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— Bonjour.

— Bonjour, répondit le garde.

— Dites-moi, quel est ce bel endroit ?

— C’est le ciel.

— Quelle chance nous avons d’être arrivés au ciel ! Nous mourons de soif.

— Monsieur, vous pouvez entrer et boire de l’eau à volonté, dit le garde en montrant la fontaine.

— Mon cheval et mon chien aussi ont soif.

— Je regrette, mais l’entrée est interdite aux animaux.

« L’homme avait grand-soif mais il ne boirait pas seul. Cachant son désappointement, il salua le garde et poursuivit son chemin avec ses compagnons. Après avoir beaucoup marché dans la montée de la colline, à bout de forces, ils arrivèrent à un endroit où un portillon délabré s’ouvrait sur un chemin de terre bordé d’arbres. À l’ombre d’un de ces arbres, un homme était couché, son chapeau sur le visage.

— Bonjour, dit le voyageur.

« L’homme n’était qu’assoupi et il répondit par un signe de tête.

— Nous mourons de soif, moi, mon cheval et mon chien.

— Vous voyez ces rochers, il y a une source au milieu, vous pouvez y boire à volonté.

« Lorsqu’il se fut désaltéré, avec son cheval et son chien, le voyageur s’empressa de remercier l’homme.

— Revenez quand vous voulez, dit celui-ci.

— Mais dites-moi, comment s’appelle ce lieu ?

— Ciel.

— Ciel ? Mais le garde du portail de marbre m’a dit que le ciel, c’était là-bas !

— Non, là-bas ce n’est pas le ciel, c’est l’enfer.

— Je ne comprends pas. Comment peut-on usurper le nom du ciel ! Cela doit provoquer une confusion dans les esprits et vous faire du tort ?

— Pas du tout. A vrai dire, c’est nous rendre un grand service : là-bas restent tous ceux qui sont capables d’abandonner leurs meilleurs amis…

Berta caressa la tête de la jeune femme et elle sentit que là le Bien et le Mal se livraient un combat sans trêve.

— Va dans la forêt et demande à la nature de t’indiquer la ville où tu devrais aller. Car j’ai le pressentiment que tu es prête à quitter tes amis et notre petit paradis enclavé dans les montagnes.

— Vous vous trompez, Berta. Vous appartenez à une autre génération. Le sang des criminels qui jadis peuplaient Bescos était plus épais dans leurs veines que dans les miennes. Les hommes et les femmes d’ici ont de la dignité. S’ils n’en ont pas, ils se méfient les uns des autres. Sinon, ils ont peur.

— D’accord, je me trompe. N’empêche, fais ce que je te dis, va écouter la nature.

Chantal partie, Berta se tourna vers le fantôme de son mari pour le prier de rester tranquille – elle savait ce qu’elle faisait, elle avait acquis de l’expérience avec l’âge, il ne fallait pas l’interrompre quand elle essayait de donner un conseil à une jeune personne. Elle avait appris à s’occuper d’elle-même et maintenant elle veillait sur le village.

Le mari lui demanda d’être prudente. De ne pas donner tous ces conseils à Chantal, vu que personne ne savait à quoi cette histoire allait mener.

Berta trouva bizarre cette remarque, car elle était persuadée que les morts savaient tout – c’était bien lui, n’est-ce pas, qui l’avait avertie du péril qui menaçait le village ? Il se faisait vieux, sans doute, avec de nouvelles manies en plus de celle de toujours manger sa soupe avec la même cuillère.

Le mari lui rétorqua que c’était elle la vieille, elle oubliait que les morts gardent toujours le même âge. Et que, même s’ils savaient certaines choses que les vivants ne connaissaient pas, il leur fallait un certain temps pour être admis dans le séjour des anges supérieurs. Lui était encore un mort de fraîche date (cela faisait moins de quinze ans), il avait encore beaucoup à apprendre, tout en sachant qu’il pouvait déjà donner d’utiles conseils.

