Je l'avais fermée, répliqua aussitôt Mrs Hubbard.
Ah ?... vraiment ?
Oui, ou plutôt voici : j'avais prié la Suédoise - une aimable personne - de voir si la porte était verrouillée, et elle m'a répondu par l'affirmative.
N'auriez-vous pu vous en rendre compte par vous-même ?
Non, j'étais au lit et mon sac à éponge était suspendu à la poignée de la porte.
A quelle heure lui avez-vous demandé ce petit service ?
Attendez. Entre dix heures et demie et onze heures moins le quart. Elle était entrée pour savoir si j'avais de l'aspirine. Je lui ai dit de prendre mon tube dans ma valise.
A ce moment-là, vous étiez couchée ?
oui.
Soudain Mrs Hubbard éclata de rire.
La pauvre femme !... - Elle était dans un étant ! figurez-vous qu'elle avait ouvert, par erreur, la porte de l'autre compartiment.
La porte de Mr Ratchett ?
Oui. Vous savez comme il est facile de se tromper quand toutes les portes du couloir sont fermées. Il paraît que le monsieur a été mécontent et même a prononcé des paroles impolies. La pauvre demoiselle était fort ennuyée de sa méprise : « Oh ! je me suis trompée, me dit-elle. J'en suis tout honteuse ! »
N'avez-vous pas ensuite perçu de bruit dans le compartiment de Mr Ratchett ? demanda Poirot.
Eh bien. pas précisément.
Qu'entendez-vous par là ?
C'est-à-dire. qu'il ronflait.
Ah ! il ronflait.
Terriblement. Son ronflement m'a tenue éveillée presque toute la nuit précédente.
Et il n'a plus ronflé après le passage, dans votre compartiment de l'autre homme qui vous a causé une si grande frayeur ?
Voyons, monsieur Poirot. puisqu'il était mort.
C'est fichtre vrai ! acquiesça Poirot, dites-moi, madame Hubbard, vous rappelez- vous le vol du bébé Armstrong ?
Sûrement, et le coupable est encore en liberté. Ah ! celui-là ! Si jamais je le tenais.
Eh bien, madame, il est mort. la nuit dernière.
Comment ? Est-ce possible ?
Dans son émotion, Mme Hubbard se souleva à demi sur son siège.
Parfaitement. Ratchett était le chef de bande.
Qui l'aurait cru ? Je vais tout de suite écrire cela à ma fille. Ne vous ai-je pas dit hier que j'avais peur de cet homme ? Avais-je raison de m'en méfier, hein ?
Connaissez-vous la famille Armstrong, madame ?
Non. Ces gens-là ne fréquentaient qu'un cercle restreint d'amis. Mais, au dire de tout le monde, Mrs Armstrong était une charmante personne, adorée de son mari.
Madame Hubbard, votre déposition possède à nos yeux une grande valeur. Ayez maintenant l'obligeance de nous donner vos noms et prénoms.
Très volontiers : Caroline Martha Hubbard.
Tenez. Inscrivez ici votre adresse.
Mrs Hubbard se conforma au désir de Poirot, sans cesser de parler.
Je ne puis en croire mes oreilles. Cassetti. dans ce train ! La mine de cet individu ne me disait rien qui vaille, n'est-ce pas, monsieur Poirot ?
En effet, madame. A propos, avez-vous un peignoir rouge ?
Voilà une drôle de question ! Ma foi, non, j'ai emporté deux robes de chambre : une rose, en flanelle très chaude, pour le bateau, et une autre en soie violette, un cadeau de ma fille. Mais pourquoi vous inquiétez-vous de la couleur de ma robe de chambre ?
Voici, madame : une personne portant un vêtement de soie rouge a pénétré, hier soir, dans votre compartiment ou dans celui de Mr Ratchett. Ainsi que vous le disiez tout à l'heure, lorsque toutes les portes sont fermées, on commet facilement une erreur.
Aucune robe de chambre rouge n'est entrée hier soir dans mon compartiment.
