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— Oui, ils m’ont raconté qu’ils étaient occupés aux tâches de nuit quand ils ont entendu des cris. Ils étaient à l’autre bout du bâtiment. L’un des infirmiers était en pleine piqûre et n’a pas pu venir tout de suite. Et l’autre, le temps qu’il débarque dans la cellule d’où provenait le bruit, le patient était mort.

— Et l’appel du gardien de la vidéosurveillance ? Ils ne l’ont pas entendu ? s’étonna Sarah.

— Si, mais dans l’urgence, ils ont privilégié le patient. Mais ça n’a pas suffi, le type était déjà décédé.

— Sauf que ça n’a aucun sens ! s’exclama le légiste. On ne peut pas se tuer en s’étranglant. La perte de connaissance entraîne forcément un relâchement de la strangulation. C’est quoi cette histoire ?

Le légiste chercha le soutien de l’inspectrice. Mais elle fit signe à l’officier Dorn de poursuivre.

— C’est évidemment ce que les infirmiers m’ont expliqué dès que je suis arrivé, reprit-il. Ils en ont rapidement déduit que le patient avait eu une crise d’angoisse suivie d’une crise cardiaque. Mais leur collègue de la surveillance, qui a été engagé il y a seulement quelques jours, a paniqué et n’a pas attendu leur diagnostic avant de contacter la police pour déclarer ce qu’il croyait être un suicide. Voilà comment je suis arrivé ici.

— En tout cas, si pour eux, il s’agit d’une crise d’angoisse, elle devait être sacrément carabinée. Vous imaginez, pour qu’un type ait envie de s’étrangler de ses propres mains ? s’étonna Thobias.

Dorn masqua mal son agacement. Mais Sarah s’étant fait la même réflexion que le légiste, elle attendit la réponse de l’officier.

— J’ai fait la remarque aux infirmiers qui m’ont rappelé que nous étions dans un asile psychiatrique et que les attaques de démence n’étaient malheureusement pas rares.

L’officier Dorn termina son récit, l’air embarrassé. Le légiste soupira comme s’il voulait signifier qu’on l’avait dérangé pour rien.

— OK, je me suis peut-être emballé aussi, reprit Dorn, mais franchement, si je vous ai appelée, inspectrice, c’est parce que je les ai tous trouvés tellement nerveux et hésitants que je me suis dit qu’il valait mieux être prudent. Et puis, je ne sais pas, même si ça semble logique maintenant, ça ne m’a pas plu qu’ils changent de version entre l’instant où ils nous appellent et celui où on arrive. Et puis il y a aussi cette marque sur le front… C’est bizarre.

Sarah convenait que la situation n’était pas limpide. Sans qu’elle y trouve pour autant une dimension suspecte.

— Où sont les trois surveillants de cette nuit ?

— Les deux surveillants Elias Lunde et Leonard Sandvik ont été isolés l’un de l’autre et vous attendent pour être interrogés si vous le voulez. Le gardien de nuit, Aymeric Grost, est dans une autre chambre de l’hôpital. Vous verrez, il est jeune et ne travaille à Gaustad que depuis deux semaines. La police scientifique de son côté est déjà en train de procéder aux relevés comme vous me l’avez demandé. Quant au directeur, je crois qu’il vient d’arriver, je n’ai pas encore eu le temps de le voir. Je suis désolé, peut-être que je n’aurais pas dû être aussi alarmiste au téléphone.

Sarah ne lui en voulait pas. Elle n’en voulait jamais à ceux qui choisissaient le doute pour guide. Et puis, à bien y réfléchir, elle se demandait même si elle ne préférait pas être là plutôt que de se morfondre dans les bras de sa sœur. En tout cas, elle essayait de s’en convaincre.

Elle allait demander à l’officier de la conduire au cadavre, mais un homme de haute stature et vêtu d’un costume gris se profila dans l’escalier en acajou.

Il descendait les marches d’un pas dynamique, dévoilant vite une physionomie allongée et des tempes grisonnantes qui lui donnaient un air élégant. Son regard franc surligné de sourcils broussailleux était celui d’un homme habitué à diriger. Il considéra Sarah et le légiste avec solennité.

