Le docteur R…, le lendemain matin, le déclara plus en danger que jamais; à ce point, qu’il expédia une dépêche à Paris pour prévenir de son absence, et annonça qu’il allait rester deux ou trois jours au Valfeuillu.
Le mal redoublait de violence, mais sa marche devenait de plus en plus certaine. Les symptômes les plus contradictoires se produisaient. C’était chaque jour un phénomène nouveau, déconcertant toutes les prévisions des médecins. C’est qu’aussitôt que Sauvresy avait une heure de rémission, il revoyait l’abominable scène de la fenêtre, et le mieux s’envolait.
Il ne s’était d’ailleurs pas trompé. Berthe avait, ce soir-là, une grâce à demander à Hector.
Le maire d’Orcival devait, le surlendemain, se rendre à Fontainebleau avec toute sa famille, et il avait proposé au comte de Trémorel de l’accompagner. Hector avait accepté l’offre avec empressement, on devait atteler à une grande voiture de chasse quatre chevaux qu’il conduirait à grandes guides, M. Courtois ayant – et avec raison – la plus grande confiance en son habileté.
Or, Berthe qui ne pouvait tolérer cette idée, qu’il passerait toute une journée avec Laurence, venait le conjurer de se dégager. Il ne manquait pas, elle le lui prouvait, de prétextes excellents. Était-il convenable qu’il s’en allât en partie de plaisir pendant que l’existence de son ami était en péril!
Il ne voulait pas absolument d’abord. Mais à force de prières et surtout de menaces, elle le décida, et elle ne descendit qu’après qu’il lui eut juré qu’il écrirait, le soir même une lettre d’excuses à M. Courtois. Il tint sa parole, mais il finissait par être excédé de cette tyrannie. Il était las d’immoler sans cesse sa volonté, de sacrifier sa liberté à ce point qu’il ne pouvait rien projeter, rien dire, rien promettre, avant d’avoir consulté l’œil clair de cette femme jalouse qui ne permettait pas qu’il s’écartât du cercle de ses jupons.
De plus en plus, la chaîne devenait lourde et le meurtrissait, et il commençait à comprendre qu’elle ne se délierait pas seule, à la longue, mais que tôt ou tard il lui faudrait la briser.
Il n’avait jamais aimé Berthe, ni Fancy, ni personne probablement, et il aimait la fille du maire d’Orcival.
Le million qui devait former sa couronne de mariée avait commencé par l’éblouir, mais peu à peu il avait subi le charme pénétrant qui s’exhalait de la personne de Laurence. Il était séduit, lui, le viveur blasé, par tant de grâces, tant d’innocence naïve, par tant de candeur et de beauté. Si bien qu’il eût épousé Laurence pauvre, comme Sauvresy avait épousé Berthe.
Mais cette Berthe, il la redoutait trop pour la braver ainsi tout à coup, et il se résigna à attendre encore, à ruser. Dès le demain de la scène au sujet de Fontainebleau, il se déclara souffrant, attribuant son malaise au manque d’exercice, et tous les jours il monta à cheval deux ou trois heures. Il n’allait pas bien loin; il allait jusque chez M. Courtois.
Berthe, tout d’abord, n’avait rien vu de suspect à ces promenades du comte de Trémorel. Il sortait à cheval et cela la rassurait, comme certains maris qui se croient à l’abri de tout malheur parce que leur femme ne se promène qu’en voiture.
Mais après quelques jours, l’examinant mieux, elle crut découvrir en lui une certaine satisfaction intime qu’il s’efforçait de voiler sous une contenance fatiguée. Il avait beau faire, il se dégageait de toute sa personne comme un rayonnement de bonheur.
Elle eut des doutes, et ils grandirent à chaque sortie nouvelle. Les plus tristes conjectures l’agitaient tant qu’Hector était absent. Où allait-il? Probablement rendre visite à cette Laurence qu’elle redoutait et détestait.
Ses pressentiments de maîtresse jalouse ne la trompaient pas, elle le vit bien.
Un soir, Hector reparut, portant à sa boutonnière une branche de bruyère que Laurence elle-même y avait passée et qu’il avait oublié de retirer.
Berthe prit doucement cette fleur, l’examina, la flaira, et se contraignant à sourire alors qu’elle endurait les plus cruels déchirements de la jalousie:
– Voici, dit-elle, une charmante variété de bruyère.
– C’est ce qu’il m’a semblé, répondit Hector d’un ton dégagé, bien que je ne m’y connaisse pas.
– Y a-t-il de l’indiscrétion à vous demander qui vous l’a donnée?
– Aucune. C’est un cadeau de notre cher juge de paix, le père Plantat.
Tout Orcival savait parfaitement que, de sa vie, le juge de paix, ce vieil horticulteur maniaque, n’avait donné une fleur à qui que ce fût, sauf à Mlle Courtois. La défaite était malheureuse, et Berthe ne pouvait en être dupe.
– Vous m’aviez promis, Hector, commença-t-elle de cesser de voir Mlle Courtois, de renoncer à ce mariage.
Il essaya de répondre.
– Laissez-moi parler, fit-elle, vous vous expliquerez après. Vous avez manqué à votre parole, vous vous êtes joué de ma confiance, je suis folle de m’en étonner. Seulement, aujourd’hui, après mûres réflexions, je viens vous dire que vous n’épouserez pas Mlle Courtois.
Aussitôt, sans attendre sa réplique, elle entama l’éternelle litanie des femmes séduites ou qui prétendent l’avoir été. Pourquoi était-il venu? Elle était heureuse dans son ménage, avant de le connaître. Elle n’aimait pas Sauvresy, il est vrai, mais elle l’estimait, il était bon pour elle. Ignorant les félicités divines de la passion vraie, elle ne les désirait pas. Mais il s’était montré et elle n’avait pas su résister à la fascination. Pourquoi avait-il abusé de ce qu’irrésistiblement elle se sentit entraînée vers lui. Et maintenant, après l’avoir perdue, il prétendait se retirer, en épouser une autre, lui laissant pour souvenir de son passage, la honte et le remords d’une faute abominable.
Trémorel l’écoutait, abasourdi de son audace. C’était à n’y pas croire! quoi! elle osait prétendre que c’était lui qui avait abusé de son inexpérience, quand, au contraire, la connaissant mieux, il avait été parfois épouvanté de sa perversité. Telle était la profondeur de la corruption qu’il découvrait en elle, qu’il se demandait s’il était son premier amant ou le vingtième.
Mais elle l’avait si bien poussé à bout, elle lui avait si rudement fait sentir son implacable volonté, qu’il était décidé à tout plutôt que de subir davantage ce despotisme. Il s’était promis qu’à la première occasion il résisterait. Il résista.
– Eh bien, oui, déclara-t-il nettement, je vous trompais, je n’ai pas d’avenir, ce mariage m’en assure un, je me marie.
Et il reprit tous ses raisonnements passés jurant que moins que jamais il aimait Laurence, mais que de plus en plus il convoitait l’argent.