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– Elle est l’énergie même.

– Alors bon espoir. Mais éteindrons-nous vraiment cette affaire? Qu’arrivera-t-il quand on retrouvera la dénonciation de Sauvresy, qui doit être cachée quelque part au Valfeuillu, et que Trémorel n’a pu découvrir?

– On ne la retrouvera pas, répondit vivement le père Plantat.

– Croyez-vous?

– J’en suis sûr.

M. Lecoq arrêta sur le vieux juge de paix un de ces regards qui font monter la vérité au front de ceux qu’on interroge, et dit simplement:

– Ah!

Et il pensait:

«Enfin! je vais donc savoir d’où vient le dossier qui nous a été lu l’autre nuit et qui est de deux écritures différentes.»

Après un moment d’hésitation.

– J’ai remis mon existence entre vos mains, monsieur Lecoq, dit le père Plantat, je puis bien vous confier mon honneur. Je vous connais, je sais que, quoi qu’il arrive…

– Je me tairai, vous avez ma parole.

– Eh bien! le jour où j’ai surpris Trémorel chez Laurence, j’ai voulu changer en certitude les soupçons que j’avais et j’ai brisé l’enveloppe du dépôt de Sauvresy.

– Et vous ne vous en êtes pas servi!

– J’étais épouvanté de mon abus de confiance. Puis, avais-je le droit de ravir sa vengeance à ce malheureux qui s’était laissé mourir pour se venger?

– Mais vous l’avez rendue à Mme de Trémorel cette dénonciation.

– C’est vrai, mais Berthe avait un vague pressentiment du sort qui lui était réservé. Quinze jours à peu près avant le crime elle est venue me confier le manuscrit de son mari, qu’elle avait pris soin de compléter. Je devais briser les cachets et lire si elle venait à mourir de mort violente.

– Comment donc, monsieur le juge de paix, n’avez-vous pas parlé? Pourquoi m’avoir laissé chercher, hésiter, tâtonner…

– J’aime Laurence, monsieur, et livrer Trémorel c’était creuser entre elle et moi un abîme.

L’agent de la Sûreté s’inclina.

«Diable! pensait-il, il est fin, le juge de paix d’Orcival, aussi fin que moi. Eh bien! je l’aime, et je vais lui donner un coup d’épaule auquel il ne s’attend pas.»

Le père Plantat brûlait d’interroger M. Lecoq, de savoir de lui quel était ce moyen unique d’un succès relativement sûr qu’il avait trouvé d’empêcher le procès et de sauver Laurence. Il n’osait.

L’agent de la Sûreté était alors accoudé à son bureau, le regard perdu dans le vide. Il tenait un crayon, et machinalement il traçait sur une feuille de papier blanc des dessins fantastiques. Tout à coup il parut sortir de sa rêverie. Il venait de résoudre une dernière difficulté; son plan désormais était entier, complet. Il regarda la pendule.

– Deux heures! s’écria-t-il, et c’est entre trois et quatre heures que j’ai donné rendez-vous à Mme Charman pour Jenny Fancy.

– Je suis à vos ordres, fit le juge de paix.

– Fort bien. Seulement, comme après Fancy nous aurons à nous occuper de Trémorel, prenons nos mesures pour en finir aujourd’hui.

– Quoi! vous espérez dès aujourd’hui mener à bonne fin…

– Certainement. C’est dans notre métier surtout que la rapidité est indispensable. Il faut des mois souvent pour rattraper une heure perdue. Nous avons chance, en ce moment, de gagner Hector en vitesse et de le surprendre; demain il serait trop tard. Ou nous l’aurons dans vingt-quatre heures, ou nous devrons changer nos batteries. Chacun de mes trois hommes a une voiture attelée d’un bon cheval; en une heure, ils doivent avoir terminé leur tournée chez les tapissiers. Si j’ai raisonné juste, d’ici à une heure, deux heures au plus, nous aurons l’adresse et alors nous agirons.

Tout en parlant, il retirait d’un carton une feuille de papier timbrée à ses armes – un coq chantant avec la devise: Toujours vigilant – et rapidement il traçait quelques lignes:

– Tenez, dit-il au père Plantat, voici ce que j’écris à un de mes lieutenants:

«Monsieur Job,

Réunissez à l’instant même six ou huit de nos hommes, et allez à leur tête attendre mes instructions chez le marchand de vin qui fait le coin de la rue des Martyrs et de la rue Lamartine.»

– Pourquoi là-bas, et non ici, chez vous?

– C’est que nous avons intérêt, cher monsieur, à éviter les courses inutiles. Là-bas, nous sommes à deux pas de chez Mme Charman et tout près de la retraite de Trémorel, car le misérable a loué son appartement dans le quartier de Notre-Dame-de-Lorette.

Le vieux juge de paix eut un geste de surprise.

– Qui vous fait supposer cela? demanda-t-il.

L’agent de la Sûreté sourit, comme si la question lui eut semblé naïve.

– Vous ne vous rappelez donc pas, monsieur? répondit-il, que l’enveloppe de la lettre adressée par Mlle Courtois à sa famille pour annoncer son suicide, portait le timbre de Paris, bureau de la rue Saint-Lazare? Or, écoutez bien ceci: En quittant la maison de sa tante, Mlle Laurence a dû se rendre directement à l’appartement loué et meublé par Trémorel, dont il lui avait donné l’adresse et où il lui avait promis de la rejoindre le jeudi matin. C’est de cet appartement qu’elle a écrit. Pouvons-nous admettre qu’il lui soit venu à l’idée de faire jeter sa lettre dans un autre quartier que le sien? C’est d’autant moins probable qu’elle ignore quelles raisons terribles a son amant de craindre des recherches et des poursuites. Hector a-t-il été assez prudent assez prévoyant pour lui indiquer cette ruse? Non, car s’il n’était pas un sot, il lui aurait recommandé de déposer cette lettre ailleurs qu’à Paris. Donc, il est impossible que cette lettre n’ait pas été portée à un bureau voisin de l’appartement.

Si simples étaient ces réflexions que le père Plantat s’étonnait de ne les point avoir faites. Mais on ne voit jamais bien clair dans une affaire où on est puissamment intéressé, la passion brouille les yeux comme la chaleur d’un appartement les lunettes. Avec son sang-froid il avait perdu en partie sa perspicacité. Et son trouble était immense; il lui semblait que M. Lecoq prenait de singuliers moyens pour tenir sa promesse.

– Il me semble, monsieur, ne put-il s’empêcher de remarquer, que si vous désirez soustraire Hector à la Cour d’assises, les hommes que vous réunissez vous embarrasseront bien plus qu’ils ne vous seront utiles.

Dans le regard aussi bien que dans le ton du juge de paix, M. Lecoq crut démêler un certain doute qui le choqua.

– Vous défieriez-vous de moi, monsieur? demanda-t-il.