— Professeur Hans Grund, je suis le directeur de l’établissement. Désolé que l’on vous ait au final dérangés pour rien, mais, au fond, c’est tout à l’honneur de mes équipes d’avoir cru bien faire.

Le directeur, qui avait tendu le bras, fut désarçonné en constatant que Sarah gardait les mains enfoncées dans les poches de sa parka. C’était l’une de ses règles. Ne jamais avoir de contact physique avec les personnes concernées de près ou de loin par une affaire. Plusieurs études psychologiques avaient prouvé qu’un simple effleurement pouvait influencer le jugement d’une personne sur une autre. Mais si professionnelle fût-elle, elle n’en était pas moins humaine. Elle lui adressa un bref salut d’un hochement de tête.

Le temps que le directeur suspende son geste, Sarah repéra que la chair sous l’ongle de son pouce droit était à vif. D’un coup d’œil, elle observa ses mains et ne releva aucun ongle rongé. Il n’était pas dans ses habitudes de se mordiller la peau des doigts. La mort de ce patient avait dû déclencher une vive émotion chez lui.

— Thobias Lovsturd, médecin légiste, intervint le petit homme en constatant le trouble du directeur face au mutisme de l’inspectrice.

— Enchanté. Et veuillez me pardonner si je ne suis pas aussi affable que je devrais l’être, mais la mort d’un de mes patients, si naturelle soit-elle, me peine toujours.

— Où est le corps ? demanda Sarah.

Les rides du directeur se plissèrent sous l’effet de la vexation.

— Bien, si je comprends bien, maintenant que vous êtes là, autant aller jusqu’au bout de la procédure. Cela dit, je pense que l’affaire ne vous prendra guère de temps. Par ici, s’il vous plaît.

Grâce au badge qu’il portait autour du cou, le directeur ouvrit la porte métallique que Sarah avait repérée sur la gauche en entrant. Elle lui emboîta le pas, suivie du légiste et de l’officier Dorn. À l’odeur de détergent se mêla un parfum d’éther. Hans Grund se tourna un instant vers Sarah sans s’arrêter de marcher.

— Je comprends que ce genre d’endroit puisse vous mettre mal à l’aise, inspectrice. Moi-même, je me souviens que lors de mes premiers stages en hôpital psychiatrique, je me suis demandé si j’étais vraiment fait pour ce métier. Mais j’ai compris plus tard que c’était parce que j’avais du mal à appréhender ces gens. Après avoir étudié en détail leurs pathologies et leur fonctionnement, la bizarrerie a laissé place à l’intérêt et à l’envie de les aider.

Si tu savais pourquoi je suis effectivement mal à l’aise ici, tu te tairais, aurait voulu lui répliquer Sarah. Mais elle ne faillit pas à son économie de langage. Silence qui ne fit qu’accroître l’embarras du directeur.

Ils empruntèrent un long couloir au sol luisant qui donnait de part et d’autre sur plusieurs pièces vides. De l’une d’elles, située plus avant dans le couloir, provinrent soudain des éclats de voix. Le directeur ne parut pas s’en soucier, mais Sarah dut accélérer le pas pour le suivre. Arrivé devant la pièce d’où provenait le bruit, Hans Grund s’y engouffra en priant le groupe de bien vouloir l’attendre un instant.

Dans ce qui ressemblait à une salle de jeux, si l’on en croyait les nombreux patients attablés en train de jouer aux cartes, un homme en blouse verte se débattait alors que deux infirmiers se donnaient une peine de tous les diables pour le maintenir. Il criait qu’il ne voulait pas prendre ses pilules, qu’il refusait qu’on l’empoisonne, que ça lui donnait l’impression de mourir chaque fois. Le directeur s’approcha d’une démarche calme, comme s’il savait exactement ce qu’il fallait faire pour régler la situation. Sarah l’observa, curieuse de voir comment il allait s’y prendre.

— Bonjour, Geralt…, lança Hans Grund.