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A la bonne heure ! déclara Poirot, l'air satisfait.

M. Bouc poursuivit d'un ton dogmatique :

L'initiale H se rapporte à trois personnes : Mrs Hubbard, Miss Debenham, qui a pour second prénom Hermione, et la femme de chambre, Hildegarde Schmidt.

Eh bien ! laquelle des trois ?

Il est difficile de se prononcer. Cependant j'opterais pour Miss Debenham. Nous ignorons si on ne l'appelle pas par son second prénom ; de plus, elle est déjà sujette à caution. Cette conversation que vous avez surprise et qu'elle refuse d'expliquer me paraît louche.

Moi, je penche pour l'Américaine, annonça le docteur Constantine. C'est un mouchoir de luxe et les Yankees, tout le monde le sait, ne regardent pas à la dépense.

Ainsi, tous deux vous écartez la femme de chambre ? demanda Poirot.

Oui, elle-même a affirmé que ce mouchoir devait appartenir à une dame fort riche.

Examinons la seconde question : Qui a laissé tomber le cure-pipe ? Le colonel Arbuthnot ou quelqu'un d'autre ?

Ca, c'est plus compliqué, dit M. Bouc. Un Anglais ne tue pas un ennemi à coups de couteau. J'abonde dans votre sens sur ce point et j'incline à croire qu'une autre personne a abandonné le cure-pipe dans le compartiment de la victime pour faire suspecter l'officier anglais.

Comme vous l'avez déjà dit, monsieur Poirot, intervint le docteur, deux négligences, c'est trop. La perte du mouchoir a été involontaire, aussi personne ne veut admettre la propriété de carré de batiste, tandis que celle du cure-pipe a été feinte, et le colonel Arbuthnot reconnaît franchement qu'il fume la pipe et emploie ce genre de cure- pipe.

Vous raisonnez à merveille, approuva Poirot.

Question numéro 3. Qui portait le peignoir rouge ? poursuivit M. Bouc. Je n'en ai pas la moindre idée. Et vous, docteur Constantine ?

Moi non plus.

Donc, ici, avouons-nous battus. Espérons que la question suivante aura plus de succès. Qui était l'homme ou la femme déguisé en employé des wagons-lits ? Eliminons d'abord ceux que leur haute taille met hors de cause : Hardman, le colonel Arbuthnot, Foscarelli, le comte Andrenyi et Hector MacQueen, Mrs Hubbard, Hildegarde Schmidt et Greta Ohlsson ne possèdent pas la sveltesse voulue. Il nous reste le valet de chambre, Miss Debenham, la princesse Dragomiroff et la comtesse Andrenyi. Tous quatre ont fourni un alibi valable ! Greta Ohlsson, d'une part, et Antonio Foscarelli, de l'autre, ont juré que Miss Debenham et le valet de chambre n'ont pas quitté leur compartiment. Hildegarde Schmidt affirme que la princesse était dans le sien et le comte Andrenyi nous a dit que sa femme, après avoir pris un somnifère, s'est endormie. Il semble donc qu'aucune des personnes présentes dans le train n'a commis ce crime. ce qui est absurde !

Comme disait notre vieil ami Euclide, murmura Poirot.

Le coupable est sûrement l'une de ces quatre dernières personnes, trancha le docteur. A moins que l'assassin, venu du dehors, n'ait trouvé une cachette. mais nous avons déjà démontré l'invraisemblance de cette hypothèse.

M. Bouc passa à la cinquième question de la liste :

Pourquoi les aiguilles de la montre marquaient-elles 1h15 ? J'y vois deux explications : ou bien le meurtrier a avancé les aiguilles de la montre sur cette heure-là pour se créer un alibi et n'a ensuite pas pu quitter le compartiment en temps voulu parce qu'il a entendu quelque bruit, ou bien. Une second !... Il me vient une idée.

Les deux autres attendirent respectueusement que M. Bouc mît sa pensée au point.

Je la tiens ! s'écria-t-il enfin. Ce n'est pas le meurtrier déguisé en conducteur qui a manipulé la montre ! Mais le personnage appelé par nous le deuxième assassin. le gaucher. en d'autres termes, la femme au peignoir rouge. Elle arrive trop tard et déplace les aiguilles de la montre pour établir son alibi.