En ce cas, c'était chez Mr Ratchett.
Mrs Hubbard pinça les lèvres en une moue dédaigneuse.
Poirot s'inclina vers elle.
Vous avez entendu une voix de femme de l'autre côté de la cloison ?
Comment l'avez-vous deviné ? Après tout, si vous tenez à tant à le savoir. eh bien, oui, je l'ai entendue.
Pourtant tout à l'heure, lorsque je vous ai interrogée à ce sujet, vous m'avez parlé seulement des ronflements de Mr Ratchett.
C'est la vérité, Mr Ratchett à ronflé une partie de la nuit.
Mais une femme a parlé. A quelle heure ?
Je ne saurais le dire. A un certain moment, je me suis éveillée. Une femme bavardait à côté.
Etait-ce avant ou après la frayeur que vous a causée l'intrusion d'un individu dans votre compartiment ?
Je vous répondrai comme tout à l'heure : comment cet homme aurait-il conversé avec une femme, s'il était mort ?
Excusez-moi. Vous devez me juger bien stupide, n'est-ce pas, madame ?
Je crois plutôt que vous embrouillez les faits à plaisir. Mais je n'en reviens pas de ce monstre de Cassetti ! Que va dire ma fille.
Poirot parvint adroitement à faire remettre par la bavarde, dans son sac à main, les objets qu'elle en avait retirés, puis il la reconduisit à la porte.
Au dernier moment, il lui dit :
Madame, vous avez laissé tomber votre mouchoir !
Mrs Hubbard examina le chiffon de batiste qu'il lui tendait.
Il ne m'appartient pas, monsieur Poirot. Voici le mien.
Pardon. Je croyais. comme il porte l'initiale « H ».
Curieuse coïncidence, en effet, mais les miens sont marqués C.M.H. et me paraissent beaucoup plus pratiques que les colifichets coûteux achetés à Paris. A quoi sert un mouchoir pareil ?
Aucun des trois hommes ne trouvant une réponse à cette question, Mrs Hubbard sorti, l'air triomphant.
□
L'interrogatoire de la Suédoise
M. Bouc tenait dans la main le bouton abandonné par Mrs Hubbard.
C'est à n'y rien comprendre, déclara le directeur de la Compagnie. Pierre Michel serait-il impliqué dans cette affaire ? Qu'en pensez-vous, mon cher ami ? demanda-t-il à Poirot.
Ce bouton tendrait à le faire supposer. Pour le moment, voyons la dame suédoise. Nous discuterons ensuite le témoignage de l'Américaine.
Il chercha dans la pile de passeports :
Voici : Greta Ohlsson, quarante-neuf ans.
M. Bouc donna des instructions au maître d'hôtel et bientôt la dame au chignon jaunâtre et au profil de mouton entra. De ses yeux myopes, elle regarda Poirot à travers ses lunettes, mais elle paraissait très calme.
Elle comprenait et parlait le français : la conversation s'engagea dans cette langue. Poirot lui posa d'abord des question dont il connaissait déjà les réponses : son nom, son âge et son domicile. Puis il s'enquit de sa situation.
Elle remplissait les fonctions de directrice d'hôpital dans une mission près de Stamboul. Elle possédait ses diplômes d'infirmière.
Vous êtes sans doute, mademoiselle, au courant du drame de cette nuit ?
Oui, monsieur. C'est épouvantable. Et la dame américaine me dit que le meurtrier se trouvait dans sa chambre avant de commettre son crime.
Il paraît, mademoiselle, que vous êtes la dernière à avoir vu la victime de son vivant.
Cela se peut. J'ai ouvert par méprise la porte de son compartiment. A ma profonde confusion d'ailleurs.
Vous l'avez donc vu ?
Oui, il lisait un livre. Après m'être excusée, j'ai refermé la porte.
Vous a-t-il adressé la parole ?
Il s'est mis à rire en disant quelques mots malsonnants. je n'ai pas tout à fait saisi le sens.