— Et puis ce projet MK-Ultra, ça ne vous dit rien ? ajouta-t-il en rendant son téléphone à Sarah.
— Écoutez, Christopher, je vais faire mes propres recherches. À partir de maintenant, vous devriez vous occuper de Simon. Merci de m’avoir aidée. Je vous tiendrai au courant de la suite.
— MK-Ultra… Je suis sûr d’avoir déjà vu ça quelque part, poursuivit Christopher. Il faut que je creuse cette piste.
— OK, mais en attendant, partez loin d’ici avec Simon, dans un endroit inattendu, jusqu’à ce que je vous dise de revenir. D’accord ?
— OK, OK… Je vais voir comment je m’organise. Mais vous allez faire quoi avec tout ça ? C’est quoi la suite de votre enquête ?
Sarah savait exactement ce qu’elle allait faire dans la minute qui suivrait le départ de Christopher. Mais elle tut sa pensée, pour le protéger.
— Moins vous en saurez, moins vous vous exposerez au danger. Vous avez déjà fait beaucoup. Bon courage… Prenez soin de vous et de Simon.
Sarah s’apprêtait à ouvrir la portière quand Christopher la rattrapa par le bras.
— Il pleut fort, il est plus de minuit, nous sommes en banlieue, vous ne trouverez pas de taxi. Je vous accompagne jusque chez Parquérin… et promis je m’en vais. J’ai autant envie que vous que l’affaire avance vite.
Sarah faillit sourire d’étonnement. Comment avait-il deviné ?
— Je sais que c’est là que vous allez vous rendre maintenant que vous avez la preuve qu’il a bien produit du LS 34 après les années soixante-dix. N’est-ce pas ? Vous avez un levier pour le faire parler…
Sarah coiffa ses cheveux mouillés vers l’arrière, dégageant complètement son front et sa figure. Malgré la pénombre, Christopher distingua la partie brûlée du visage de l’inspectrice. Sa paupière abîmée et l’absence de cils et de sourcils.
— Vous prenez un trop grand risque en m’accompagnant.
— Qu’est-ce qui vous est arrivé ?
— L’incendie que le directeur de Gaustad a déclenché était fait pour tuer.
Christopher fronça les sourcils.
— Et vous croyez que je peux retrouver une vie normale après tout ce que j’ai découvert en deux jours ? Vous croyez que je vais reprendre mon métier et attendre les hypothétiques conclusions de votre enquête ?
— C’est ce que les gens font en général.
— Et vous, vous feriez quoi ?
Sarah sonda Christopher quelques instants de ses yeux bleu clair. Elle savait qu’elle n’agissait pas comme elle l’aurait dû. Mais c’était plus fort qu’elle. Elle lui fit signe de changer de siège pour se placer derrière le volant. Alors qu’elle descendait pour changer de place, elle reçut une réponse à son texto, mémorisa le message et s’assit à la place du chauffeur.
Puis elle régla le siège et les rétroviseurs à sa convenance et programma le GPS.
— Comment savez-vous où habite Parquérin ?
— Il est sur liste rouge, mais mes collègues de la police d’Oslo ont heureusement accès à ce type de données confidentielles, répondit-elle en désignant son portable du menton. À partir de maintenant, vous avez trente-trois minutes pour me dire tout ce que vous savez sur le projet MK-Ultra, dit Sarah en découvrant le temps de trajet indiqué par le GPS.
Elle refit tomber sa mèche de cheveux devant ses yeux et s’apprêta à démarrer.
— Laissez votre visage dégagé, ça vous va mieux, dit Christopher en se baissant pour regarder le ciel gorgé de pluie par la fenêtre.
Sarah ouvrit la bouche pour répliquer, mais se ravisa. Elle considéra Christopher un instant avec toute l’intensité de son regard.
Puis elle secoua la tête, noua ses cheveux en arrière et démarra en direction de la riche ville de Marnes-la-Coquette.
