Une lueur, petite, chétive, tremblante, qui éclairait les ténèbres de son désespoir, le consolait, le ranimait, lui rendait le présent plus facile à supporter.
Il se disait que Berthe ne pouvait songer à l’épouser au lendemain de la mort de son mari. Des mois se passeraient, une année, et après il saurait encore gagner du temps. Enfin, un jour, il signifierait ses volontés.
Qu’aurait-elle à dire? Parlerait-elle du crime? Voudrait-elle le compromettre comme complice? Qui la croirait? Comment arriverait-elle à prouver, que lui, aimant et épousant une autre femme, avait intérêt à la mort de Sauvresy? On ne tue pas un homme, son ami, pour son plaisir. Provoquerait-elle une exhumation?
Elle se trouvait actuellement, supposait-il, dans une de ces crises qui ne souffrent ni le libre arbitre, ni l’exercice de la raison.
Plus tard, elle réfléchirait, et alors elle serait arrêtée par la seule probabilité de dangers dont la certitude, en ce moment, ne l’effrayait aucunement.
Il ne voulait d’elle pour femme à aucun prix, jamais.
Il l’eût détestée riche à millions, il la haïssait pauvre, ruinée, réduite à ses propres moyens. Et elle pouvait être ruinée, elle devait l’être, si on admettait que Sauvresy fût instruit de tout.
Attendre ne l’inquiétait pas. Il se savait assez aimé de Laurence pour être sûr qu’elle l’attendrait un an, trois ans s’il le fallait.
Déjà, il exerçait sur elle un empire d’autant plus absolu qu’elle ne cherchait ni à combattre, ni à repousser cette pensée d’Hector qui doucement l’envahissait, pénétrait tout son être, remplissait son cœur et son intelligence.
Hector, en y appliquant tout l’effort de sa réflexion, se disait que peut-être, dans l’intérêt de sa passion, autant valait que Berthe agît comme elle le faisait.
Il s’efforçait de dompter les révoltes de sa conscience, en se prouvant qu’en somme il n’était pas coupable.
De qui venait l’idée? D’elle. Qui l’exécutait? Elle seule. On ne pouvait lui reprocher qu’une complicité morale et involontaire, forcée, imposée en quelque sorte par le soin de sa défense légitime.
Parfois, pourtant, d’amères répugnances lui montaient à la gorge. Il eût compris un meurtre soudain, violent, rapide. Il se fût expliqué le coup de couteau ou le coup de poignard. Mais cette mort lente, versée goutte à goutte, édulcorée de tendresses, voilée sous des baisers, lui paraissait particulièrement hideuse.
Il avait peur et horreur de Berthe, comme d’un reptile, comme d’un monstre. Si parfois ils se trouvaient seuls et qu’elle l’embrassât, il frissonnait de la tête aux pieds. Elle était si calme, si avenante, si naturelle; sa voix avait si bien les mêmes inflexions molles et caressantes, qu’il n’en revenait pas. C’était sans s’interrompre de causer qu’elle glissait son épingle à cheveux dans le flacon bleu, et il ne surprenait en elle, lui qui l’étudiait, ni un tressaillement, ni un frémissement, ni même un battement de paupières. Il fallait qu’elle fût de bronze.
Cependant il trouvait qu’elle ne prenait pas assez de précautions, elle pouvait être découverte, surprise. Il lui dit ses frayeurs, et combien elle le faisait frémir à tout moment.
– Ayez donc confiance en moi, répondit-elle; je veux réussir, je suis prudente.
– On peut avoir des soupçons?
– Qui?
– Eh! le sais-je? tout le monde, les domestiques, le médecin.
– Il n’y a nul danger? Et quand même!…
– On chercherait, Berthe, y songez-vous? On descendrait aux plus minutieuses investigations.
Elle eut un sourire où éclatait la plus magnifique certitude.
– On peut chercher, reprit-elle, examiner, expérimenter, on ne retrouvera rien. Vous imagineriez-vous que j’emploie niaisement l’arsenic?
– De grâce, taisez-vous!…
– J’ai su me procurer un de ces poisons inconnus encore, qui défient toutes les analyses; un de ces poisons dont bien des médecins, à cette heure, et je parle des vrais, des savants, ne sauraient seulement pas dire les symptômes.
– Mais où avez-vous pris… Il s’arrêta net devant ce mot: poison; il n’osait le prononcer.
– Qui vous a donné cela? reprit-il.
– Que vous importe! J’ai su prendre de telles précautions que celui qui me l’a donné court les mêmes dangers que moi, et il le sait. Donc, rien à craindre de ce côté. Je l’ai payé assez cher pour qu’il n’ait jamais l’ombre d’un regret.
Une objection abominable lui vint sur les lèvres. Il avait envie de dire: «C’est bien lent!» Il n’eut pas ce courage, mais elle lut sa pensée dans ses yeux.
– C’est bien lent parce que cela me convient ainsi, dit-elle. Avant tout, il faut que je sache à quoi m’en tenir au sujet du testament, et j’y travaille.
Elle ne s’occupait que de cela, en effet, et pendant les longues heures qu’elle passait près du lit de Sauvresy, peu à peu, avec des nuances insaisissables à force de délicatesse, avec les plus infinies précautions, elle amenait la pensée défiante du malade à ses dispositions dernières.
Si bien que lui-même il aborda ce sujet d’un si poignant intérêt pour Berthe.
Il ne comprenait pas, disait-il, qu’on n’eût pas toujours ses affaires en ordre, et ses volontés suprêmes écrites, en cas de malheur. Qu’importe qu’on soit bien portant ou malade?
Aux premiers mots, Berthe essaya de l’arrêter. De telles idées lui faisaient, gémissait-elle, trop de peine.
Même, elle pleurait des larmes très réelles, qui glissaient, brillantes comme des diamants, le long de ses joues et la rendaient plus belle et plus irrésistible, des larmes vraies, qui mouillaient son mouchoir de fine batiste.
– Folle, lui disait Sauvresy, chère folle, crois-tu donc que cela fait mourir?
– Non, mais je ne veux pas.
– Laisse donc. Avons-nous été moins heureux parce que le lendemain de mon mariage j’ai fait un testament qui te donne toute ma fortune? Et, tiens, tu dois en avoir une copie; si tu étais complaisante, tu irais me la chercher.
Elle devint toute rouge, puis fort pâle. Pourquoi demandait-il cette copie? Voulait-il la déchirer? Une rapide réflexion la rassura. On ne déchire pas une pièce que d’un mot sur une autre feuille de papier on peut anéantir.
Cependant, elle se défendit un peu.
– J’ignore où est cette copie.
– Je le sais, moi. Elle est dans le tiroir à gauche de l’armoire à glace: Va, tu me feras bien plaisir.