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L’homme se démenait dans tous les sens. Les infirmiers étaient rouges d’effort et l’agacement commençait à se lire sur leurs visages. Le directeur leur fit signe de lâcher le patient qui s’agita encore quelques instants avant de se calmer. Hans Grund tira deux chaises. Il invita le patient à s’asseoir à côté de lui, comme deux copains. De là où elle était, Sarah n’entendait pas ce qu’ils se disaient, mais elle fut étonnée de voir Hans Grund et le patient sourire après quelques secondes. L’échange ne dura pas plus d’une minute. Le directeur finit par tendre un verre d’eau au patient qui avala un cachet. Les deux hommes se serrèrent la main et le professeur regagna le couloir.

— Le corps est un peu plus loin, se contenta-t-il de dire.

*

En chemin, Dorn confia à Sarah un badge électronique qui lui permettrait de circuler dans tout l’établissement. Il en profita pour lui remettre aussi un talkie-walkie muni d’une oreillette. L’hôpital était vaste et cela faciliterait grandement leurs échanges. Sarah n’avait pas l’intention de s’attarder, mais elle accepta le matériel par principe de précaution.

En passant près d’une porte close, ils entendirent quelqu’un qui sanglotait en appelant « mon bébé ? » d’une voix étonnée de ne pas recevoir de réponse. Mal à l’aise, Sarah couvrit la plainte de sa voix.

— La victime présentait-elle des risques cardiaques ?

— Oui… D’ailleurs, il était suivi. Mais à son âge, on ne peut malheureusement pas toujours lutter contre la fatalité.

— Quel âge ?

— Soixante-seize ans.

Dorn les avait désormais devancés et ouvrit une porte donnant sur un couloir plus moderne muni de néons, dont la lueur laiteuse se reflétait sur des dalles de PVC. Tout au bout du très long couloir, deux agents de police montaient la garde.

— Pour quelle raison ce patient était-il interné ici ? s’informa Sarah qui voulait cerner au mieux le profil de la victime avant que la découverte du cadavre ne vienne parasiter son raisonnement.

— Pour de récurrents troubles de la personnalité. Délire, paranoïa… Mais ce n’était pas un patient dit « sensible ». Par rapport à d’autres pensionnaires, j’entends.

— Si l’on en croit votre surveillant, il a essayé de s’étrangler. Ce n’est quand même pas commun, répliqua Sarah.

Le directeur rajusta le nœud de sa cravate.

— Effectivement, mais ça m’étonne de sa part. Il était plutôt calme.

— Un effet secondaire de l’un de ses traitements ?

— On ne peut rien exclure, mais je ne pense pas. Il suivait la même prescription depuis des années et il n’y avait aucune contre-indication en ce qui le concernait. Nous sommes très vigilants sur ce point.

— Un mauvais dosage ?

Le directeur secoua la tête.

— Je suis médecin avant tout, inspectrice : la médication de mes patients est mon obsession. Et je suis intraitable sur ce point avec mes infirmiers. Depuis que je suis ici, il n’y a jamais eu d’erreur de dosage. Je ne prétends pas que ça ne peut pas se produire, mais c’est fort peu probable.

Le groupe passa devant une chambre depuis laquelle on entendait un patient chanter une mélodie douce qui se termina par une insulte d’une grossièreté inédite. Thobias répéta l’injure à mi-voix, comme intimidé par la qualité du propos. Mais Sarah remarqua que le directeur ne souriait pas. Pire, il sembla contrarié par ce qu’il venait d’entendre. Il tira un carnet de sa poche intérieure, nota l’heure et inscrivit quelques mots avant de ranger son pense-bête.

— Ceux qui étaient de garde cette nuit ont peut-être malgré tout commis une erreur qu’ils n’osent pas vous avouer de peur de perdre leur emploi. Comme ceux qui ont peut-être oublié de donner son traitement à ce patient particulièrement… créatif.

Le directeur adressa un regard étonné à Sarah.

— Je ne sais pas comment cela se passe avec vos supérieurs, mais ici, je ne suis pas un tyran. Nous sommes une équipe, je suis leur entraîneur, pas leur arbitre. Quand mes employés ont un problème, ils viennent m’en parler. Leonard et Elias auraient fait de même s’ils avaient commis une faute. Non, cet homme est parti de sa belle mort, si j’ose dire. Je crois qu’il n’y a rien d’autre à chercher. Mais je vous laisse constater par vous-mêmes.

