Ce dernier en profita pour envoyer à Lazar la vidéo de tout ce que Sarah avait filmé pendant l’activation du capteur de neutrinos. On n’y distinguait pas clairement les visages des protagonistes, mais le son était bon.
Une dizaine de minutes plus tard, alors que Christopher était traversé de sueurs froides à l’idée d’avoir échoué, le téléphone sonna.
— Et le commanditaire ? demanda Lazar d’une voix qui n’était plus qu’un rauque raclement de gorge.
— L’homme qui a commandité les expériences sur vous et d’autres patients depuis 1960 s’appelle Mark Davisburry. Et à défaut d’être mort, il passera le reste de ses jours en prison.
— Les preuves, Clarence !
— Branchez-vous sur n’importe quelle chaîne d’informations américaine…
Lazar garda Christopher en ligne tandis qu’il connectait son ordinateur portable à CNN. Dans le haut-parleur, Christopher distingua le débit si caractéristique des voix de reporters américains.
Lazar fut saisi d’une émotion dont lui-même fut surpris lorsqu’il reconnut sur son écran le visage de l’un de ses tortionnaires. Une photo officielle de Davisburry était présentée en encart dans le coin de l’écran tandis que des images filmées à la volée montraient la police encadrant un brancard. Le présentateur expliquait que le millionnaire Mark Davisburry, ancien agent de la CIA reconverti dans l’industrie médicale, était le suspect principal dans l’explosion criminelle qui venait de détruire le centre d’expérimentation de la mine de Soudan.
— 130, chemin Saint-Pierre-de-Féric, à Nice.
Et Lazar raccrocha.
Christopher demeura bouche bée jusqu’à ce que Sarah lui demande ce que Lazar avait dit.
— 130, chemin Saint-Pierre-de-Féric, à Nice. On a réussi, Sarah.
Elle le serra dans ses bras en posant la tête dans le creux de son épaule tandis que Christopher répétait l’adresse à voix haute pour être certain de ne pas l’oublier.
Quand ils parvinrent à Minneapolis, Christopher signa une décharge et demanda aux infirmiers qu’on le laisse partir. Ils embarquèrent dans un taxi et, trente minutes plus tard, ils passaient les portes de l’embarquement pour le vol AF 93021 Minneapolis-Paris de 13 h 45.
Ce n’est qu’après avoir décollé que Sarah prit le temps de demander à Christopher par quel miracle il avait réussi à sortir vivant de la mine.
Il lui raconta alors comment un des membres de l’équipe de Davisburry avait survécu aux éboulements grâce à son casque de sécurité et l’avait sauvé. En cherchant un moyen de s’enfuir, le scientifique était passé par le bureau de Davisburry et avait vu Christopher blessé et prisonnier. Il avait fait levier avec une hache de secours qu’il avait avec lui et était parvenu à le libérer puis à le soutenir jusqu’à la sortie.
Sarah détourna le regard pour observer les rebonds nuageux du ciel, meurtrie de ne pas avoir été celle qui l’avait sauvé.
— Tu n’avais aucun moyen de m’aider, la consola Christopher. Aucun. Surtout, ne t’en veux pas. Je te dois tout.
Il posa sa main sur la sienne. Leurs doigts se nouèrent et se serrèrent. Malgré l’angoisse sourde qui continuait à résonner en lui en attendant de pouvoir tenir Simon dans ses bras, Christopher entrevit un bonheur immense aux côtés de cette femme qui l’avait accompagné jusqu’en enfer.
Après quelques instants, Sarah se tourna vers Christopher et inspecta son visage. Elle semblait recenser le nombre de coupures et de bleus sur sa peau et embrassa chacune de ses blessures de la pulpe de ses lèvres. Puis elle serra de nouveau la main de Christopher.
Ils restèrent ainsi, se nourrissant mutuellement de la douceur et de la chaleur de l’autre sans que ce contact parvienne pour autant à vaincre les affres de l’inquiétude. Lazar tiendrait-il parole ? Avait-il dit la vérité en affirmant que Simon était encore vivant ?
