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– Hein! tu l’as voulu, n’est-ce pas?

Puis, pendant que le brigadier emmenait les deux maraudeurs qu’il enferma séparément et sous la garde de ses hommes, le juge de paix et le maire rentraient dans le parc.

– Avec tout cela, murmurait M. Courtois, pas de traces du comte!…

Il s’agissait de relever le cadavre de la comtesse.

Le maire envoya chercher deux planches qu’on déposa à terre avec mille précautions, et ainsi on put agir sans risquer d’effacer des empreintes précieuses pour l’instruction.

Hélas! était-ce bien là celle qui avait été la belle, la charmante comtesse de Trémorel! Étaient-ce là ce frais visage riant, ces beaux yeux parlants, cette bouche fine et spirituelle.

Rien, il ne restait rien d’elle. La face tuméfiée, souillée de boue et de sang n’était plus qu’une plaie; une partie de la peau du front avait été enlevée avec une poignée de cheveux. Les vêtements étaient en lambeaux.

Une ivresse furieuse affolait certainement les monstres qui avaient tué la pauvre femme! Elle avait reçu plus de vingt coups de couteau, elle avait dû être frappée avec un bâton ou plutôt avec un marteau, on l’avait foulée aux pieds, traînée par les cheveux!…

Dans sa main gauche crispée était un lambeau de drap commun, grisâtre, arraché probablement au vêtement d’un des assassins.

Tout en procédant à ces lugubres constatations et en prenant des notes pour son procès-verbal, le pauvre maire sentait si bien ses jambes fléchir qu’il était forcé de s’appuyer sur l’impassible père Plantat.

– Portons la comtesse à la maison, ordonna le juge de paix, nous verrons ensuite à chercher le cadavre du comte.

Le valet de chambre, et le brigadier qui était revenu, durent réclamer l’assistance des domestiques restés dans la cour. Du même coup les femmes se précipitèrent dans le jardin.

Ce fut alors un concert terrible de cris, de pleurs et d’imprécations.

– Les misérables! Une si brave femme! Une si bonne maîtresse!

M. et Mme de Trémorel étaient, on le vit bien en cette occasion, adorés de leurs gens.

On venait de déposer le corps de la comtesse au rez-de-chaussée, sur le billard, lorsqu’on annonça au maire l’arrivée du juge d’instruction et d’un médecin.

– Enfin! murmura le bon M. Courtois.

Et plus bas il ajouta:

– Les plus belles médailles ont leur revers.

Pour la première fois de sa vie, il venait sérieusement de maudire son ambition et de regretter d’être le plus important personnage d’Orcival.

3

Le juge d’instruction près le tribunal de Corbeil était alors un remarquable magistrat, M. Antoine Domini, appelé depuis à d’éminentes fonctions.

M. Domini est un homme d’une quarantaine d’années, fort bien de sa personne, doué d’une physionomie heureusement expressive, mais grave, trop grave.

En lui semble s’être incarnée la solennité parfois un peu roide de la magistrature.

Pénétré de la majesté de ses fonctions, il leur a sacrifié sa vie, se refusant les distractions les plus simples, les plus légitimes plaisirs.

Il vit seul, se montre à peine, ne reçoit que de rares amis, ne voulant pas, dit-il, que les défaillances de l’homme puissent porter atteinte au caractère sacré du juge et diminuer le respect qu’on lui doit. Cette dernière raison l’a empêché de se marier, bien qu’il se sentît fait pour la vie de famille.

Toujours et partout, il est le magistrat, c’est-à-dire le représentant convaincu jusqu’au fanatisme de ce qu’il y a de plus auguste au monde: la justice.

Naturellement gai, il doit s’enfermer à double tour lorsqu’il a envie de rire. Il a de l’esprit, mais si un bon mot ou une phrase plaisante lui échappent, soyez sûr qu’il en fait pénitence.

C’est bien corps et âme qu’il s’est donné à son état, et nul ne saurait apporter plus de conscience à remplir ce qu’il estime son devoir. Mais aussi, il est inflexible plus qu’un autre. Discuter un article du code est à ses yeux une monstruosité. La loi parle, il suffit, il ferme les yeux, se bouche les oreilles, et obéit.

Du jour où une instruction est commencée, il ne dort plus, et rien ne lui coûte pour arriver à la découverte de la vérité. Cependant on ne le considère pas comme un bon juge d’instruction: lutter de ruses avec un prévenu lui répugne; tendre un piège à un coquin est, dit-il, indigne; enfin, il est entêté, mais entêté jusqu’à la folie, parfois jusqu’à l’absurde, jusqu’à la négation du soleil en plein midi.

Le maire d’Orcival et le père Plantat s’étaient levés avec empressement pour courir au-devant du juge d’instruction.

M. Domini les salua gravement, comme s’il ne les eût point connus, et leur présentant un homme d’une soixantaine d’années qui l’accompagnait:

– Messieurs, dit-il, M. le docteur Gendron.

Le père Plantat échangea une poignée de mains avec le médecin; monsieur le maire lui adressa son sourire le plus officiellement gracieux.

C’est que le docteur Gendron est bien connu à Corbeil et dans tout le département; il y est même célèbre, malgré le voisinage de Paris.

Praticien d’une habileté hors ligne, aimant son art et l’exerçant avec une sagacité passionnée, le docteur Gendron doit cependant sa renommée moins à sa science qu’à ses façons d’être. On dit de lui: «C’est un original»; et on admire ses affectations d’indépendance, de scepticisme et de brutalité.

C’est entre cinq et neuf heures du matin, été comme hiver, qu’il fait ses visites. Tant pis pour ceux que cela dérange; ce ne sont point, Dieu merci! les médecins qui manquent.

Passé neuf heures, bonsoir, personne, plus de docteur. Le docteur travaille pour lui, le docteur est dans sa serre, le docteur inspecte sa cave, le docteur est monté à son laboratoire, près du grenier, où il cuisine des ragoûts étranges.

Il cherche, dit-on dans le public, des secrets de chimie industrielle pour augmenter encore ses vingt mille livres de rentes, ce qui est bien peu digne.

Et il laisse dire, car le vrai est qu’il s’occupe de poisons et qu’il perfectionne un appareil de son invention, avec lequel on pourra retrouver les traces de tous les alcaloïdes qui, jusqu’ici, échappent à l’analyse.

Si ses amis lui reprochent, même en plaisantant, d’envoyer promener les malades dans l’après-midi, il se fâche tout rouge.

– Parbleu! répond-il, je vous trouve superbes! Je suis médecin quatre heures par jour, je ne suis guère payé que du quart de mes malades, c’est donc trois heures que je donne quotidiennement à l’humanité que je méprise et à la philanthropie dont je me soucie… Que chacun de vous en donne autant, et nous verrons.