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– Attendre quoi? reprit-elle avec violence, qu’il soit mort?

– Ne parlez pas ainsi, fit-il.

– Pourquoi donc?

Berthe se rapprocha de lui, et d’une voix sourde, sifflante:

– Il n’a plus huit jours à vivre, dit-elle, et tenez…

Elle sortit de sa poche et lui montra un petit flacon de verre bleu bouché à l’émeri.

– … Voici qui m’assure que je ne me trompe pas.

Hector devint livide et ne put retenir un cri d’horreur. Il comprenait tout, maintenant, il s’expliquait l’inexplicable facilité de Berthe, son affectation à ne plus parler de Laurence, ses propos bizarres, son assurance.

– Du poison, balbutiait-il, confondu de tant de perversité, du poison!

– Oui, du poison.

– Vous ne vous en êtes pas servie?

Elle arrêta sur lui son regard insupportable de fixité, ce regard qui brisait sa volonté, sous lequel d’ordinaire il se débattait en vain, et d’une voix calme, appuyant sur chaque mot, elle répondit:

– Je m’en suis servie.

Certes, le comte de Trémorel était un homme dangereux, sans préjugés, sans scrupules, ne reculant devant aucune infamie quand il s’agissait de l’assouvissement de ses passions, capable de tout; mais ce crime horrible réveilla en lui tout ce qui lui restait encore d’énergie honnête.

– Eh bien! s’écria-t-il révolté, vous ne vous en servirez plus.

Il se dirigeait déjà vers la porte, frémissant, éperdu; elle l’arrêta.

– Avant d’agir, fit-elle froidement, réfléchissez. Vous êtes mon amant, j’en fournirai la preuve; à qui ferez-vous entendre qu’étant mon amant vous n’êtes pas mon complice?

Il sentit toute la portée de cette terrifiante menace dans la bouche de Berthe.

– Allez, poursuivit-elle d’un ton ironique parlez, demandez à faire des révélations. Quoi qu’il arrive, dans le bonheur ou dans l’infamie, nous ne serons plus séparés, nos destinées seront pareilles.

Hector s’était laissé tomber pesamment sur un fauteuil, plus assommé que s’il eût reçu un coup de massue.

Il prenait entre ses mains crispées son front qui lui semblait près d’éclater. Il se voyait, il se sentait enfermé dans un cercle infernal sans issue.

– Mais je suis perdu, balbutia-t-il sans savoir ce qu’il disait, je suis perdu!…

Il était à faire pitié, sa figure était affreusement décomposée, de grosses gouttes de sueur perlaient à la racine de chacun de ses cheveux, ses yeux avaient l’égarement de la folie.

Berthe lui secoua rudement le bras, sa misérable lâcheté l’indignait.

– Vous avez peur, lui disait-elle, vous tremblez! Perdu! Vous ne prononceriez pas ce mot, si vous m’aimiez autant que je vous aime. Serez-vous perdu parce que je serai votre femme, parce qu’enfin nous nous aimerons librement, à la face de toute la terre. Perdu! Mais vous n’avez donc pas idée de ce que j’ai enduré? Vous ne savez donc pas que je suis lasse de souffrir, lasse de craindre, lasse de feindre!

– Un si grand crime!

Elle eut un éclat de rire qui le fit frissonner.

– Il fallait, reprit-elle avec un regard écrasant de mépris, faire vos réflexions le jour où vous m’avez prise à Sauvresy, le jour où vous avez volé la femme de cet ami qui vous avait sauvé la vie. Pensez-vous que ce crime soit moins grand, moins affreux? Vous saviez, comme moi, tout ce qu’il y avait pour moi d’amour au fond du cœur de mon mari, vous saviez qu’entre mourir et me perdre de cette façon, s’il lui eût fallu choisir, il n’eût pas hésité.

– Mais il ne sait rien, balbutiait Hector, il ne se doute de rien.

– Vous vous trompez, Sauvresy sait tout.

– C’est impossible.

– Tout, vous dis-je, et cela depuis le jour où il est revenu si tard de la chasse. Vous souvient-il qu’observant son regard, je vous ai dit: «Hector, mon mari, se doute de quelque chose!» Vous avez haussé les épaules. Vous rappelez-vous les pas dans le vestibule, le soir où j’étais allée vous rejoindre dans votre chambre? Il nous avait épiés. Enfin, voulez-vous une preuve plus forte, plus décisive? Examinez cette lettre que j’ai retrouvée froissée, mouillée, dans la poche d’un de ses vêtements.

En parlant ainsi, elle mettait sous ses yeux la lettre arrachée à miss Jenny Fancy, et il la reconnaissait bien.

– C’est une fatalité, répétait-il, visiblement accablé, vaincu; mais nous pouvons rompre. Berthe, je puis m’éloigner.

– Il est trop tard. Croyez-moi, Hector, c’est notre vie aujourd’hui que nous défendons. Ah! vous ne connaissez pas Clément. Vous ne vous doutez pas de ce que peut être la fureur d’un homme comme lui lorsqu’il s’aperçoit qu’on s’est odieusement joué de sa confiance, qu’on l’a trahi indignement. S’il ne m’a rien dit, s’il ne nous a rien laissé voir de son implacable ressentiment, c’est qu’il médite quelque affreux projet de vengeance.

Tout ce que disait Berthe n’était que trop probable, et Hector le comprenait bien.

– Que faire? demanda-t-il, sans idée, presque sans voix, que faire?

– Savoir quelles dispositions il peut avoir prises?

– Mais comment?

– Je l’ignore encore. J’étais venue vous demander conseil et je vous trouve plus lâche qu’une femme. Laissez-moi donc agir, ne vous occupez plus de rien, puisque je prends tout sur moi.

Il voulut essayez une objection.

– Assez, dit-elle, il ne faut pas qu’il puisse nous ruiner, je verrai, je réfléchirai…

On l’appelait en bas. Elle descendit, laissant Hector perdu dans ses mortelles angoisses.

Le soir, après bien des heures, pendant que Berthe paraissait heureuse et souriante, sa figure à lui portait si bien la trace de ses poignantes émotions que Sauvresy lui demanda affectueusement s’il ne se trouvait pas indisposé.

– Tu t’épuises à me veiller, mon bon Hector, disait-il, comment reconnaître jamais ton paternel dévouement?

Trémorel n’avait pas la force de répondre.

«Et cet homme-là saurait tout! pensait-il. Quelle force, quelle courage! Quel sort nous réserve-t-il donc?»

Cependant, le spectacle auquel il assistait lui faisait horreur.

Toutes les fois que Berthe donnait à boire à son mari, elle retirait de ses cheveux une grande épingle noire, la plongeait dans la bouteille de verre bleu et en détachait ainsi quelques grains blanchâtres qu’elle faisait dissoudre dans les potions ordonnées par le médecin.

On devrait supposer que, dominé par des circonstances atroces, harcelé de terreurs croissantes, le comte de Trémorel avait renoncé complètement à la fille de M. Courtois. On se tromperait. Autant et plus que jamais, il songeait à Laurence. Les menaces de Berthe, les obstacles devenus infranchissables, les angoisses, le crime ne faisaient qu’augmenter les violences, non de son amour, mais de sa passion pour elle, et attisaient la flamme de ses convoitises pour sa personne.