– 50 –
Lorsqu’ils atterrirent enfin à Nice après avoir pris un autre vol à Paris, Christopher commença à se sentir vraiment mal. La chaleur du sud de la France mêlée à l’anxiété et à la fatigue le rendait fébrile. Et le discours du chauffeur de taxi l’agaçait.
— Joli quartier, lança la voix chantante du conducteur niçois lorsque Christopher lui eut donné l’adresse du 130, chemin Saint-Pierre-de-Féric. Je sais pas si vous connaissez ce coin, poursuivit le chauffeur en quittant le parking de l’aéroport. C’est sur les hauteurs, y avait de belles villas là-haut dans le temps… mais maintenant, c’est un peu laissé à l’abandon.
— Nous sommes fatigués, trancha Sarah. Merci de nous conduire rapidement à destination.
— OK, OK… Vous avez un petit accent qui me rappelle celui de la fille au pair de ma belle-sœur. Vous viendriez pas d’un de ces pays du Nord ou d’un truc comme ça ?
Sarah tourna la tête vers la vitre sans répondre. Le taxi sembla cette fois comprendre le message et marmonna quelques banalités sur la différence entre la convivialité des gens du Sud et ceux des pays froids.
Mais ni Sarah ni Christopher n’avaient envie de faire des efforts pour les politesses de convenance.
Serrant contre lui la pochette contenant tous les documents qu’il allait remettre à Lazar, Christopher souffrait davantage chaque seconde qui le séparait de Simon et Sarah se sentait désormais impuissante à le rassurer.
Après avoir suivi une grande route, la voiture s’engagea sur un petit chemin tracé à même un coteau. De part et d’autre de l’étroite route, on apercevait de grands jardins laissés en friche et des villas dont la plupart ne semblaient plus habitées.
Quand ils passèrent devant le no 120, Sarah demanda au chauffeur de les arrêter.
— C’est pas au 130 que vous vouliez aller ?
— Arrêtez-vous ici !
— Pop, pop, faut pas vous énerver. Moi, je dis ça pour vous éviter de la marche inutile, hein, mais c’est vous qui décidez.
Ils payèrent et sortirent, laissant le taxi s’en aller.
Le jour déclinait et une lumière d’incendie brûlait les nuages survolant les montagnes du parc du Mercantour.
— Donne-moi les documents, dit Sarah.
— Pour quoi faire ?
— Si j’étais Lazar, je n’aurais aucun scrupule à nous tuer et à prendre ce qui m’intéresse sur nos cadavres. On va les cacher quelque part ici et la première chose qu’on lui annoncera avant même de le voir, c’est que l’on n’a pas les informations sur nous et que, s’il les veut, il devra tous nous garder vivants, y compris Simon.
Christopher reconnut qu’il était si impatient de retrouver Simon qu’il aurait effectivement commis cette ultime faute. Il tendit à Sarah la pochette contenant les documents et la clé USB.
Elle s’assura qu’ils étaient vraiment seuls en regardant autour d’elle et cacha soigneusement la pochette et la clé derrière des buissons qui dépassaient d’une clôture.
— C’est le moment, on y va.
Le numéro 130 abritait l’une des rares villas dont le portail était éclairé. Protégée par une haute palissade en métal, on ne pouvait pas voir l’intérieur, mais, à la longueur de l’enceinte, la propriété semblait vaste.
Sarah remarqua la présence d’une caméra, mais Christopher, n’y tenant plus, sonnait déjà à l’interphone.
— Je préfère vous prévenir tout de suite, dit Christopher sans savoir si on l’écoutait. Les documents ne sont pas sur nous. J’exige de tenir Simon dans mes bras avant de vous donner quoi que ce soit.
Sarah poussa prudemment le portail entrouvert, dévoilant une majestueuse allée bordée par les silhouettes élancées de cyprès de Florence.
Ils suivirent le chemin de cailloux blancs conduisant à une maison en pierre de taille, juchée sur une butte, au milieu d’un immense jardin planté d’arbres fruitiers. On entendait seulement leurs pas crisser sur le gravier et le chant lointain de quelques cigales accompagné d’un gazouillis insouciant de rossignol. Il faisait encore bon et pourtant, à l’horizon, une masse de nuages gris s’amoncelait.