— Une dernière question. Combien y a-t-il de secteurs dans votre établissement ?

— Trois. Le secteur A est réservé aux patients qui ne présentent pas de danger évident pour eux ou pour les autres. Ceux de la zone B demandent une attention plus soutenue et ne peuvent pas vivre en groupe trop grand. Ceux de la zone C sont logiquement qualifiés de dangereux, même si je n’affectionne guère ce terme. L’incident de cette nuit a eu lieu dans la zone A, devant laquelle nous venons d’ailleurs d’arriver.

Deux officiers de police bloquaient le passage et ne s’effacèrent que lorsque Sarah présenta sa carte d’inspectrice de la police d’Oslo.

— Vous pouvez y aller, inspectrice Geringën, dit l’agent, un colosse blond aux cheveux coupés en brosse dont le nom – Nielsen – était épinglé sur sa vareuse.

Sarah posa le badge de l’hôpital sur le capteur électronique. On entendit le bruit d’un verrou et la porte s’ouvrit sur un couloir plongé dans la pénombre. Aucun des néons du plafond n’était allumé et l’unique source de lumière provenait d’une étrange lueur bleue irradiant d’une ouverture située sur la gauche.

— Ils en sont encore au polilight, précisa le légiste en désignant la lumière bleutée d’un coup de menton.

Le directeur allait suivre Sarah et le légiste, mais le géant blond aux mains épaisses lui bloqua l’accès.

— Désolé, monsieur, c’est une scène protégée.

Le battant de la porte se referma dans un claquement sourd.

Sarah aperçut une momie blanche revêtue de chaussons Stérigène, qui sortait de la pièce d’où filtrait le halo bleu. La silhouette immaculée déposa un tube en plastique sur un chariot et y colla une étiquette avant de regagner la salle.

Sarah fit quelques pas et avisa le contenu du chariot. Des gants tactiles et des surchaussures étaient à disposition. Elle s’équipa tandis que le médecin légiste enfilait une combinaison intégrale qu’il venait de sortir de sa valise.

En terminant d’ajuster l’un de ses gants, Sarah entra dans la cellule. L’éclairage du polilight lui donnait toujours l’impression d’évoluer dans un aquarium. Dans la pénombre azurée, deux techniciens en combinaison étaient en plein travail. Le premier, au fond de la pièce, venait de s’accroupir près d’un lit. À l’aide d’une pince, il saisit quelque chose sur le sol et le déposa dans un flacon.

Le second technicien, chaussé de lunettes aux verres orange, portait en bandoulière un appareil ressemblant à un petit radiateur. La lumière bleutée provenait du tuyau raccordé au boîtier que le policier dirigeait avec méthode sur les murs, le sol et le plafond.

Par terre, des repères jaunes numérotés signalaient des indices. L’un des plots se trouvait à côté d’une silhouette adossée au pied du lit dont les traits étaient dissimulés par la pénombre. Sarah s’approcha. La chambre formait un carré. Un lit était donc collé au mur de droite et des toilettes et un lavabo se trouvaient à l’opposé. C’était le seul mobilier.

— C’est bon pour moi.

La voix étouffée était celle d’une femme, la technicienne portant le polilight. Elle éteignit son appareil et s’accroupit près d’un fil électrique.

— Attention. J’allume !

La lumière des quatre projecteurs disposés aux coins de la pièce embrasa l’obscurité. C’est à ce moment qu’elle le vit.

Le cadavre lui faisait face, adossé au pied du lit, les jambes tendues vers l’entrée. Sa tête livide penchait sur le côté. La peau ridée par les années, vêtu d’une blouse vert pâle, les pieds nus, ses yeux écarquillés semblaient regarder une chose épouvantable, et sa bouche, ouverte, était pétrifiée dans une expression de terreur. Ses lèvres retroussées vers l’intérieur dévoilaient des dents gâtées et une langue déjà gonflée. Des filets de cheveux clairsemés recouvraient son front d’un voile gras.