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Il parlait, il parlait, s’animant au choc des pensées diverses qui se pressaient tumultueusement dans son cerveau, s’exaltant au cliquetis des mots.

Et il ne jouait pas la comédie. Sa bonne foi était complète, intacte, entière. Il ne songeait même pas à se trouver bien.

– Mais… alors… hasarda miss Fancy…

– Quoi? tu te trouves libre? Cela va sans se dire.

Elle ne savait trop encore si elle devait s’affliger ou se réjouir.

– Oui! déclara-t-il, je te rends ta liberté. Jenny eut un geste sur lequel Hector se méprit.

– Oh! mais, sois tranquille, ajouta-t-il vivement je ne te quitte pas ainsi, je ne veux pas que demain tu te trouves dans l’embarras. Le loyer ici étant à ton nom, le mobilier te reste, et, de plus, j’ai songé à toi. J’ai là, dans ma poche, cinq cents louis, c’est toute ma fortune, je te l’apporte.

Il lui présentait en même temps sur une assiette – imitant en riant les garçons de restaurant qui rapportent la monnaie – ses dix derniers billets de mille francs.

Elle les repoussa avec horreur.

– Eh bien! fit-il, reprenant son ton d’homme supérieur, voilà un beau mouvement, mon enfant, c’est bien, très bien. Je l’ai toujours pensé, vois-tu, et toujours dit, tu es une bonne fille, trop bonne même, il faudra te corriger.

Oui, elle était bonne fille, miss Jenny Fancy, autrement dit Pélagie Taponnet, car au lieu de serrer les billets de banque et de mettre Hector à la porte comme c’était incontestablement son droit, elle essaya, le croyant très malheureux, de le consoler, de le réconforter.

Depuis que Trémorel lui avait confessé qu’il était sans le sou, elle ne le haïssait presque plus, et même, par un revirement fréquent chez les femmes de cette trempe, elle commençait à l’aimer.

Hector saisi, sans asile, n’était plus l’homme terrible, payant pour être le maître, le millionnaire dont un caprice rejette au ruisseau la femme qu’il en a tirée par fantaisie. Ce n’était plus le tyran, l’être exécré. Ruiné, il descendait de son piédestal, il rentrait dans le droit commun, il redevenait un homme comme les autres, préférable aux autres, étant vraiment remarquablement beau.

Puis prenant pour un généreux élan du cœur le dernier artifice d’une vanité malade, Fancy était extrêmement touchée de ce don de dix mille francs.

– Tu n’es pas si pauvre que tu dis, reprit-elle, puisque tu as encore cette somme.

– Eh! chère enfant, c’est à peine ce que tu me coûtes par mois, je t’ai donné tout autant deux ou trois fois pour quelques petits diamants que tu portais une soirée.

Elle réfléchit un moment, et tout étonnée, comme après une découverte:

– Tiens! dit-elle, c’est pourtant vrai.

Depuis longtemps Hector ne s’était autant amusé.

– Mais, reprit gravement miss Fancy, je puis dépenser moins, oh! oui, beaucoup moins, et être, je te l’assure, tout aussi heureuse. Autrefois, avant de te connaître, quand j’étais jeune – elle avait dix-neuf ans – dix mille francs me semblaient une de ces sommes fabuleuses dont on parle, mais que peu d’hommes ont vue réunie en un seul tas, que bien peu ont tenue entre les mains.

Elle essayait de glisser les billets dans la poche du comte qui se défendait.

– Ainsi, tiens, reprends, garde…

– Que veux-tu que j’en fasse?

– Je ne sais, mais il me semble que cet argent peut en rapporter d’autre. Ne peux-tu jouer à la Bourse, parier aux courses, gagner à Bade, tenter quelque chose enfin? J’ai entendu parler de gens qui maintenant sont riches comme des rois, qui ont commencé avec rien, et qui n’avaient pas ton éducation à toi, qui as tout vu, qui connais tout. Que ne fais-tu comme eux?

Elle parlait vivement, avec cet entraînement de la femme qui cherche à faire triompher son idée.

Et lui, la regardait, stupéfait de lui trouver cette sensibilité, cet intérêt désintéressé à sa personne, plus étonné qu’un prosecteur de l’école, qui, préparant sa leçon, rencontrerait le cœur de son sujet à droite au lieu de le découvrir à gauche.

– Tu veux bien, n’est-ce pas? insistait-elle, tu veux bien…

Il secoua l’espèce de torpeur pleine de charmes où le plongeait la mine câline de sa maîtresse.

– Oui, lui dit-il, tu es une bonne fille, mais prends ces cinq cents louis puisque je te les donne, et ne t’inquiète de rien.

– Mais toi? as-tu encore de l’argent? que te reste-t-il?

– J’ai encore…

Il s’arrêta, inspectant ses poches, comptant l’or de son porte-monnaie, ce qui ne lui était jamais arrivé.

– Ma foi! il me reste trois cent quarante francs, c’est bien plus qu’il ne me faut, aussi, avant de partir, je veux donner dix louis à tes domestiques, ils m’ont bien servi.

– Et que deviendras-tu après! mon Dieu?

Il se posa sur sa chaise, caressant négligemment sa belle barbe, et ajouta:

– Je vais me brûler la cervelle.

– Oh! s’écria-t-elle effrayée.

Hector supposa que la jeune femme doutait. Il sortit de sa poche ses petits pistolets à crosse d’ivoire, et les lui montrant:

– Tu vois, lui dit-il, ces joujoux? Eh bien, en te quittant, je vais aller quelque part, n’importe où, j’appuierai les canons comme cela, sur mes tempes – il faisait le geste – je presserai la détente, et tout sera dit.

Elle le regardait, la pupille dilatée par l’épouvante, pâle, le sein ému.

Mais en même temps elle l’admirait. Elle était émerveillée de tant de courage, de ce calme, de cette insouciance railleuse. Quel dédain superbe de la vie! Dévorer sa fortune et se tuer après, sans cris, sans pleurs, sans regrets, lui paraissait un acte d’héroïsme inouï, sans exemple, sans pareil. Et, dans son extase, il lui semblait que devant elle se dressait un homme nouveau, inconnu, beau, radieux, éblouissant. Elle se sentait prise pour lui de tendresses infinies; elle l’aimait comme jamais elle n’avait aimé, en elle s’éveillaient des ardeurs ignorées.

– Non! s’écria-t-elle, non! cela ne sera pas.

Et, se levant brusquement, elle bondit jusqu’à Hector.

Elle s’était suspendue au cou de son amant, et la tête rejetée en arrière pour le bien voir, pour plonger ses yeux dans les siens, elle continuait:

– Tu ne te tueras pas, n’est-ce pas? tu me le promets, tu me le jures. Non, ce n’est pas possible, tu ne le voudrais pas. C’est que je t’aime, vois-tu, je t’aime… moi qui ne pouvais pas te souffrir autrefois. Ah! je ne te connaissais pas, tandis que maintenant… Va! nous serons heureux. Toi qui as toujours vécu dans les grandeurs tu ne sais pas ce que c’est que dix mille francs mais je le sais, moi.