrer.

Le cœur battant de plus en plus vite, Christopher appuya sur le bouton vert.

Au silence d’une dizaine de secondes succéda l’ouverture du sas permettant l’entrée dans la banque.

Christopher poussa la porte, suivi de Sarah. Ils passèrent sous un portique de détection de métal. Sarah ayant anticipé ce contrôle, elle avait laissé son arme dans sa valise, elle-même rangée dans une consigne de la gare de Lyon.

Les dalles en marbre rose qui tapissaient le hall d’entrée étaient si parfaitement cirées qu’elles reflétaient leurs corps avec la fidélité et la luminosité de l’eau. Nul doute, l’endroit était réservé aux personnes fortunées.

Deux vigiles se tenaient discrètement dans les coins de la pièce et, derrière un comptoir en acajou, deux employés étaient occupés chacun avec un client tandis qu’un troisième commis leur adressait un sourire, les invitant à le rejoindre.

L’homme qui les accueillit devait avoir une trentaine d’années. En costume-cravate, les cheveux parfaitement coiffés, très mince, il affichait un sourire professionnel. Ses gestes étaient précis, méticuleux, comme chorégraphiés pour susciter la confiance et le respect du client.

Christopher posa la clé du coffre sur le comptoir de marbre.

— Bonsoir, je suis M. Clarence et j’aimerais accéder à mon coffre, s’il vous plaît.

— Bien sûr.

Le réceptionniste baissa brièvement les yeux vers l’écran de l’ordinateur dissimulé sous son comptoir.

— Bien… nous allons pouvoir descendre à la salle des coffres.

Christopher se décrispa, mais sentit que Sarah restait tendue. Pourquoi ? Le plus dur était fait. On ne lui avait pas demandé de pièce d’identité.

— En revanche, reprit le réceptionniste en suivant une ligne du doigt sur l’écran de son ordinateur, je suis désolé, mais le coffre est nominatif et madame ne sera pas autorisée à nous accompagner. Souhaitez-vous un café ? Un thé pour patienter ?

Sarah déclina l’offre d’un non de la tête. Christopher, qui avait tressailli en entendant le « en revanche », souffla de nouveau.

— Bi… Bien, conclut le réceptionniste. Nous allons pouvoir y aller. Il me manque juste votre pièce d’identité.

La main tendue, l’employé regardait Christopher de ce même sourire poli.

— Je…

Du coin de l’œil, Christopher eut le sentiment que les deux vigiles en poste avaient bougé.

— Monsieur Clarence, il y a un problème ?

— Écoutez, s’expliqua Christopher, je suis le frère d’Adam Clarence, qui est décédé il y a un an. J’ai retrouvé cette clé dans ses affaires et je venais récupérer ce qui lui appartenait, voilà tout.

L’employé de banque consulta du regard les deux vigiles et prit un air embarrassé.

— Je suis désolé, mais vous auriez dû immédiatement me faire part de cette… version. À moins que… Attendez. Puis-je voir votre pièce d’identité, s’il vous plaît ?

Christopher consulta Sarah du regard. Elle battit des cils en signe d’acquiescement.

— Pourquoi ? demanda Christopher.

Le réceptionniste consultait l’écran de son ordinateur les sourcils froncés, comme si quelque chose l’intriguait.

— Parce qu’il se peut que je n’aie pas vu quelque chose.

Christopher tendit fébrilement sa carte d’identité.

— Merci, dit le réceptionniste en regardant attentivement la carte.

Il pianota sur son clavier et hocha la tête d’un air entendu, affichant un grand sourire contrit.

— Veuillez nous excuser pour ce malentendu, monsieur Clarence, dit-il, la tête légèrement inclinée dans un geste de repentir. Je n’avais pas vu que votre frère avait enregistré une procuration à votre nom pour l’ouverture du coffre. Si vous voulez bien me suivre, je vais vous conduire à la salle. Madame, si vous voulez bien patienter ici.

Christopher crut que ses jambes allaient se dérober sous lui. Il se retourna vers Sarah qui venait de pousser un soupir d’extrême soulagement.

*

Le réceptionniste guida son client vers l’escalier en marbre noir menant aux sous-sols de la banque. Christopher dut s’habituer à la faible luminosité des petits spots disposés au sol. Ils arrivèrent dans une salle d’attente munie de canapés en cuir noir et d’une petite table sur laquelle reposaient quelques magazines de finance et d’immobilier de luxe ainsi que trois bouteilles d’eau minérale. Deux vigiles, les mains croisées dans le dos, étaient postés devant la lourde porte circulaire menant à la salle des coffres privés.