Bravo ! s'écria le docteur Constantine. Voilà qui est bien imaginé.

En un mot, conclut Poirot, elle frappe Ratchett dans l'obscurité sans se douter qu'il est déjà mort ; elle soupçonne que l'homme a une montre dans la poche de son pyjama, elle la prend, à l'aveugle, déplace les aiguilles et cogne violemment la montre pour en briser le ressort.

M. Bouc l'observa froidement.

Auriez-vous une meilleure solution à nous proposer, mon cher ?

Pour le moment. non. Toutefois, il me semble que ni l'un ni l'autre de vous deux n'avez remarqué un détail de la plus haute importance relatif à la montre.

S'agit-il de la réponse à la question n°6 ? s'enquit le docteur. A cette question : le meurtre a-t-il été commis à 1h15, heure indiquée par la montre ? - je réponds :  Non.

Moi de même, appuya M. Bouc. Etait-ce plus tôt ? Je dis :  Oui.  Et vous, docteur ?

Le docteur Constantine acquiesça d'un signe de tête, et ajouta :

Cependant, monsieur Bouc, on pourrait aussi bien répondre par l'affirmative à la question suivante : le meurtre a-t-il été commis plus tard ? Sans doute M. Poirot partage- t-il cet avis, encore qu'il ne veuille pas se compromettre. Le premier assassin est venu avant 1h15 et le deuxième après 1h15. Il serait intéressant de savoir lequel des voyageurs est gaucher.

Je n'ai pas complètement négligé cette particularité, observa Poirot. Vous avez pu remarquer que j'ai prié chacun des voyageurs d'apposer sa signature et d'inscrire son adresse. L'expérience n'a pas été concluante parce que nombre de sujets font certains actes de la main droite et d'autres de la main gauche : par exemple, quelques-uns écrivent de la main droite et jouent au tennis de la main gauche. Néanmoins, toutes les personnes convoquées ont pris la plume de la main droite, à l'exception de la princesse Dragomiroff qui, elle, a refusé d'écrire.

Impossible d'accuser la princesse, dit M. Bouc.

Je doute qu'elle soit de force à porter un coup de la main gauche, observa le docteur Constantine. Les coups, certains du moins, ont été infligés avec une violence inouïe.

. Au dessus de la force féminine.

Peut-être pas... mais du moins au-dessus des forces d'une vieille femme. Or la princesse Dragomiroff semble faible et de santé délicate.

N'oublions pas l'influence du moral et le physique, rappela Poirot. La princesse Dragomiroff est douée d'une personnalité et d'une volonté étonnantes. Pour l'instant, passons à un autre sujet.

Aux questions 9 et 10 : Pouvons-nous certifier que Ratchett a été frappé par plus d'une personne, et quelle autre origine donner à ses nombreuses blessures ? En tant que médecin, je prétends qu'ili y a eu au moins deux assassins. Il serait fou de supposer qu'un homme eût appliqué des coups tantôt faibles et tantôt violents de la main droite, puis de la main gauche, et, après un répit d'une demi-heure, eût infligé de nouvelles blessures à un cadavre !

En effet, dit Poirot. Selon vous, l'intervention d'un second meurtrier semble plus vraisemblable ?

Trouvez-moi, je vous prie, une meilleure hypothèse.

Je ne cesse d'y penser, soupira Poirot en se renversant dans son fauteuil.

A présent, ajouta-t-il en se frappant sur le front, c'est là qu'il faut chercher. Nous avons tout étudié, et classé avec ordre et méthode les faits recueillis. Les voyageurs sont venus ici l'un après l'autre et ont répondu à nos questions. Nous savons tout ce que nous pouvons apprendre..  du dehors.

Mon cher ami, vous m'avez souvent plaisanté sur ce procédé qui consiste à s'asseoir et à réfléchir pour faire sortir la vérité du puits. Eh bien, je vais en ce moment mettre cette théorie en pratique, et vous allez tous deux m'imiter. Fermons les yeux et concentrons nos pensées.