— Je vous écoute. Qu’est-ce que vous savez du projet MK-Ultra ? dit Sarah avant de s’engager sur le périphérique sud.
Les yeux rivés sur son smartphone, Christopher leva la main pour lui demander de patienter. L’alternance d’obscurité et de lumière au gré des lampadaires rendait difficile la lecture des sites qu’il consultait.
— À la prochaine sortie, tournez à droite, dit le GPS. Il vous reste seize kilomètres.
Il fallut encore quelques minutes à Christopher pour terminer la lecture des notes qu’il avait prises il y a quelques années sur le projet MK-Ultra. Puis il éteignit son smartphone.
— C’est un truc de dingue…
— Quoi ?
— Tout ce que je viens de lire est cohérent avec les documents que l’on a trouvés, mais aussi avec tous les bouquins sur la guerre froide de mon frère.
Sarah laissa Christopher poursuivre sans le presser.
— Bon, je vous lis texto ce que je viens de dénicher sur le site du New York Times. C’est un peu scolaire, mais ça a au moins le mérite d’être clair. Le projet MK-Ultra est la diminution de l’expression Mind Kontrol. Ce programme secret a justement été révélé au grand public par un article du New York Times en 1974 puis par une commission d’enquête du Sénat américain en 1977. Bref, il est tristement officiel et avéré que pendant près de vingt ans, de 1950 à 1970, la CIA a conduit des expériences sur des sujets non consentants dans le but de contrôler l’esprit humain. Cela se faisait à base d’injections de drogues, notamment du LSD, mais aussi de stimulations électriques, sensorielles et psychiques sur des patients d’hôpitaux psychiatriques sans famille, des prostituées ou des prisonniers de guerre. Le but avoué, ou en tout cas premier, était de réussir à faire parler les espions russes et si possible de parvenir à les retourner contre leur propre camp. La commission sénatoriale chargée d’enquêter sur ce projet a mis au jour vingt mille documents relatifs à ces expériences et révélé qu’il avait bénéficié d’un budget de vingt-cinq millions de dollars en dehors de…
Le téléphone de Sarah sonna et Christopher s’arrêta de parler. L’inspectrice regarda brièvement l’écran. C’était Stefen Karlstrom, son supérieur. Elle laissa son répondeur se déclencher sans un mot.
Christopher, qui commençait à comprendre le langage a minima de Sarah, en conclut qu’elle attendait qu’il poursuive.
— Ce programme de contrôle mental a donc coûté vingt-cinq millions de dollars en dehors de tout contrôle étatique. Bref, pendant vingt ans, ils ont fait ce qu’ils voulaient sans que personne vienne leur demander des comptes, ni financiers ni scientifiques et encore moins éthiques. Budget quasi illimité pour des expériences sur des sujets humains sans aucun contrôle. On imagine jusqu’où ils ont pu aller…
Christopher, qui venait de relever la tête, reconnut la zone du périphérique sur laquelle ils se trouvaient.
— Ne suivez pas le GPS. Sortez porte de Saint-Cloud, indiqua-t-il à Sarah. On va passer par Boulogne. C’est plus court et je connais bien le chemin.
Sarah s’assura d’un coup d’œil dans le rétroviseur qu’elle pouvait tourner et se rangea sur la file de droite du périphérique pour sortir.
— Je venais de temps en temps dans la forêt de Marnes-la-Coquette pour aller courir avec mon frère quand nous étions encore ados, poursuivit Christopher. C’est le seul moment où notre père daignait faire un effort pour nous emmener en balade parce qu’il y avait un golf pour lui juste à côté. Un sport auquel il n’a d’ailleurs jamais jugé bon de nous initier. Bref. Je ne sais pas pourquoi je vous parle de ça. C’est juste que passer par là me fait bizarre, c’est un moment qu’Adam et moi on aimait bien et…
Christopher sentit sa gorge se nouer et serra les poings.
— Ce Charles Parquérin a intérêt à parler. Si c’est lui qui a tué Adam, je…