Berta lui demanda si le séjour des anges supérieurs était agréable et confortable. Son mari répondit qu’il y était à l’aise, bien sûr ; au lieu de poser ce genre de question futile, elle ferait mieux de consacrer son énergie au salut de Bescos. Pour sa part, sauver Bescos ne l’intéressait pas spécialement – de fait, il était mort, personne n’avait encore abordé avec lui la question de la réincarnation, il avait simplement entendu dire qu’elle était possible, auquel cas il souhaitait renaître dans un lieu qu’il ne connaissait pas. Son vœu le plus cher était que sa femme vive dans le calme et le confort le reste de ses jours en ce monde.

« Alors, ne viens pas fourrer ton nez dans cette histoire », pensa Berta. Le mari n’accepta pas ce conseil. Il voulait, coûte que coûte, qu’elle fasse quelque chose. Si le Mal l’emportait, fût-ce dans une petite bourgade oubliée, il pouvait contaminer la vallée, la région, le pays, le continent, les océans, le monde entier.

11

Non seulement Bescos ne comptait que deux cent quatre-vingt-un habitants, Chantal étant la benjamine et Berta la doyenne, mais seules six personnes pouvaient prétendre y jouer un rôle important : la patronne de l’hôtel, responsable du bien-être des touristes ; le curé, en charge des âmes ; le maire, garant du respect des lois ; la femme du maire, qui répondait pour son mari et ses décisions ; le forgeron, qui avait été mordu par le loup maudit et avait réussi à survivre ; le propriétaire de la plupart des terres à l’entour du village. D’ailleurs, c’était ce dernier qui s’était opposé à la construction du parc pour enfants, persuadé que – à long terme – Bescos prendrait un grand essor, car c’était un lieu idéal pour la construction de résidences de luxe.

Tous les autres habitants du village ne se souciaient guère de ce qui arrivait ou cessait d’arriver dans la commune, parce qu’ils avaient des brebis, du blé, de quoi nourrir leurs familles.

Ils fréquentaient le bar de l’hôtel, allaient à la messe, obéissaient aux lois, bénéficiaient des services de quelques artisans et, parfois, pouvaient acheter un lopin de terre.

Le propriétaire terrien ne fréquentait jamais le bar. C’est l’une de ses employées, qui s’y trouvait la veille au soir, qui lui avait rapporté l’histoire de cet étranger logé à l’hôtel. Il s’agissait d’un homme riche, et elle aurait été prête à se laisser séduire, à avoir un enfant de lui pour l’obliger à lui donner une partie de sa fortune. Le propriétaire terrien, inquiet pour l’avenir et craignant que les propos de Mlle Prym se répandent en dehors du village, éloignant les chasseurs et les touristes, avait aussitôt convoqué les personnalités de Bescos. Au moment même où Chantal se dirigeait vers la forêt, où l’étranger se perdait dans une de ses promenades mystérieuses, où Berta bavardait, les notables se réunirent dans la sacristie de la petite église.

Le propriétaire prit la parole :

— La seule chose à faire, c’est d’appeler la police. Il est clair que cet or n’existe pas. À mon avis, cet homme tente de séduire mon employée.

— Vous ne savez pas ce que vous dites, parce que vous n’étiez pas là, répliqua le maire. L’or existe, la demoiselle Prym ne risquerait pas sa réputation sans une preuve concrète. Quoi qu’il en soit, nous devons appeler la police. Cet étranger est sûrement un bandit, quelqu’un dont la tête est mise à prix, qui essaie de cacher ici le produit de ses vols.

— Ne dites pas de sottises ! s’exclama la femme du maire. Si c’était le cas, il se montrerait plus discret.

— La question n’est pas là. Nous devons appeler la police immédiatement.

Tous finirent par tomber d’accord. Le curé servit du vin pour apaiser les esprits échauffés par la discussion. Mais, nouveau problème : que dire à la police, alors qu’ils n’avaient pas la moindre preuve contre l’étranger ? Toute l’affaire risquait de finir par l’arrestation de la demoiselle Prym pour incitation à un crime.